Expérimentations de nouveaux modes d'exercice, et modes de rémunération alternatifs, création de schémas régionaux d'organisation des soins de ville,… La création d’agences régionales de santé dont les directeurs viennent d’être nommés est regardée avec intérêt dans les Unions régionales de médecins libéraux. Certains de vos élus s’inquiètent, d’autres se réjouissent de l’arrivée de ce nouveau partenaire aux compétences jamais réunies au plan régional.
Clé de voûte de la loi « Hôpital patients, santé et territoires», les agences régionales de santé (ARS) vont se mettre en place progressivement entre janvier et juillet 2010. Les directeurs de ces structures sanitaires et sociales viennent tout juste d'être nommés en Conseil des ministres cette semaine. Leur mission : pour la première fois, organiser au niveau territorial les soins de premier recours et la prise en charge continue des malades. Qui précise que ces soins comprennent : la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des patients, la dispensation et l'administration des médicaments, de produits et dispositifs médicaux, ainsi que le conseil pharmaceutique, l'orientation dans le système de soins et le secteur médico-social et enfin l'éducation pour la santé. Outre l'offre de soins de ville et le monde hospitalier, les ARS auront également à gérer le secteur médico-social, une dimension que les professionnels de santé accueillent avec bienveillance. « Cela va permettre aux médecins de s'engager dans des projets nouveaux», s'enthousiasme notamment Luc Duquesnel, secrétaire général (CSMF) de l'URML Pays-de-Loire.
Un changement de mentalité
En revanche, un certain nombre de prérogatives des ARS semblent, sinon inquiéter les médecins de terrain, au moins susciter leur vigilance. Pour Rémi Unvois, président de l'URML de Lorraine (CSMF), « le changement de mentalité est assez clair. On va acheter des prestations aux médecins. On va acheter la permanence des soins par exemple, ou encore la prévention». Les ARS pourront en effet contractualiser directement avec des «offreurs de soins» notamment les médecins libéraux. Du point de vue du Dr Unvois, la politique restrictive menée au niveau national aura une incidence sur le terrain, dans les régions, en ce sens qu'à partir du moment où la consultation des médecins généralistes n'est toujours pas revalorisée, dit-il, « on nous affame». Une dynamique qui, selon lui, préparerait les généralistes à accepter les missions qu’auront envie de leur confier les directeurs d'ARS. De nouvelles tâches, qui, craint-il, seront de plus en plus compliquées et lourdes et pour la rémunération desquelles « le temps administratif ne sera évidemment pas pris en compte». Aujourd'hui déjà, il observe que « les programmes des groupements régionaux de santé publique sont très chronophages si l'on veut aboutir à quelque chose de significatif». Et il redoute que les choses ne soient pires encore une fois les ARS en place.
« Ma grande peur, c'est que les médecins auxquels tout ceci apparaîtra trop compliqué ne fassent rien, ne s'investissent pas», admet-il, évoquant une complexification des règles du jeu. Ce responsable d’URML relève en substance qu’aujourd’hui les praticiens connaissent leur revenu et savent quoi faire pour maintenir ce revenu. Ils ont en conséquence une vision assez claire des efforts qu'ils sont prêts à consentir ou non. Ceux d'entre eux, et ils sont de plus en plus nombreux, qui arrivent en fin de carrière pourraient ne pas s'investir démesurément dans des programmes régionaux, fussent-ils alléchants. Autrement dit, les carottes que pourraient proposer les directeurs d'ARS pourraient bien à l’en croire ne pas attirer les médecins généralistes. Comment créer alors un schéma régional de l'organisation des soins (SROS) qui soit efficient si les médecins ne suivent pas ?
«J'en attends beaucoup »
Tout le monde ne partage cependant pas cette vision hyper-administrée et peu séduisante des ARS. Pour certains, en effet, les agences régionales de santé apparaissent plutôt comme une solution possible d'amélioration de l'exercice de la médecine de terrain, au plus près des patients. «Le système est dans le mur. Il fallait proposer autre chose», considère ainsi Antoine Leveneur, président (FMF) de l'URML de Basse-Normandie qui attend « beaucoup des ARS», à commencer par une « cohésion entre le pouvoir politique et le pouvoir financier en région». Ainsi, explique-t-il, « jusqu'ici, le préfet avait le pouvoir politique dans une région, tandis que l'Urcam finançait. Cette dichotomie des pouvoirs était un frein pour progresser». Avec les ARS, Antoine Leveneur parie sur « l'unité, la cohérence». Sur un dossier comme celui de la démographie médicale par exemple, la tête de pont de l'URML de Basse-Normandie, à l'origine de la Charte régionale sur les pôles de santé libéraux (lire ci-contre), préfère que les choses se décident sur le terrain, « plutôt que des mesures nationales s'imposent à tous sans concertation».
Parmi les nouvelles responsabilités des ARS, celle qui sera la plus visible et la plus immédiate pour les médecins généralistes sera sans conteste l’organisation de la permanence des soins. La loi reste encore assez floue sur les modalités. Elle se borne à indiquer que « l’ARS organise la mission de service public de la permanence des soins. Ses modalités, élaborées en association avec les représentants des professionnels de santé, dont l’Ordre des médecins, sont définies après avis du représentant de l’État». Mais il n’est pas certain pour autant que les professionnels de santé y gagnent en souplesse d’autant que le préfet conserve la possibilité de procéder à des réquisitions. Les réprésentants de la profession, dans l’attente des décrets d’application sur la pds, nourrissent actuellement encore certaines inquiétudes.
Tout dépendra des directeurs
En revanche, la possibilité pour les ARS de lancer des expérimentations sur des nouveaux modes de rémunération ou d’exercice est accueillie avec davantage de bienveillance. Ils n'empêchent que tous affichent une certaine vigilance, à l’instar des responsables nationaux de leurs syndicats. On se demande notamment comment au quotidien s'articuleront ce qui se négocie au niveau national – la convention – et les accords passés localement. Pourtant, tel confrère, élu de l’URML Centre observe que les dynamiques impulsées dans certaines régions pourraient ne valoir que pour ces régions. « D'ici deux ou trois ans, une fois que les ARS seront bel et bien en place et que des programmes seront lancés, on observera des différences significatives d'une région à l'autre. Les ARS volontaristes seront clairement identifiées par rapport aux autres», pronostique-t-il. Evidemment, quand on sait que ces ARS ont été créées dans une optique d'aménagement du territoire et d'accès aux soins, la possibilité de telles différences interroge. « La politique d'affichage est belle, mais il y a tout lieu de penser qu'avec le recul, elle pâtira des défauts de ses qualités. La situation se sera améliorée dans certaines régions, quitte à déshabiller plus encore une région voisine où l'on ne rencontrera pas pareil volontarisme», craint-on encore dans la région Centre. Ce risque est, de l'avis de Luc Duquesnel comme d’Antoine Leveneur notamment, à relier à la personnalité des directeurs d'ARS. En effet, relèvent-ils l’un et l’autre, il ne faudrait pas que les ARS soient «personne-centrée», c'est-à-dire que la façon dont la politique de santé sera menée au niveau régional ne soit trop influencée par la personnalité de celui ou celle qui dirigera l'agence régionale de santé. « Attention à ce que les directeurs ne campent un rôle de préfet de la santé», prévient de son côté Rémi Unvois. « Tous les directeurs d'ARS auront une feuille de route, mais il y aura des différences selon que le directeur sortira du moule de l'assurance maladie ou d'une autre institution. Cela semble inévitable», remarque Antoine Leveneur.
Quant à l’hypothèse de la création d’ORDAM pour "objectifs régionaux des dépenses d’assurance maladie", elle a été longuement débattue mais pas tranchée pendant les discussions parlementaires. La loi prévoit simplement qu’avant « le 15 septembre 2010, le Gouvernement présente au Parlement un rapport évaluant l’intérêt qu’il y aurait à ce qu’un sous-objectif de l’objectif national de de?penses d’assurance maladie identifie une enveloppe destinée à contribuer à la réduction des inégalités interrégionales de sante?». Redouté par certains élus d’Unions comme un couperet financier annonciateur de conventions régionales, un tel ORDAM démontrerait pour les autres la volonté politique qu'il y a à faire confiance aux professionnels de terrain en région pour mettre en place une organisation des soins cohérente et qui réponde concrètement aux besoins. Mais attention, l’instrument peut s’avérer redoutable : cet Ordam qui représenterait un certain pourcentage de l'objectif national de dépenses pourrait donner la préférence selon les années à certaines régions plutôt qu'à d'autres, en fonction de projets envisagés et de besoins spécifiques…
Du côté de l'Assurance maladie, la sérenité est de mise. Certain de ses responsables confient même que la création ne changera probablement strictement rien au quotidien des généralistes dont l’interlocuteur régulier demeurera le directeur de la CPAM. Il est vrai que l’UNCAM n’a pas lâché grand chose aux ARS tant en terme de compétences que de moyens humains. Moins de 2000 agents de l’Assurance Maladie seront transférés aux ARS notamment les personnels des URCAM et une partie de ceux des CRAM. Mais les praticiens-conseils et les personnels du service médical resteront bien sous pavillon Sécu.