En Espagne, Muface, la mutuelle des fonctionnaires, fait des jaloux

Publié le 22/10/2021
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C'est un dispositif qui ne bénéficie qu'aux agents publics et qui, dans un système de santé largement étatisé permet, pour les heureux bénéficiaires, d'accéder au secteur privé et pour certains médecins d'arrondir leurs fins de mois. Les détracteurs de ce système dénoncent une rupture d'égalité devant les soins.

Crédit photo : Les fonctionnaires d'Etat, nombreux à Madrid, sont seuls à bénéficier de ce passe-droit

En Espagne, le système public de Santé instauré depuis la disparition du Franquisme à la fin des années 70, insiste évidemment sur le caractère universel et égalitaire des soins. Mais les législateurs de la « transition démocratique » ont maintenu à titre transitoire un système mixte public-privé qui, avec la mutuelle des fonctionnaires de l’État MUFACE, venait d’être officialisé quelques années auparavant, en 1975 : cela permettait à 1,5 million d’Espagnols de se faire soigner aux frais de l’État dans des cliniques privées.

« C’est un modèle pour une élite » dénonce le Dr Manuel Martin. Ce président de la Fédération des Associations de Défense de la Santé publique rappelle comment le gouvernement espagnol actuel, officiellement si attaché au Système public de Santé, a dû puiser dans ses ressources dialectiques pour expliquer l’attitude de sa numéro 2, Carmen Calvo, vice-présidente du gouvernement socialiste entre juin 2018 et juillet 2021. Le 23 mars 2020, cette ex-professeure de Droit Constitutionnel à l’Université de Cordou avait en effet préféré se rendre à une clinique privée pour se soumettre à un test du Coronavirus...

Car les mutualistes de Muface, même s’ils peuvent théoriquement choisir tous les six mois entre le public et le privé, préfèrent, en très grande majorité, se faire soigner dans les cliniques privées ; au moins quand leur état de santé ne requiert pas les importants moyens techniques que seuls les grands hôpitaux publics possèdent.

« Leurs motivations sont évidentes », explique Gonzalo Canales Orozco, secrétaire pour l’Administration générale de l’État au syndicat CSIT–Union Professionnelle : « Pour eux, en comparaison avec le reste de la population, les avantages sont nombreux… qu’il s’agisse d’accéder à une chambre individuelle durant l’hospitalisation, d’obtenir un rendez-vous rapide avec un spécialiste, de bénéficier de remboursements spéciaux pour les lunettes et les soins dentaires, ou d’être pris en charge pour des séances de physiothérapie. »

25 % des professionnels de santé ont un pied dans le privé

L’opinion des médecins sur ce modèle, et sur l’imbrication de la médecine publique et privée qui en résulte, est plus nuancée. Ce modèle permet bien sûr à 25 % des professionnels de la santé publique de travailler des deux côtés, le matin jusqu’à 15 heures le plus souvent dans un hôpital et le soir dans une clinique ou un cabinet privé reconnu par Muface, avec le complément que cela entraîne pour leur salaire du public, jugé modeste par rapport à celui de leurs collègues européens.

Mais le Dr Ignacio Castillon, qui exerce dans un Centre de Santé de la campagne d’Arragon, n’hésite pas, pour sa part à dénoncer les pièges inhérents à ce modèle : « Si vous n’appartenez pas à Muface et qu’un spécialiste d’un hôpital public vous annonce que la liste d’attente pour vous opérer est de 3 mois, mais qu’il peut vous opérer dans une semaine dans une clinique privée, vous n’hésitez pas longtemps même si la facture va être à votre charge ».

« Ne serait-il pas plus cohérent de réinvestir dans la Santé publique ? », s’indigne pour sa part le Dr Martin, « spécialement dans la médecine de proximité, dans les Centres de Santé des zones urbaines qui sont parfois aujourd’hui abandonnés par les autorités régionales compétentes ». Pourtant, l’État hésite à uniformiser le système, car chaque mutualiste de Muface coûte chaque année moins cher aux finances publiques qu’un simple assuré à la Sécurité Sociale : 917 euros au lieu de 1 368 euros.

Exergue : « Ne serait-il pas plus cohérent de réinvestir dans la Santé publique ? »

Christophe Deschamps (Madrid)

Source : Le Quotidien du médecin