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Dossier

Entretien avec Xavier Bertrand

« Cette convention est une révolution !»

Publié le 16/12/2011
« Cette convention est une révolution !»


©PHANIE VOISIN

Non, les généralistes ne veulent pas être salariés. Mais ils croulent sous la paperasse et il faut « leur simplifier la vie ». Xavier Bertrand est allé se rendre compte de la situation cette semaine à Cergy. Les choses ne vont pas assez vite à ses yeux, ainsi qu’il l’explique au Généraliste. Le ministre annonce par ailleurs la sortie imminente des décrets sur le DPC, s’explique sur la lutte sur les arrêts de travail abusifs et incite les généralistes à jouer le jeu du P4P...

Le Généraliste : Vous êtes allé vous rendre compte par vous-même de l’état du chantier de la simplification administrative dans un cabinet de généralistes. Quelle impression en ressortez-vous ?

Xavier Bertrand. L’important, ce n’est pas de décider derrière un bureau mais d’être sûr que, dans les cabinets médicaux, les choses avancent. On a créé beaucoup de complexité administrative et les médecins ont le sentiment d’être assommés de paperasse. Je suis très attaché à la simplification de l’exercice des médecins, pour que le temps du médecin soit réellement consacré à du temps médical utile. Il y a bien volonté de simplifier, mais cela ne va pas assez vite et pas assez loin à mon goût. La complexité administrative peut être un frein à l’installation. Certains me disent d’ailleurs qu’ils préfèrent le statut de remplaçant. Il faut donc alléger les formalités pour les non-remplaçants aussi. Nous devons nous mettre à la place des médecins et leur faire davantage confiance. Les médecins sont prêts à aller vers plus d’informatisation. Ils ont compris que cela pouvait leur simplifier la vie. Il y a eu des avancées. Par exemple, l’idée d’un correspondant unique à la caisse d’assurance-maladie, que j’ai beaucoup soutenue, voit enfin le jour. La médecine, c’est le contraire d’une relation déshumanisée, il doit en être de même avec l’administration. J’ai un peu bousculé les syndicats sur ces sujets, je l’assume. Et la simplification administrative est devenue un sujet majeur. Des propositions me sont faites régulièrement lors de mes échanges avec les professionnels de santé. Ainsi, le dossier unique d’admission en EHPAD sera effectif dès le début d’année prochaine. Les médecins n’auront plus autant de dossiers d’admission à remplir que d’EHPAD sollicités par leurs patients. Là encore, ce sera du gain de temps médical. Je pense que nous pouvons aller encore plus loin en matière de simplification. Je pense aux protocoles ALD, ou encore à la déclaration de médecin traitant, pour ne pas avoir tout à refaire en cas de passage d’un régime à l’autre, avec le cas important des régimes étudiants. Tout cela n’est pas si compliqué, il faut juste de la volonté. Je vais d’ailleurs rencontrer les caisses et les organisations syndicales au mois de janvier sur ce sujet.

Qu’il s’agisse de la convention ou du sauvetage de l’ASV, comment expliquez-vous que la majorité des syndicats de médecins libéraux se soient retrouvés cette année sur ces dossiers alors qu’ils s’étaient opposés à la réforme Bachelot ?

J’ai voulu à tout prix les réunir. Par rapport à 2004, j’ai vu avec satisfaction que l’époque des dissensions et des rivalités sans nom et sans justifications était révolue. J’ai mis beaucoup d’énergie à les rassembler. Quand je suis arrivé certains ironisaient, disant que la CSMF avait retrouvé son ministre. J’ai voulu montrer que j`étais à l’écoute de tout le monde. Au final, ce sont quatre syndicats qui ont signé la convention, c’est une première ! C’est aussi rassurant pour les médecins. La convention est une réforme de fond et plus qu’une évolution, une vraie révolution. Nous avons réussi à réunir nos efforts autour d’une convention qui structurera l’exercice médical pour des décennies. Mais comme ça se passe bien, on n’en parle pas beaucoup !

Le paiement à la performance va être généralisé à partir de janvier. Est-ce une opportunité pour les généralistes ? Ce dispositif va-t-il révolutionner la rémunération en médecine générale ?

Aux généralistes, je dis : « Allez-y ! » Même si, pour ne rien vous cacher, le terme de performance n’est pas celui que je trouve le plus approprié. Si c’est une performance « qualité », c’est positif, si c’est une performance « compétition », ça n’a pas de sens. Ce dispositif permet d’améliorer les pratiques tout en respectant les objectifs de santé publique. En matière de santé, si on joue la qualité, on peut faire des économies, mais si on joue uniquement l’économie, on perd en qualité. Nous sommes dans cette logique où les médecins savent faire, mais ils peuvent encore améliorer leur façon de faire. Beaucoup de médecins m’ont dit que cela les aidait à se poser des questions sur leur pratique, sur eux-mêmes, en tenant compte aussi de leur environnement. Améliorer les pratiques n’est plus un sujet tabou.

Nombre d’élus s’inquiètent pour l’accès aux soins et, notamment, les déserts médicaux et les dépassements ? Avez-vous le sentiment que le secteur optionnel a minima, prévu dans le PLFSS, et la hausse du numerus clausus suffiront ?

Le secteur optionnel est un début de réponse, mais un dispositif à compléter. Il ne tient qu’aux partenaires conventionnels de le faire. Le numerus clausus est une des réponses à la démographie médicale, mais ce n’est pas l’unique solution. Sur la démographie médicale, je ne cherche pas à faire du chiffre. Je ne veux pas que dans dix ans on gère les erreurs du passé, avec une pénurie. C’est une évolution qui est compréhensible parce que les médecins veulent davantage de temps pour se former et se consacrer à leur famille. Je suis convaincu que la pratique médicale évolue. Les étudiants d’aujourd’hui n’exerceront que dans plusieurs années. Il faut donc aussi renforcer l’attractivité et proposer de bonnes conditions aux médecins proches de la retraite pour qu’ils prolongent leur activité. Sur les charges sociales, nous avons trouvé la solution: on n’est plus sur des cotisations forfaitaires mais sur des cotisations proportionnelles. Mais il faut aussi tenir compte des contraintes administratives. La réalité c’est que le statut de remplaçant correspond pratiquement à un « zéro charge administrative ». Pourquoi ne pas appliquer le même dispositif à celui qui aurait pu prendre sa retraite mais qui choisit de continuer volontairement à exercer. Nous sommes dans une stratégie globale. Le numerus clausus, les mesures incitatives, le développement des maisons de santé, les mesures pour les médecins qui sont proches de la retraite doivent permettre de faire la jonction. Comme d’ailleurs les délégations de tâches...

Justement, certains syndicats protestent contre les projets bâtis à la hâte par les ARS ces derniers mois...

Le principe même des coopérations, c’est que cela doit partir des professionnels : un médecin et un infirmier qui proposent de travailler autrement, et qui soumettent leur projet à l’ARS et à la HAS. Une réforme dans le domaine de la santé ne peut pas se faire sans les professionnels du secteur. Toutes ces initiatives locales sont forcément validées par la HAS et doivent faire l’objet d’une évaluation régulière. Et, en aucun cas, je ne veux que les médecins se sentent dépossédés. Ces projets sont des atouts lorsqu’ils permettent de mieux préparer la consultation, supprimer les délais d’attente, d’être dans une logique pluridisciplinaire, ou encore de mieux prendre en charge certains patients atteints de maladies chroniques. Les coopérations, ce sont bien de nouvelles façons de travailler, il faut que tous les professionnels s’y retrouvent sinon ça ne marchera pas.

Les décrets sur le DPC vont-ils sortir avant la fin de l’année ? Qu’est ce cela va changer pour les médecins ?

Oui, dans les jours qui viennent. Je pense avoir trouvé le meilleur équilibre possible pour préserver au maximum ce qui fonctionnait auparavant. Le DPC, tout le monde est d’accord pour dire que c’est nécessaire. La signature des décrets ne marque pas la fin mais le début d’une réforme. Il faut maintenant que les médecins se saisissent complètement du DPC et qu’ils en profitent. Les médecins regardent toujours avec beaucoup de méfiance l’intervention de l’Etat. Voilà pourquoi c’était si important pour eux que l’on conserve ce côté paritaire; car ils ne veulent pas que l’on décide à leur place. Désormais s’ouvre une nouvelle ère, une nouvelle réforme et il faut qu’ils se l’approprient.

On a beaucoup parlé des arrêts de travail lors de la discussion du PLFSS. Pourquoi attendez-vous des généralistes qu’ils fassent encore des efforts sur ce poste de dépenses?

Je vais saisir les syndicats de médecins concernant les arrêts de travail parce que je ne veux pas que le médecin se sente isolé par rapport à certains patients. Je dois avoir la même énergie sur le signataire des IJ frauduleuses que sur le bénéficiaire. Pour le patient, je demande qu’il y ait un remboursement de tout ou partie de la somme qui aurait été versée indûment. Pour le généraliste, je sais bien que les choses ne sont pas forcément simples; il peut être l’objet de pressions. Le rôle des caisses est important pour les aider. Et je leur adresserai des directives en ce sens. Je ne comprends pas que l’on contrôle quasiment tout le monde de la même façon, alors qu’on sait très bien qui sont les surprescripteurs. Même si j’ai conscience que cela peut parfois s’expliquer par la structure d’une patientèle.

Médiator, PLFSS bis... Ces dossiers inattendus n’ont-ils pas perturbé votre feuille de route au ministère de la Santé ?

C’est un ministère où l’expérience joue beaucoup. Et si vous avez du poids politique, cela aide. Je le vois sur le Médiator: aucun arbitrage ne m’a été imposé. Ce dossier démontre également que lorsque vous êtes ministre, il ne faut pas faire de demi-mesures, il faut proposer une réforme globale qui peut changer vraiment les choses, sinon ce n’est pas la peine. Je n’ai pas été épargné par les dossiers brûlants, mais je pense que c’est le lot du ministre de la Santé qui gère un ministère imprévisible, parmi les plus difficiles peut-être, mais l’un des plus passionnants et exigeants aussi.

Comme Jacques Barrot ou Martine Aubry avant vous, vous avez hérité cette fois d’un grand ministère du social. Est-ce le bon périmètre ?

Au moment de ma nomination, il y avait dans mon ministère deux défis prioritaires: l’emploi et la santé, pour celle-ci,on voyait bien qu’il fallait restaurer la confiance. J’aime relever des défis qui ne sont pas seulement de la gestion pure, mais aussi une vision à long terme. C’est vrai pour l’emploi et le plein-emploi, et aussi pour faire en sorte que notre système de santé soit toujours l’un des meilleurs au monde dans dix ans. Cet aspect pragmatique et stratégique me plaît. Sur le dossier de la santé au travail, un ministère du travail et de la santé, aussi vaste est aussi un atout déterminant.

Dans cinq mois auront lieu les présidentielles, avez-vous l’impression que si la gauche arrivait au pouvoir, il y aurait une politique complètement différente de celle d’aujourd’hui dans le domaine de la santé ? Et quelles seront vos implications dans la campagne?

L’arrivée de la gauche signifierait coercition et obligation pour les professionnels de santé. François Hollande a beau tenté de faire croire qu’il n’est pas sur cette ligne, tout dans le programme du PS plaide en ce sens. C’est une des différences de fond entre eux et moi, et je reste persuadé que cela serait un virus mortel pour le système de santé. Dans ce contexte, on aurait beau remonter le numerus clausus jusqu’à 10 000, on ne trouverait jamais les candidats. Et puis j’entends dire que je suis trop proche des professionnels de santé. En fait, j’essaie de bien comprendre chacun. Il ne faut pas donner le sentiment qu’on veut fonctionnariser les médecins libéraux. La gauche fait une erreur d’analyse et de diagnostic en pensant que les médecins ne veulent plus s’installer en libéral. Elle dit qu’ils veulent devenir salariés; mais salariés de qui ? De la Sécurité sociale ? Ce n’est pas leur choix. La gauche ne fait pas confiance aux professionnels de santé. Le mensonge est aussi de faire croire que le système de santé peut fonctionner avec un ONDAM à 3,8 % comme ils l’ont voté au Sénat. Je demande des efforts, c’est vrai, mais je préfère tenir notre équilibre budgétaire plutôt que de laisser déraper les dépenses et devoir demander un jour des sacrifices. Je pense que notre système est bon et veut évoluer. Mon implication sera importante dans la campagne. Je présenterai au début d’année ce que je pense être nécessaire pour le système de santé dans les 5-10 ans qui viennent sur la question des professionnels, des traitements et de la démocratie sanitaire, car 10 ans après la loi Kouchner, il faut envisager une nouvelle étape, une nouvelle loi sur les droits des patients.