Pour lutter contre les arrêts de travail injustifiés, l’Assurance maladie dispose en 2010 de pouvoirs accrus. En cas de précédents abusif, elle va notamment pouvoir dire non à un nouvel arrêt. En outre, les caisses pourront désormais s’appuyer sur les contre-visites des employeurs pour supprimer les indemnités journalières. Qui sont ces sociétés privées qui pointent les prescriptions abusives ? Comment travaillent-t-elle et avec quels médecins ? Le Généraliste leur a rendu visite.
A-t-on trouvé la parade absolue pour lutter contre les arrêts de travail abusifs ? D’année en année, les pouvoirs publics ne cessent de se poser cette question. Et quand on examine les chiffres, on comprend vite pourquoi : en dépit de l’augmentation des contrôles effectués par l’Assurance maladie (1,6 million en 2008), le poste IJ continue en effet de caracoler. Il frôle désormais les 10 milliards d’euros et a encore augmenté de 5,3% en 2009 après une croissance de 5,8% en 2008. En ce début d’année 2010, l’arsenal répressif (IJ) s’est donc enrichi de nouveaux outils. Désormais, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2010 permet ainsi à la Caisse de suspendre les IJ sur la base des contre-visites de l’employeur.
Ces contre-visites, autorisées depuis 1978, avaient pour seul effet, en cas de fraude (arrêt injustifié, absence…), la suspension du complément versé par l’employeur (en moyenne 50 % du salaire), mais aucun impact sur les IJ. Désormais, « lorsqu'un contrôle, effectué par un médecin à la demande de l'employeur, (...) conclut à l'absence de justification d'un arrêt de travail ou fait état de l'impossibilité de procéder à l'examen de l'assuré, ce médecin transmet son rapport au service du contrôle médical de la caisse ». Et le service du contrôle médical pourra « demander à la caisse de suspendre les indemnités journalières » ou « procéder à un nouvel examen de la situation de l’assuré ». Celui-ci sera obligatoire si le médecin mandaté par l'employeur n'a pas pu examiner la personne.
Interventions dans les 48 heures
Principal atout des sociétés privées de contrôle médical mandatées par l’employeur : « Nous sommes réactifs. Nos médecins contrôleurs, des généralistes qui effectuent ces visites, à côté de leur travail en cabinet, interviennent dans les 48 heures. Certes, il nous est difficile de contrôler les arrêts de moins de trois jours. La majorité de nos visites portent sur des arrêts de une semaine à dix jours », explique Raphaël Wecker, président d’Axmedica qui emploie environ 3000 médecins, comme Medicat Partner, un des leaders, après le belge Securex.
L’activité de ces sociétés est en forte hausse avec un chiffre estimé à 40 000 visites. Le privé mais également la fonction publique y a recours. « Cela représente environ 30 % de notre activité. Parmi nos clients, nous comptons également près de 20% des CPAM de France ! », souligne Michèle Laporte, directrice de Medicat-Partner. « Le potentiel est vaste car environ 50 % des entreprises ne connaissent pas cette possibilité », ajoute Raphaël Wecker. Coût de la visite : environ 100 € HT. Ces sociétés sont-elles toutes fiables ? « La question se pose, au regard de la multiplication des créations. Nos procédures sont validées par le Conseil national de l’Ordre mais je souhaiterais la mise en place d’un agrément», explique le directeur d’Axmedica. De son côté, Medicat-Partner qui emploie 3000 médecins est labélisé « Made in respect ».
« Un pouvoir de délation »
La quasi-totalité des généralistes dénonce ce système. « Il existe déjà un organisme chargé des contrôles avec le médecin conseil de la Caisse. On donne ainsi à des confrères payés par les employeurs un pouvoir de délation », estime le Dr Gérald Galliot, membre du bureau national de l’UNOF et de la CSMF et président de la CPL d’Eure-et-Loir. « C’est un peu comme les pervenches qui doivent faire du chiffre. Il serait plus judicieux d’améliorer le contrôle par les Caisses, notamment grâce à la mise en ligne des arrêts de travail », propose le Dr Georges Siavellis, vice-président de l’UNOF et responsable CSMF dans le 93.
Autre nouveauté dans la LFSS 2010: une expérimentation de deux ans du contrôle par l'Assurance maladie des arrêts des fonctionnaires. Ces derniers affichent des durées d’IJ d’environ 13 jours par an contre 10 jours en moyenne pour un salarié du privé. Le contrôle sera donc, pour les arrêts de moins de six mois, transféré aux CPAM, dans plusieurs régions et administrations. Il est également prévu de renforcer l'efficacité du contrôle au sein du Régime social des indépendants (RSI) en appliquant les règles du régime général pour la retenue des IJ, en cas d’arrêts injustifiés. Enfin, le texte crée un nouvel article du code de la sécurité sociale : lorsqu'un arrêt de travail intervient après une suspension des IJ, la reprise de ces dernières sera subordonnée à l'avis du service du contrôle médical.
Qu’est-ce qu’un arrêt injustifié ?
En 2008, l’Assurance maladie a contrôlé plus d’1 million d’arrêts maladie. « Sur les contrôles d’arrêts de courte durée, qui sont ciblés, 13% ont été considérés comme non justifiés. Concernant les arrêts de plus de 45 jours, tous contrôlés depuis août 2007, ce chiffre atteint 11 % », indique Jean-Marc Aubert, directeur délégué à la gestion et à l’organisation des soins à la CNAM. Des chiffres que le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, élu à l’URML Rhône-Alpes, juge sur-estimés. Ce responsable de la cellule juridique d’Union Généraliste explique que « la Caisse a tendance à effectuer ses contrôles le dernier jour de l’arrêt alors que la personne est apte à reprendre son travail. A ce stade, l’arrêt entre dans les statistiques d’arrêts injustifiés », souligne-t-il. « Nous vérifions les arrêts longs au-delà du 45ème jour, certains sont donc déclarés injustifiés, en raison de leur durée. En prenant en compte les AT-MP, où les abus sont rares, nous estimons les arrêts médicalement injustifiés, proches des 5 à 8 % », précise Jean-Marc Aubert.
Les chiffres, affichés pour les contre-visites à la demande des employeurs, sont nettement supérieurs. « Lorsque l’employeur demande une vérification, c’est qu’il y a une suspicion », note Raphaël Wecker. Sur 1000 contrôles effectués entre le 10 septembre et le 5 novembre 2009 par Axmedica, « 17 % étaient médicalement injustifiés », précise-t-il. En outre « 15 % des salariés n’étaient pas présents à leur domicile en dehors des heures de sortie autorisées. Cela entre dans la catégorie des arrêts injustifiés. Or, 8 % des salariés absents indiquent ne pas connaitre ces heures de sorties. Il y a une part de responsabilité des médecins en matière de communication dans ce domaine », souligne le directeur d’Axmedica. A ces chiffres s’ajoutent 3 % de non présentation à un contrôle médical sur convocation, 1 % de refus de contrôle et 6 % d’adresses erronées ou incomplètes. « Peu d’assurés savent qu’ils doivent préciser sur les certificats leur adresse complète et les codes d’accès d’immeubles », ajoute Raphaël Wecker. Au total, le bilan des arrêts justifiés atteint ainsi 68 %, selon Axmedica. En ce qui concerne les autres 42 %, l’employeur est susceptible de stopper le versement des indemnités complémentaires. Medicat Partner note, de son côté 53 % d’arrêts justifiés et 32 % de personnes absentes en dehors des horaires de sorties autorisés.
« Nous ne sommes pas là pour piéger les salariés. Nous conseillons un contrôle aléatoire - un sur X arrêts - afin d’éviter que des salariés ne se sentent visés. Par ailleurs, le secret médical est respecté. Nous ne transmettons qu’une conclusion administrative aux employeurs : justifié, absence de réponse… Mais la fraude existe. Le taux d’absentéisme varie de 5,6 % dans le privé à 10,5 % dans la fonction publique d’Etat et atteint 13,5 % dans les collectivités territoriales. Comment expliquer, par ailleurs, des variations d’arrêts maladie de un à deux ou trois selon les régions ? », s’interroge Michèle Laporte qui souligne que « trois salariés sur quatre souhaitent un renforcement du contrôle pour plus de justice au sein de leur établissement ! Une absence injustifiée est très mal vécue par les autres collaborateurs ». La fraude a aussi un coût, « estimé en moyenne à 750 € par jour en comptant la visite chez le médecin, les indemnités versées, l’éventuel remplacement du salarié… », précise Raphaël Wecker.