PAR LE Dr PASCAL ROZOT*
LA MULTIFOCALITÉ représente un moyen classique de compensation de la presbytie, en utilisant le principe de vision simultanée qui nécessite une adaptation cérébrale. En raison du partage de la lumière incidente pour chaque foyer, il y a une réduction des contrastes, chaque foyer recevant seulement une fraction de l'énergie lumineuse. Le procédé peut être utilisé dans le cadre de la cataracte, en l'absence de contre-indications ; de plus en plus, il est proposé un remplacement du cristallin clair presbyope par une lentille multifocale, technique de chirurgie réfractive à part entière, afin d'apporter une vision de près et/ou une vision intermédiaire utiles sans correction, tout en maintenant ou en améliorant la vision de loin.
Implants multifocaux diffractifs
•Implant ReSTOR (figure 1). Sa trame diffractive est sur la surface antérieure de la lentille. L'addition est de 4 dioptries, ce qui donne environ 3,2 dioptries au plan lunettes. Il s'agit d'un acrylique hydrophobe monobloc avec filtre jaune, mais il existe une version « 3 pièces ». Sa caractéristique principale concerne l'apodisation des zones diffractives, ce qui correspond à une diminution progressive de la hauteur des marches de diffraction du centre vers la périphérie, ce qui permet de répartir l'énergie lumineuse selon le diamètre pupillaire, afin de diminuer les phénomènes photiques (halos). Il s'injecte par une micro-incision de 2,0 à 2,2 mm.
•Implant Tecnis Multifocal (figure 2). Pour cet implant en silicone, le réseau diffractif est placé sur la face postérieure de la lentille. Sa face antérieure est prolate, ce qui supprime les aberrations sphériques oculaires totales. L'addition est de 4 dioptries, ce qui correspond à 2,8 dioptries au plan lunettes. La diffraction est équilibrée entre la vision de loin et la vision de près quelle que soit la pupille. Ses haptiques en PVDF et en « C » lui confèrent une grande stabilité ; son injection se fait par une incision de 2,8 mm.
•Implant AcriLISA (figure 3). Il s'agit d'un implant monobloc acrylique hydrophile avec traitement de surface hydrophobe, dont 65 % de l'énergie lumineuse est dévolue à la vision de loin et 35 % à la vision de près. L'addition est de 3,75 dioptries, soit environ 3 dioptries au plan lunettes. Le lissage des marches de diffraction tend à réduire les effets photiques. Son optique corrige les aberrations sphériques ; il est injectable par une incision de 1,8 mm.
•ImplantMicroSil (figure 4). Cet implant « 3 pièces » en silicone, dont la constante A est de 118,6, est injectable par l'intermédiaire d'une incision de 2,8 mm. Son addition est de 3,5 dioptries, soit 2,6 dioptries au plan lunettes. La diffraction est équilibrée entre la vision de loin et la vision de près. Il présente une réduction linéaire de la hauteur des marches à partir de la quatrième zone, ce qui donne plus d'énergie lumineuse pour la vision de loin, à pupille dilatée.
Implants multifocaux réfractifs
•Implant ReZoom (figure 5)
C'est la nouvelle version de l'implant AMO-ARRAY. Il présente cinq zones réfractives avec une transition asphérique. La diminution de la largeur des zones du centre vers la périphérie réduit les phénomènes photiques (Balanced View Optics). Il est en acrylique hydrophobe et l'addition est de 3,5 dioptries, soit 2,6 dioptries au plan lunettes. Il s'injecte par une incision de 2,8 mm.
•Il existe d'autres implants réfractifs tels MF4 (Zeiss Ioltech) et M-FLEX (Rayner).
Performances visuelles.
Comparativement à l'implant réfractif de référence (AMO Array SA40N), les nouveaux implants diffractifs permettent d'obtenir une vision de près sans correction nettement améliorée. La vision de loin reste en général très satisfaisante, avec des taux d'acuité non corrigée supérieurs à 5/10 dépassant 90 %, alors que la vision de près est à P2 dans 96 à 100 % des cas. Du fait du caractère plutôt bifocal des implants multifocaux diffractifs, les courbes de défocalisation objectivent une vision intermédiaire de niveau légèrement inférieur à celles de l'implant réfractif ReZoom. La sensibilité aux contrastes des implants diffractifs garde des niveaux très satisfaisants. Enfin, le port de verres correcteurs est significativement inférieur avec les nouveaux implants diffractifs : dans une série personnelle (recul de trois ans), 65 % de patients ne portent jamais de verres correcteurs (40 % pour l'implant SA40). Les patients porteurs d'implants diffractifs ont surtout besoin de verres en vision intermédiaire ; dans certains cas, de verres de vision de loin teintés pour limiter l'éblouissement. L'implant ReZoom nécessite plutôt un complément en vision de près, notamment pour la lecture prolongée. Quel que soit le modèle, des halos spontanés existent dans près de 20 % des cas. Les éblouissements sont plus fréquents avec l'implant ReSTOR ; environ 10 % de l'ensemble des patients se plaignent d'une gêne significative à la conduite de nuit.
Clés du succès de l'implantation multifocale
Elles passent tout d'abord par une information préopératoire circonstanciée. Il faut décrire les risques d'une phacoexérèse (fiche de la SFO). Il faut signaler que la performance visuelle est optimale lorsque les deux yeux sont opérés, qu'il existe un temps d'apprentissage, qu'une correction optique peut être parfois nécessaire pour certaines tâches. Enfin, il est prudent de décrire la possibilité d'un ajustement chirurgical réfractif secondaire.
Le succès passe également par la qualité du résultat biométrique. Il convient d'utiliser une biométrie optique de type Iolmaster, de personnaliser la constante A. Il faut utiliser des formules de nouvelle génération : les sujets myopes répondent en général parfaitement à la formule SRK-T. Si l'implant ReSTOR répond bien à la formule Holladay pour des hypermétropies moyennes, la formule Hoffer-Q sera préférable pour les fortes hypermétropies. Pour l'implant Tecnis Multifocal (angulé et donc plus postérieur), nous utilisons la formule [moyenne de la SRKT et de la formule de Haigis –0,50 dioptries].
Une qualité chirurgicale optimale est également nécessaire : outre la micro-incision, il faut un capsulorhexis qui recouvre légèrement l'optique sur 360°. Le polissage capsulaire doit être soigneux, et il faut procéder au retrait complet du viscoélastique, notamment sous l'implant.
Contre-indications.
Les contre-indications absolues concernent toute pathologie oculaire avérée, qu'elle concerne la rétine ou le nerf optique ou les pathologies neuro-ophtalmologiques, de même que les monophtalmes et les patients amblyopes. Il existe des contre- indications psychologiques (patients ayant des attentes réfractives démesurées, obsessionnels, professionnelles (pilotes, photographes, conducteurs de nuit). Les contre-indications relatives vont concerner les patients âgés, car l'on sait qu'il existe une baisse des contrastes et une adaptation cérébrale plus aléatoire. Pour les patients emmétropes, une discrète perte de la performance en vision de loin pourrait être mal acceptée. Les astigmatismes supérieurs à 1 dioptrie sont classiquement des contre-indications, mais certains proposent un geste réfractif concomitant ou différé. Enfin, en cas de pupille large, les halos seront plus gênants.
Indications.
En ce qui concerne l'extraction de cristallin clair, la tranche d'âge optimale se situe entre 50 et 60-65 ans. Idéalement, ces yeux sont porteurs d'une amétropie sphérique avec intolérance définitive aux lentilles de contact. Si classiquement l'hypermétrope reste la meilleure indication, il est préférable de réserver chez le sujet myope un implant dont l'addition est de 4 dioptries, qui ne pénalisera donc pas la vision de près sans correction. Une autre indication émergeante concerne les yeux préalablement opérés de chirurgie réfractive. Enfin, certaines indications concernent les cas où d'autres techniques seraient contre-indiquées (par exemple, le presbyLASIK en cas de pachymétrie faible). Le choix de l'implant à privilégier dépend de l'âge, de l'habitus et de l'examen. Selon les cas, on pourra privilégier surtout la vision de loin et la vision intermédiaire en proposant un implant de type ReZoom ; d'autres patients seront plus demandeurs d'une vision de loin et de près prédominantes, ce qui fait choisir l'implant ReSTOR ou l'implant AcriLISA, notamment chez le sujet plus jeune où la pupille est volontiers plus large. Une personne un peu plus âgée devrait logiquement bénéficier plus facilement du Tecnis Multifocal qui offre une meilleure vision de près en ambiance mésopique. Enfin, certains proposent des combinaisons d'implants, avec sur l'oeil dominant un implant ReZOOM, et l'oeil dominé un implant diffractif, afin d'améliorer la vision intermédiaire.
Les problèmes éthiques soulevés par l'extraction d'un cristallin clair n'étant pas résolus compte tenu de la possibilité des complications rétiniennes à moyen ou long terme, il est nécessaire de garder un grand discernement dans les indications.
* Clinique Monticelli, Marseille
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