P REMIER consommateur européen de psychotropes, la France semble avoir bien du mal à maîtriser la prescription des benzodiazépines dont la surconsommation présente des risques notamment de dépendance mais également de baisse de la vigilance.
Malgré toute une série de mesures prises dans les années quatre-vingt-dix pour encadrer davantage les prescriptions de cette classe thérapeutique (limitation de la durée de prescription, modification des indications thérapeutiques et des posologies, publication de référence médicale opposable et de recommandations de bonnes pratiques), cette tendance à la surconsommation persiste notamment, et c'est le plus inquiétant, pour les spécialités le plus fortement dosées.
Déjà en 1998, la commission de la transparence, qui passe en revue tous les médicaments de la pharmacopée, avait dénoncé les prescriptions, au-delà des posologies usuelles maximales, de deux anxiolytiques ayant des dosages forts à savoir le Tranxène 50 mg et le Nordaz 15 mg. Elle révélait qu'un quart des produits n'était pas prescrit dans les conditions prévues par leur autorisation de mise sur le marché. Quant au Rohypnol 1 mg qui était lui aussi largement prescrit, il fait désormais l'objet d'un suivi permanent des autorités sanitaires qui a décidé au mois de février dernier de le soumettre aux mêmes conditions de prescription et de délivrance que les stupéfiants.
Des consommateurs jeunes et masculins en majorité
Une étude portant sur la consommation de ces trois spécialités, qui vient d'être rendue publique par la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) confirme cet état de fait. Menée au cours de l'année 1999 dans dix régions auprès de 30 000 patients, elle constate que plus de 36 % des patients consommant du Nordaz 15 mg et du Rohypnol 1 mg et 23 % de ceux qui prennent du Tranxène 50 mg ont dépassé les posologies usuelles maximales. En moyenne, ceux-ci ont même consommé trois fois plus de produits que ceux qui respectaient la posologie.
Même chose pour les durées de traitement qui, dans 30 à 50 % des cas, sont supérieures à celles préconisées, dans la moitié des cas pour le Tranxène 50 mg et le Rohypnol 1 mg, indiquant une forme de dépendance à ces produits.
L'étude de la CNAM tente de dresser le profil des consommateurs qui sont plutôt des hommes et plutôt des jeunes. La consommation de Tranxène et de Rohypnol à des posologies élevées concerne respectivement 30 et 50 % des patients âgés de 20 à 40 ans. Cependant au-delà de 65 ans, encore 30 % des patients consomment du Rohypnol à des posologies élevées alors que l'AMM recommande au contraire des posologies réduites de moitié.
Une étude complémentaire conduite dans la région Alsace pour connaitre les causes de cette surconsommation montre que si dans 14% il s'agit de traiter des cas sévères ou psychiatriques, dans 85 % des cas, elle n'est pas conforme aux recommandations. Les motifs invoqués sont le plus souvent la dépendance psychologique et physique ou la chronicité des affections (troubles de l'anxiété et du sommeil).
L'étude met en évidence des chevauchements, voire des trafics, par la multiplication des prescriptions pour un seul assuré. 142 prescriptions ont été constatées pour un seul patient dans la région Nord - Pas-de-Calais.
La CNAM, qui attire l'attention sur les risques d'une telle surconsommation en termes de santé publique, qu'il s'agisse de dépendance, d'iatrogénie pour les sujets les plus âgés ou d'accidents de la route et du travail, juge donc « nécessaire » de rappeler au corps médical les recommandations de bonnes pratiques dans ce domaine.
L'AFSSAPS écrit aux prescripteurs
L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé diffuse en ce moment aux médecins, une lettre faisant le point sur le bon usage et les principales recommandations à respecter pour la prescription des benzodiazépines.
Dans sa correspondance, l'Agence insiste sur le fait que la prescription d'une benzodiazépine « ne constitue pas le traitement de fond d'un trouble anxieux et qu'une dépression doit être systématiquement recherchée », et que « la prescription d'une benzodiazépine doit se faire dans le respect des doses et de la durée de traitement recommandées ».
La lettre envoyée aux prescripteurs rappelle qu'en raison « du risque de dépendance, d'abus et d'usage détourné par les toxicomanes, plusieurs mesures, notamment de retrait, de déremboursement, et de suspension de fort dosage ont été prises successivement au cours des quinze dernières années ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature