Les pluies tombées sans arrêt de lundi à mercredi constituent, selon Météo France, un phénomène exceptionnel par son intensité et sa durée. Au moins cinq morts étaient déplorés mercredi. Mais la situation des habitants du sud-est et du centre-est de la France, telle que la rapportent les médecins, finit par être ressentie par les populations comme dramatiquement banale.
« Depuis septembre, c'est le troisième épisode que nous subissons, constate le Dr Charles Candillier, médecin-inspecteur de la direction départementale de l'Action sanitaire et sociale (DDAS) de l'Hérault, à Montpellier, le département le plus exposé mercredi aux intempéries, le seul pour lequel ait été déclenché le plus haut degré de l'alerte, l'alerte rouge. A la longue, les gens finissent par être de moins en surpris et de plus en plus démoralisés. Le principal problème qu'ils affrontent, c'est la coupure des axes de circulation. Avec toutes les routes coupées, beaucoup de gens renoncent à aller travailler et restent chez eux. Et ce sont surtout les pompiers qui sont sur le pont ».
De fait, si le médecin de la DDASS a réussi à rejoindre son bureau, il lui a été impossible de se rendre à la cellule de crise réunie à la préfecture, pourtant distante de 1 km seulement. Et il n'est pas certain de pouvoir regagner son domicile. « Cela dit, ajoute-t-il, la situation n'est pas catastrophique, elle est sérieuse, il faut suivre en particulier de près la qualité de l'eau potable, être attentif au fonctionnement des structures d'accueil des personnes âgées et handicapées, à la situation des dialysés et superviser les problèmes d'hébergement d'urgence. Tout cela est sous contrôle, urgences hospitalières comprises. »
Les généralistes refusent aussi de céder au catastrophisme. A Mauguio, chef-lieu de canton de 12 000 âmes, à une dizaine de km au sud-est de Montpellier, l'un des sites les plus durement touchés du département, le Dr Daniel Wiblé a passé la matinée à éponger sa salle d'attente en attendant des patients qui ne sont pas venus. Il s'est aussi rendu à grand peine au foyer-résidence des personnes âgées, où son arrivée a été d'autant plus appréciée des pensionnaires qu'aucune infirmière n'avait pu rejoindre son poste. « Sinon, pratiquement personne n'a téléphoné, note-t-il. Même pas pour la grippe, qui nous a fait beaucoup courir ces dernières semaines. En fait, sur le plan épidémique, le fait que les gens restent chez eux est plutôt un bon facteur prophylactique. »
« L'humidité ambiante pourrait toutefois relancer les gastro-entérites », pronostique de son côté le Dr Thierry Launais, autre praticien de Mauguio, lui aussi contraint à une sorte de chômage technique. « Les conséquences médicales pourraient aussi être ressenties un peu plus tard, avec des syndromes d'angoisse. »
Car, comme le souligne le Dr Philippe Rouquette, l'angoisse monte ici avec le niveau des eaux de la Balaurie, ce modeste ruisseau dans lequel se déversent les eaux en crue du canal du bas Rhône et qui devient alors redoutable.
Au SAMU de Montpellier, le Dr Jean-Paul Richard, médecin régulateur, ne se départit pas davantage de son calme. Tout juste reconnaît-il quelques difficultés à gérer les transports en ambulances. Des problèmes aussi avec les dialysés, un centre ayant été mis hors service pour des problèmes de filtration, d'autres centres ayant alors été appelés à la rescousse. Quant aux urgences, elles semblent plutôt moins nombreuses que d'ordinaire et l'activité hospitalière inférieure à la moyenne, les interventions faisant l'objet d'un report à chaque fois que c'est possible.
Des libéraux très présents sur le terrain
Dans le Gard aussi, « on gère la crise », affirme le Dr Denis Delniesta, régulateur au SMUR d'Arles, qui tire un coup de chapeau aux libéraux, « très présents sur le terrain ». Dans ce département, deux maisons de retraite ont dû être évacuées préventivement et leurs pensionnaires orientés vers des hébergements d'urgence. « Jusque-là, tout va bien, mais, prévient-il, personne ne sait ce que nous réservent les prochains jours et ne peut dire comment nous pourrions faire face au déluge. »
Un déluge qui s'est déjà produit par endroit, comme à L'Ardoise, village gardois de 800 habitants, en partie évacué. Le Dr Olivier Anthérieu n'a pu accéder mercredi à son cabinet. Le niveau des eaux a atteint la côte de 1,5 m. « Ça fait un choc », reconnaît le généraliste, qui avait hésité l'été dernier à contracter une assurance perte d'exploitation. Aujourd'hui, il en est réduit à attendre que la mairie veuille bien lui trouver un local pour reprendre son activité.
Non loin de là, à Codolet, bourg de 550 habitants dont 150 ont du être évacués, le Dr Philippe Madelaine pourrait travailler dans son cabinet qui a échappé à la crue, alors que son habitation, au village voisin de Chusclan, est sous 80 cm d'eau. Il pourrait donc consulter, sauf, se désole-t-il, que les patients ne viennent pas : « Ceux qui sont restés préfèrent rester claquemurés à l'intérieur de leur maison. »
Mais tout est relatif ; en septembre 2002, dans la même commune, la précédente crue « historique » avait fait deux victimes, une jeune femme et un vieil homme qui logeaient dans le camping communal et dont les corps avaient été charriés sur des kilomètres par les flots déchaînés avant d'être repêchés.
« C'est la grande différence par rapport à l'année dernière, souligne le praticien : ce coup-ci, la montée des eaux s'est faite de manière lente, on a échappé à l'espèce de raz-de-marée qui avait déferlé et fait souffler pendant quelques heures un vent de panique. A l'époque, des soutiens psychologiques avaient été nécessaires pour beaucoup d'habitants, avec des prescriptions de tranquillisants. Rien de tel pour cette fois. »
« C'est moins brutal, mais pas forcément moins angoissant », estime pour sa part le Dr Christine Laupies, qui exerce à Bagnols-sur-Cèze, dans cette commune où, avec son associé, le Dr Jacques Broche, elle avait perdu en 2002 un patient, octogénaire handicapé, mort noyé dans sa maison (« le Quotidien » du 11 septembre 2002).
Dans la Loire, le Dr Alain Colmant, médecin-inspecteur de la DDASS de Saint-Etienne, précise que le sort des personnes handicapées est au cur des préoccupations des services administratifs. Deux maisons d'accueil spécialisées de son département ont ainsi été évacuées. Leur quarantaine de patients ont été orientés vers d'autres établissements. La vigilance s'impose spécialement pour ces populations.
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