Pour la première fois de son histoire, le conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a porté à sa tête un généraliste en activité, rompant ainsi avec une solide tradition de présidents retraités, issus du moule hospitalo-universitaire. Après les mandarins, le fantassin. Ce président de 58 ans continue à exercer environ deux jours pleins par semaine à Villemomble, dans le 93. « Une partie de ma légitimité vient de là », se plaît-il à répéter. Les syndicalistes ne s’y trompent pas. Pour le Dr Jean-Paul Ortiz, patron de la CSMF, « Patrick Bouet connaît les difficultés du métier ».
Échéances électorales obligent, le Dr Bouet devra, en juin 2016, se représenter à son siège de conseiller national s’il veut entreprendre un 2e mandat. À mi-parcours, son bilan est contrasté mais il n’est pas mince. À peine élu, le nouveau président s’est vite lancé dans l’action. Les premières semaines, il a multiplié les apparitions tous azimuts aux congrès de médecins, d’internes et d’étudiants, incarnant un Ordre attentif aux préoccupations du terrain. Son objectif était de remettre l’Ordre au centre du jeu. Il s’y est attelé en s’impliquant personnellement dans plusieurs dossiers :le recours contre le décret relatif au Sunshine Act, la concertation sur la fin de vie, la loi de santé bien sûr et l’organisation d’un congrès national de l’Ordre où François Hollande est intervenu pour tenter de rassurer une profession en proie au doute.
Une vigie sur la démographie médicale
L’Ordre affiche la volonté de s’ouvrir davantage aux patients. Un pôle spécifique a vu le jour pour travailler avec les nombreuses associations existantes. « Nous créons des liens qui n’existaient pas avant », se félicite Patrick Bouet. Mais au Collectif interassociatif sur la Santé (CISS), on tempère ce bel enthousiasme. « Tout ça manque encore un peu de vie, juge un responsable. Des contacts ont bien été pris mais il n’y a pas encore de calendrier, ni de thèmes de discussions retenus. »
Très critique sur le dispositif organisant la transparence des liens entre professionnels de santé et industriels, l’Ordre a déposé un recours auprès du Conseil d’État. L’institution a marqué des points vis-à-vis des praticiens soucieux d’indépendance, mais ne s’est pas fait que des amis chez les industriels, très pointilleux sur la préservation du secret des affaires.
Sur l’épineux dossier de la fin de vie, l’Ordre a tout à la fois donné son feu vert à la sédation finale et réitéré son opposition à l’euthanasie. Il a radié définitivement du tableau le Dr Nicolas Bonnemaison, pourtant acquitté en première instance en juin 2014 de l’accusation d’empoisonnement de sept patients. Droit dans ses bottes, Patrick Bouet estime que l’Ordre a eu raison, d’autant que le Conseil d’État a rejeté le pourvoi du Dr Bonnemaison. Pour lui, un médecin ne peut s’affranchir de l’éthique et de la déontologie.
Le CNOM demeure une vigie qui alerte tout à fois chaque année sur les dangers de la désertification médicale, tout en donnant des gages de modernité, étant ouvert aux évolutions liées à la télémédecine ou à la santé connectée. Son président s’alarme de l’augmentation préoccupante des actes de violence sur les médecins et du malaise de la profession soumise au burn out quand une anesthésiste met fin à ses jours Châteauroux. Il intervient encore pour demander la reprise des discussions entre le ministère de la Santé et les jeunes médecins sur le temps de travail des internes à l’hôpital.
Plates-bandes syndicales
En septembre dernier, le Dr Bouet prend de court les syndicats en s’opposant frontalement au projet de loi de santé. Sortant de sa réserve traditionnelle, le président du CNOM pointe dans « le Figaro » les dangers « d’une médecine réglementée et administrée ». Deux mois plus tard, le conseil national juge à l’unanimité que le texte n’était « pas acceptable en l’état ». Le Dr Bouet s’attribue volontiers le mérite de la concertation obtenue. « Si je n’avais pas prononcé mon discours des vœux, les choses ne se seraient pas passées comme ça », croit-il savoir.
Cette intervention, venant d’un homme policé et à la langue de bois selon ses détracteurs, a surpris le Dr Jean-Pierre Door, député UMP du Loiret. « Sa prise de position a été si ferme qu’elle a fait trembler le gouvernement et l’Élysée », assure le parlementaire.
Les syndicats ne boudent pas leur plaisir de trouver l’Ordre à leurs côtés. Le Dr Jean-Paul Hamon, patron de la FMF, juge que « l’Ordre a été impeccable et courageux ». Au SML, le Dr Éric Henry n’est pas en reste : « l’Ordre a entendu nos craintes, on sent bien que Bouet a les pieds dans le terrain ».
Jean-Paul Ortiz est plus nuancé, invitant l’Ordre à « respecter les domaines de compétences des uns et des autres ». En clair, la CSMF trouve que l’institution marche sur ses plates-bandes syndicales. Le Dr Claude Leicher, patron de MG France enfonce le clou. « Il faut que l’Ordre reste au-dessus de la mêlée. Ce n’est pas un syndicat, mais un recours ».
Patrick Bouet n’en a cure, rappelant qu’en parlant au nom de la profession, l’Ordre accomplit la mission que lui a confiée le législateur, « qui est de formuler des avis aux autorités.Certains nous reprochent de nous comporter comme un syndicat. Mais quand je vois tous les gens qui nous félicitent ! »
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