Le Bureau central de tarification des assurances (BCT) « a pris son rythme de croisière » ; pas loin de 300 dossiers de médecins et de cliniques en mal d'assurance ont été traités en deux mois.
A en croire le Dr Jacques Meurette, qui représente les médecins libéraux au BCT et qui préside l'Union des chirurgiens français (UCF), tout roule au BCT. « Maintenant qu'on a fixé une méthodologie commune avec les assureurs, ça va assez vite. L'urgence sera réglée, il n'y aura personne sans assurance le 1er janvier, affirme, confiant, le chirurgien syndicaliste . Certes, il y a des cas difficiles, par exemple des stomato ou des ORL qui font de la chirurgie : là, ça discute. Mais pour la majorité des praticiens, nous fixons les tarifs suivants : 11 500 euros hors taxe pour les obstétriciens non chirurgicaux, 15 300 pour les chirurgiens, 5 700 pour les anesthésistes. »
Ce chemin tout tracé - saisie du BCT après deux refus d'assurance, qui fixera le montant de la prime à payer à l'assureur choisi par l'assuré - ne fait pourtant pas l'unanimité parmi les praticiens. Le Dr Philippe Normand est chirurgien viscéral dans une clinique à l'est de Paris. Aucun sinistre à déclarer en vingt années d'exercice libéral. Son contrat en responsabilité civile professionnelle (RCP) au Groupement temporaire d'assurances médicales (GTAM) prend fin le 31 décembre. La voie ouverte par le BCT, il n'en veut pas. « Vu mon profil, le BCT me proposerait 15 000 euros hors taxes : comme beaucoup d'autres, je refuse d'y aller, c'est trop cher et indigne ! »
Mais alors, que compte-t-il faire pour se sortir de l'impasse ? « AXA me propose 20 000 euros, j'ai refusé. D'après mon courtier, toutes les autres compagnies me refusent, à part la MACSF : je vais lui dire que je m'engage à supprimer les actes lourds - les rectums et les pancréas difficiles - pour voir si cela peut faire baisser ma prime. Si, au final, personne ne peut m'assurer, j'irai en Angleterre, sans aucun état d'âme. »
Cette situation qui l'amène à trier les patients, le Dr Normand la dénonce avec force. « La judiciarisation nous fait perdre notre sang-froid, elle nous conduit tout droit à sélectionner les malades. Jusqu'à présent, j'étais excité d'aller au bloc. Maintenant, j'ai une appréhension. Pour être tranquille, je pense que je ne vais plus opérer la nuit, que je ne vais plus, par exemple, prendre en charge une femme obèse éventrée même cher payée, à cause du risque d'aléa. »
Il y a peu, ce chirurgien viscéral a effectué un acte délicat qu'à l'avenir il ne veut plus tenter. « J'ai opéré une tumeur collée à la paroi abdominale antérieure, alors qu'un autre chirurgien avait refusé de le faire un an plus tôt. Ce faisant, j'ai pris un risque. Mais grâce à cela, le patient est reparti pour un tour. » Le Dr Normand a bien conscience qu'en refusant un acte pour se protéger il fait perdre une chance à son patient. Mais il ne voit pas d'alternative au problème.
« La chirurgie est assassinée par la hauteur des primes d'assurance, dit-il . Cela dure depuis trois ans, je suis exaspéré par l'attentisme politique. » Le médecin a donc décidé de rejoindre le mouvement de certains chirurgiens qui se fédèrent dans une association, « chirurgiens de France », « pour dénoncer la distorsion entre le KC qui stagne et la RCP qui flambe ».
Le Dr Pierre Anhoury tient un tout autre discours. Cet expert, membre de l'institut américain de gestion des risques (ECRI), a le sentiment que les médecins français prennent le problème par le mauvais bout. « Au lieu de répéter sans arrêt que la RCP flambe, les médecins feraient mieux de mettre en place quelques mesures pour faire revenir les assureurs. Cela a marché dans d'autres pays, pourquoi pas ici ? » Pour ce spécialiste, la mise en place d'une politique active de gestion des risques au sein des établissements de santé ( via la FMC, le signalement systématique des événements inattendus, la communication en interne à tous des statistiques des événements indésirables), couplée à des programmes de formation élaborés par les sociétés savantes, peut changer les pratiques.
Et faire baisser les primes : « Il faut une contractualisation fiable qui garantisse aux assureurs que le médecin s'engage à limiter les risques. Ailleurs, cela leur a permis de réduire leurs tarifs. »
Le chirurgien viscéral de l'est parisien n'est guère séduit par l'idée. « La vigilance et la gestion des risques, on connaît déjà : on fait sans cesse des fiches d'incident. Quant à l'amélioration des pratiques, je ne vois pas ce que je peux changer. Quand je ne sais pas un geste, je l'apprends par compagnonnage, en regardant les autres. La formation médico-chirurgicale ne se fait pas dans des congrès ou sur des brochures. » Le Dr Philippe Normand en reste à son idée première : s'il ne trouve pas un tarif raisonnable pour 2004, il file à l'étranger.
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