Auteur d’un ouvrage sur le sujet (1), le Pr Éric Galam, analyse pour « le Quotidien » les dangereuses liaisons qu’entretiennent erreur médicale et burn out du soignant :
« La récente mise en cause pour erreur médicale de l’anesthésiste de la maternité d’Orthez pourrait être l’illustration emblématique des rapports d’une société à ses soignants dysfonctionnels : à la fois juste et utile.
Elle devrait en tout cas contribuer à « réparer » autant que faire se peut la souffrance des patients et de leurs proches mais aussi neutraliser les soignants incompétents et, surtout à l’ère de la pénurie médicale, permettre à ceux qui sont sanctionnés ou simplement impliqués, de mieux travailler par la suite.
Pour le soignant, la mise en cause se traduit par un mélange de consternation, colère, culpabilité, souffrance, peurs… et entraîne des risques de délégitimisation professionnelle et sociale. Le drame d’Orthez – qui s’est accompagné du décès d’un patient – est extrême et la plupart du temps, les médecins ne sont confrontés au cours de leur carrière qu’à des « presque-accidents », des événements indésirables non évitables, des accidents mineurs ou de « simples » reproches.
Pourtant, qu’il adhère ou non à la mise en doute de sa compétence ou à sa dangerosité suspectée, le professionnel doit bien se défendre et continuer à soigner d’autres patients. Bien que fragilisé, il se doit d’être aussi exemplaire que possible puisque s’il s’effondre, il perd toute crédibilité et reconnaît en quelque sorte sa culpabilité. C’est sans doute pour ces raisons que les médecins citent la mise en cause de leur exercice.
parmi les facteurs favorisants de burn out,
Entre prise de risque et principe de précaution
Lorsqu’il est mis en cause, le médecin peut être envahi par un sentiment d’injustice : il a soigné un nombre important de personnes sans qu’elles aient eu à s’en plaindre, il a pris tant et tant de décisions et une seule d’entre elles, inadaptée – ou ressentie comme insatisfaisante – suffira à remettre en question toutes les autres…
Pourtant, dans la pratique quotidienne, sa fonction est aussi de voiler ou d’assumer l’incertitude pour apaiser l’angoisse du malade et le rassurer sans lui faire part de ses doutes éventuels.
De plus, le médecin doit ajuster ses décisions en prenant en compte les attentes et les besoins des patients, mais aussi l’intérêt de la collectivité. Or, la prise de risque fait partie de son métier même si le principe de précaution s’applique lui aussi.
Le passage d’une relation d’aide au conflit avec un patient traduit un changement qualitatif radical. Le patient est infiniment libre : il est l’usager, en position de faiblesse, il n’a certes pas le droit aux caprices, mais il mérite que l’on tienne compte de ses besoins, de ses demandes, de ses contradictions de ses fragilités, de ses hésitations… Et s’il est insatisfait, à juste titre ou non, il peut attaquer le médecin devant différentes juridictions : ordinale, pénale, civile. Pour sa part, le praticien ne recourt qu’exceptionnellement à des plaintes vis-à-vis des patients, même en cas d’accusations mensongères. Lorsqu’il devient justiciable, le médecin se retrouve seul mis en cause, ce qui est légitime mais réducteur puisque d’une part, il incarne le soignant dans un contexte donné et que, d’autre part, il est tributaire du dispositif de soins notamment dans ses contradictions et insuffisances. De plus, pour le patient comme pour le soignant impliqué dans un événement indésirable lié aux soins, les statistiques ne sont pas « humainement » opposables…
Un professionnel délégitimisé : la seconde victime
Face à l’erreur médicale réelle ou alléguée, les modes de défense psychologique du médecin peuvent varier : fuite (refoulement et oubli), rejet de la responsabilité, distanciation (cela peut arriver aux autres, j’ai fait de mon mieux), introjection (sentiment de culpabilité, de honte, de désespoir), médecine défensive (sélection de la clientèle, des actes).
Qu’elle soit notoire ou non, justifiée ou non, la mise en cause du médecin retentit sur son appartenance au groupe professionnel dont il sent bien qu’il ternit l’image. Et les soutiens affirmés des collègues sont tout à fait exceptionnels. Au mieux, le médecin peut recueillir un peu de compassion, mais le plus souvent il trouvera indifférence, voire des critiques et une stigmatisation. Et même s’il est soutenu par ses pairs, il ressent profondément sa défaillance professionnelle comme une trahison. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer le très fameux « primum non nocere » ou les derniers mots prononcés à l’occasion du serment d’Hippocrate et qui marquent l’entrée dans la confrérie des médecins : « Que je sois couvert d’opprobre et méprisé de mes semblables si j’y manque. »
Chaque médecin vit à sa manière le risque juridique : certains n’y pensent jamais estimant que ça n’arrive qu’aux autres, tandis que d’autres construisent leur pratique à l’aune de la mise en cause éventuelle. Chacun réagit avec sa personnalité, son histoire notamment sa position vis-à-vis du reproche, sa confiance en sa pratique, ses doutes sur lui-même et ses conceptions de la médecine, des patients, de sa fonction, de la nature et de l’étendue de sa responsabilité. En cas de mise en cause, toujours impérieuse, les questions, menaces, ruminations et peurs retentissement sur l’exercice professionnel et la vie familiale. Et c’est ce qui peut faire basculer le médecin vers le burn out. Face à la justice, comme face à la maladie, chacun se retrouve seul et plus ou moins bien accompagné par ses proches et ses collègues. »
(1) Éric Galam, « L’erreur médicale, le burn out et le soignant », Springer 2012
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