LA JOURNÉE de travail qui s'est tenue à Paris a été l'occasion de présenter les résultats de récentes études scientifiques et de mettre en perspective le concept d'Umwelt, à la lumière des neurosciences nouvelles. Ce terme allemand, «le monde environnant» littéralement, fait référence à une théorie connue depuis le début du XXe siècle et redevenue aujourd'hui un concept directeur dans l'étude et la compréhension du comportement animal.
Exit l'idée d'organismes vivants telles des machines qui réagiraient par des actes réflexes à des stimuli. Pour comprendre l'animal, il doit être considéré «en échange fluide avec son environnement». L'appréhension de « la réalité » n'est pas une toile de fond, statique, immuable, intrinsèquement vraie, mais elle résulte d'une confrontation de la perception innée de l'environnement, animé ou inanimé, et des interactions avec lui.
« Nous créons le monde. »
La perception du réel par l'homme tient en un monde mental, subjectif, un monde qui fait sens pour lui, «de la même manière que le monde mental de la tique est guidé par le gradient d'acide butyrique», fait constater Yves Christen (fondation Ipsen). Cette image individuelle du monde n'est pas le résultat d'une perception passive mais d'une mécanique cérébrale, d'une «construction». A partir d'une représentation mentale, au contact de l'environnement, les hypothèses échaffaudées par le cerveau sont en quelque sorte testées : le système extérieur valide ce qui est produit à l'intérieur. Ce qui, au niveau neurobiologique, s'illustre par une «discussion» entre le thalamus, relais des stimuli, et le cortex cérébral. De cet échange et des stimulations des sens qui sont reçues se construit l'image du monde réel. L'appréhension du monde environnant, animé ou inanimé, suit-elle également ce schéma chez les animaux ? Un certain nombre d'études résumées par Yves Christen au cours de la conférence de presse qui a suivi le colloque attestent pour le moins de capacités mentales similaires aux nôtres chez certains groupes d'animaux pourtant très différents.
La conception du temps comme prêter un état mental à un individu, de la même espèce ou pas, sont deux caractéristiques importantes de la capacité mentale de l'homme. Déjà observées chez les primates, ces capacités cognitives ont été vérifiées chez un oiseau, le geai à gorge blanche. Un résultat des travaux menés par Nicola Clayton (université de Cambridge) qu'Yves Christen qualifie comme «l'une des plus intéressantes découvertes de la biologie en termes d'opérations mentales». Ces corvidés cachent des réserves de nourriture et se rappellent où elles se trouvent (passé), mais savent également ajuster la taille et l'emplacement de la réserve en fonction du besoin perçu (futur). De la même manière, ils déplacent leur butin quand ils ont été vus en train de le cacher ou quand ils ont déjà eux-mêmes volé la nourriture d'un autre.
Notre perception en vaut une autre.
«A défaut de pouvoir vérifier que le monde réel existe», rappelle Yves Christen, les systèmes de connaissances cognitifs puisent des significations dans ce qui nous entoure. Permettant à l'homme et à d'autres animaux d'appréhender la réalité, au travers de l'interaction entre les gènes, d'une part, le développement et l'expérience, d'une autre, qui mettent l'individu en accord avec son environnement. La limite de cette approche moderne fondée sur l'Umwelt étant de ne pouvoir «percevoir que ce que nous attendons, selon notre connaissance innée et acquise du monde». Un constat qui, souligne- t-il en conclusion, a «des implications essentielles pour la compréhension du comportement humain normal et du développement des maladies mentales et des états déviants comme le fanatisme».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature