NOUS VIVONS sans doute la fin du miracle antibiotique de la seconde moitié du XXe siècle. En dehors de la multiplication des résistances, le risque de mutations des bactéries, y compris des bactéries commensales, dont les répercussions pourraient être dramatiques, est réel. Les phénomènes de rupture produits par l'utilisation généralisée des antibiotiques sont réellement de nature écologique, expliquent les auteurs. Quelles solutions allons-nous trouver pour juguler ces interférences, parfois délétères, entre les performances de la science et des techniques et le substrat même des conditions de survie de notre espèce, la résistance bactérienne n'étant qu'un exemple parmi d'autres ?
Pour faire prendre au lecteur la mesure du problème, Antoine Andremont, professeur de bactériologie à l'université Paris-VI, qui travaille depuis longtemps sur la résistance bactérienne aux antibiotiques, propose dans une première partie une histoire des antibiotiques, avant de laisser Michel Tibon-Cornillot formuler une relecture de ces événements «à la lumière d'un analyseur, celui du déferlement des systèmes techniques contemporains».
Dès 1944, parallèlement à sa découverte de la pénicilline, Fleming envisage la survenue de possibles résistances des bactéries aux antibiotiques en cas d'utilisation irrationnelle. Le lauréat britannique du prix Nobel 1945 n'aura pas l'occasion de les observer. A sa mort, en 1955, les pneumocoques sont toujours sensibles, et cela dans le monde entier ; dans les années 1960, des publications souligneront d'ailleurs cette constance pour conclure qu'aucune méfiance ne se justifie face à une utilisation massive ! Mais en 1967, les premières souches moins sensibles sont identifiées en Afrique du Sud et, depuis, la résistance n'a fait que croître et embellir dans le monde entier.
Systèmes non régulables.
La relation frappante entre le niveau de résistance et le niveau de consommation est aujourd'hui incontestable et incontestée. Une certaine prise de conscience voit le jour, comme en témoignent, en France, les campagnes des pouvoirs publics incitant à la prudence (« Les antibiotiques, c'est pas automatique »), responsables d'une réduction de la consommation d'environ 15 %.
Si la réduction de la consommation ne peut qu'être bénéfique, elle ne constitue pas la solution radicale et ne résout pas la question de la découverte d'autres modalités de thérapeutiques anti-infectieuses. Comme celle du respect de l'écologie environnementale, expliquent les auteurs. Car c'est aux enjeux de la production des antibiotiques, aux modalités de la recherche en général, et plus généralement à l'impact du «déferlement des systèmes techniques contemporains» qu'il faut réfléchir, disent-ils.
Ces systèmes, explique Michel Tibon-Cornillot, ne sont plus régulables ; ils agissent sur des systèmes écologiques (problèmes des ressources halieutiques, par exemple) comme sur des systèmes sociaux (techniques de la reproduction entre autres). La vie des 6,5 milliards d'hominidés qui peuplent la planète a pris 6 millions d'années pour se mettre en place sous la forme que nous connaissons aujourd'hui et, en trente-cinq ans, l'humanité a totalement modifié la nature des millions de milliards de millions de bactéries, présentes dans la quasi-totalité des niches écologiques terrestres, du fait d'une pression sélective liée à l'épandage massif des antibiotiques.
«L'échec des antibiotiques concerne en effet l'un des domaines les plus féconds des pratiques biomédicales contemporaines et l'une des plus belles réussites scientifiques de l'histoire des sciences modernes», affirment A. Andremont et M. Tibon-Cornillot. L'ouvrage se situe dans une perspective de prise de conscience environnementale au sens large et constitue une réflexion comme une prise de position politique : cette évolution préoccupante s'inscrivant «dans un seul et même contexte, celui formé par les sciences et les techniques occidentales et l'organisation industrielle de la production». Mettre en place un dispositif d'alerte générale, de mesures immédiates pour contenir le danger et transformer façon de faire et façon de penser sont les trois « balises » proposées par les auteurs pour tenter d'échapper au pire. Au médecin, la tâche urgente de contenir et d'endiguer la montée des périls, au philosophe celle d'alerter ceux qui veulent bien entendre. C'est par ce programme évoquant tout aussi bien la philosophie de la recherche que son organisation que se termine l'ouvrage. Car, «pour combler un certain affaiblissement, la France doit bien agir avec vitesse et amplitude», afin d'échapper à la stérilisation de la recherche innovante et fondamentale sans pour autant empêcher les retombées industrielles. Les candidats à l'élection présidentielle s'en inspireront-ils ?
« Le Triomphe des bactéries », Antoine Andremont, Michel Tibon-Cornillot, éditions Max Milo, 256 pages, 20 euros.
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