DE NOTRE CORRESPONDANT
« JE N’AI AUCUN problème pour soigner des patients allemands, mais ils en ont beaucoup pour se faire rembourser », constate le Dr Christian Michel, généraliste à Strasbourg, et ses confrères allemands font la même remarque dans l’autre sens.
Créé en 2005 pour dynamiser la coopération transfrontalière entre Strasbourg et ses proches voisines, l’Eurodistrict a fait des sujets pratiques, dont la santé, une priorité. Pourtant, les progrès restent lents. Au cours d’un colloque organisé par l’Eurodistrict et le bureau franco-allemand Euro-Info consommateurs, de nombreux professionnels et patients ont témoigné de leurs problèmes concrets mais aussi de la quasi-ignorance, par les organismes de Sécurité sociale des deux pays, des possibilités de prise en charge dans le pays voisin. Cela se traduit souvent par des remboursements très tardifs et par des prises en charge insuffisantes… voire parfois refusées, constatent les responsables d’Euro-info consommateurs, fréquemment saisis pour régler ce type de litiges.
Il existe des vrais succès en matière de coopération sanitaire entre l’Alsace et le Bade-Wurtemberg. C’est notamment le cas des urgences, avec la possibilité pour les équipes des deux pays d’intervenir chez les voisins, ou pour la prise en charge transfrontalière des grands brûlés. « Mais cela fonctionne beaucoup moins bien en médecine quotidienne », observe le Dr Jean-Claude Bartier, directeur du SAMU du Bas-Rhin. Pour lui, les problèmes sont aggravés par les différences de fonctionnement et de tutelles des deux systèmes de santé : « En France, les ministres " nationaux " de la Santé veulent parler à leurs homologues fédéraux allemands, et non aux ministres régionaux qui sont pourtant chargés de l’organisation des soins, et cela complique tout », poursuit-il.
Certes, la demande de soins « chez le voisin » reste faible et concerne principalement, hors urgence ou soins spécifiques, des Allemands résidents en France et vice-versa, ainsi que des travailleurs frontaliers. Le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) d’Alsace, Laurent Habert, admet que les hôpitaux sont d’autant moins motivés à se lancer dans le transfrontalier que « la tarification à l’activité, comme la politique de l’emploi, les pousse à garder leur activité chez eux ». En outre, rappelle le directeur de la caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) du Bas-Rhin, Joseph Losson, « il n’est pas question de mieux prendre en charge les soins transfrontaliers que les soins en France », contrairement à ce que croient parfois certains patients.
L’art des décotes.
Le Dr Francis Ferrari, ophtalmologue près de Strasbourg, exerce simultanément des deux côtés du Rhin. Il lui est arrivé d’opérer de la cataracte des Français en Allemagne, et inversement mais il a constaté que dans les deux cas, c’est « très compliqué et très cher pour le patient, s’il n’est pas dans son pays d’origine ». Le Dr Thomas Weiss, neurologue à Kehl (la ville située juste en face de Strasbourg) a, lui, voulu faire simple : « Les caisses françaises sont perdues devant la complexité de notre système analytique de facturation, alors j’ai facturé des forfaits pour mes patients français, au prix d’une consultation en France… mais ça n’a pas servi à grand-chose ! » Les caisses allemandes ont pour leur part l’art d’appliquer des « décotes » et des « frais » à leurs assurés venant se faire soigner en France. Au point que certains obtiennent des remboursements dérisoires… et tout à fait dissuasifs. Et lorsque des aspects médico-sociaux s’ajoutent aux aspects médicaux, comme pour le traitement de certains enfants handicapés alsaciens au centre d’épilepsie de Kork, près de Kehl, les difficultés administratives deviennent quasi insurmontables, a témoigné la mère d’un enfant soigné par cet établissement.
« On est encore très loin de l’Europe des citoyens », remarque le Dr Alexandre Feltz, généraliste membre du conseil d’administration de l’Eurodistrict. Car si les soins fonctionnent, l’administration est loin de suivre. Le Dr Gilbert Luttenschlager, chirurgien-dentiste à Strasbourg et à Kehl, estime que le problème est moins lié aux nomenclatures qu’à la volonté politique, et s’interroge sur la réalité de cette dernière. Dans le même temps, Euro-info consommateurs, qui avait monté un projet pour encourager la santé transfrontalière, digère mal d’avoir vu sa demande de financement dans le cadre des programmes européens « Interreg » recalée au profit d’autres priorités.
Il y a cinq ans, ce même organisme avait organisé, à Kehl, la première rencontre franco-allemande sur le thème de la santé transfrontalière… Il constate avec regret que rien n’a bougé depuis. Alors que Strasbourg se targue d’être à la pointe de la construction européenne, la coopération sanitaire se passe plutôt mieux ailleurs, par exemple entre le Nord-Pas-de-Calais et le Sud de la Belgique, ou au sein des « euregions » germano-belgo-néerlandaises, le long du Rhin inférieur et dans les secteurs de Maastricht, Hasselt, Liège et Aix-la-Chapelle. Les patients y « circulent » tout à fait librement d’un pays à l’autre, tant en ambulatoire qu’en hospitalier, une règle qui reste encore théorique dans l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau. Ses responsables ont promis d’accroître leurs efforts pour améliorer la situation.
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