Certaines expérimentations apportent, depuis plusieurs années, des preuves que le microbiote intestinal est impliqué dans la genèse de l’obésité et du diabète de type 2 (DT2). Les premiers travaux sur le sujet ont presque 10 ans. Les auteurs montraient alors que la flore intestinale des souris obèses était différente de celle de poids normal et que les souris vivant en milieu stérile (et ainsi dépourvues de flore digestive) deviennent obèses quand on leur transfère la flore de souris obèses, ceci indépendamment de la prise alimentaire ou de l’activité physique.
Par la suite, les auteurs ont mis en évidence une différence dans la composition de la flore intestinale de l’humain, dépendante de la présence ou non d’une obésité. La conclusion essentielle de leurs travaux fut de dire qu’il existait chez les patients atteints de surpoids un déséquilibre entre les deux grandes familles de bactéries intestinales : les Firmicutes et les Bacteroidetes. Et, que ce soit chez l’humain ou chez l’animal, les Firmicutes étaient plus nombreuses que les Bacteroidetes chez l’obèse (1, 2).
La flore intestinale est manipulable
Le concept était né. On savait aussi que l’obésité et le DT2 étaient en partie sous l’influence de la génétique et que ces maladies étaient également sous la dépendance de l’environnement.
« Quand on parle environnement, remarque le Pr Fabrizio Andreelli (la Pitié-Salpêtrière, Paris), on pense à la sédentarité et à différents facteurs extérieurs. On oublie que le tube digestif fait partie de notre environnement, c’est notre contact avec le milieu extérieur. Ce concept a permis de faire le lien entre les changements alimentaires, ceux de la flore intestinale et l’apparition de la maladie, le tout dans un contexte génétique facilitateur. Quand l’obèse maigrit, la réduction de poids obtenue en modifiant l’alimentation permet de restaurer un rapport entre les Firmicutes et les Bacteroidetes proche de celui observé chez l’individu sain. La flore est donc manipulable et le lien existe entre le changement de la flore par la diététique et la réduction de poids. »
La question est alors de savoir comment la flore, indépendamment de l’appétit, peut faire maigrir ou grossir et éventuellement induire l’apparition d’un DT2. Or, dans ces mêmes travaux, les auteurs montraient que la flore de l’obèse permettait une meilleure absorption des nutriments – c’est-à-dire meilleure extraction des calories – que la flore d’un sujet sain (1). Et les arguments existent pour dire que, plus l’alimentation est grasse et sucrée, plus les Firmicutes sont sélectionnées. Ainsi, une flore facilitant l’extraction calorique peut favoriser le développement du surpoids – ce qui s’est traduit par l’expression de « flore obésogène ».
Perméabilité intestinale
Les travaux du Pr Patrice Cani (Louvain) ont montré que le développement de la flore obésogène va non seulement permettre d’extraire plus de calories, mais aussi altérer la perméabilité intestinale. Cela rend alors possible la migration dans le sang circulant de certains fragments de paroi bactérienne, issus de bactéries Gram – (comme les lipopolysaccharides, LPS) ; ils sont reconnus par les macrophages, ce qui induit une inflammation de bas grade dans le foie, le tissu adipeux et le muscle squelettique, retrouvée dans le DT2 et l’insulinorésistance.
Cette inflammation perturbe la signalisation de l’insuline au niveau de tous ces tissus et entraîne l’insulinorésistance. Or en restaurant l’équilibre alimentaire des souris obèses, il est possible de restaurer la perméabilité intestinale et de réduire l’inflammation de bas grade au niveau tissulaire (3). Ces mécanismes expliquent également que l’ingestion de fibres alimentaires non digestibles améliore les paramètres métaboliques (en particulier la glycémie), par le truchement de la diminution des bactéries pro-inflammatoires et la réduction de la perméabilité intestinale. Ces connaissances expliquent également une partie des effets de la chirurgie bariatrique et de la metformine, deux traitements qui modifient également la flore intestinale.
Après les Firmicutes
La difficulté aujourd’hui est de savoir s’il existe des familles bactériennes qui pourraient être responsables plus spécifiquement de l’émergence du DT2. Il est également difficile, pour l’instant, de savoir s’il existe d’autres familles bactériennes impliquées dans l’amélioration du DT2 lors de la perte de poids ou après chirurgie bariatrique. Akkermansia muciniphila a récemment été isolée dans le mucus intestinal, sa présence est inversement corrélée au poids, que ce soit chez la souris ou chez l’humain (4, 5). Sa présence diminue en cas d’obésité ou de DT2, suggérant un rôle métabolique protecteur de cette espèce. Ceci est également confirmé par le fait que l’administration de cette Bactérie améliore la glycémie, l’insulinorésistance, l’inflammation du tissu adipeux et réduit le poids de rongeurs rendus obèses par une alimentation riche en calories. De nombreux industriels se penchent actuellement sur ce concept. « On peut imaginer, explique le Pr Andreelli, parvenir à encapsuler des bactéries vivantes destinées à être distribuées dans l’intestin pour promouvoir une bonne santé ».
Entretien avec le Pr Fabrizio Andreelli, service de Diabétologie. Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris
(1) Jeffrey I. Gordon et al. An obesity-associated gut microbiome with increased capacity for energy harvest. Nature 444, 1027-1031 (21 December 2006)
(2) Bajzer M et Seeley R. Physiology : Obesity and gut flora. Nature 444, 1009-1010 (21 December 2006)
(3) Cani P et al. Changes in Gut Microbiota Control Metabolic Endotoxemia-Induced Inflammation in High-Fat Diet–Induced Obesity and Diabetes in Mice. Diabetes June 2008 vol. 57 no. 6 1470-1481
(4) Everard A et al. Cross-talk between Akkermansia muciniphila and intestinal epithelium controls diet-induced obesity. PNAS May 28, 2013 vol. 110 no. 22
(5) Cani PD, Everard A. Akkermansia muciniphila : a novel target controlling obesity, type 2 diabetes and inflammation?. Med Sci (Paris). 2014 Feb ;30(2):125-7
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