NOUS DISIONS « décapantes » et on pourrait évoquer l'analyse que fait Roland Barthes dans ses « Mythologies » des publicités des années cinquante pour les saponides et détergents qui vont expulser l'impureté «du plus profond du linge». Bien sûr, on pense aussi au célèbre «plus blanc que blanc» de Coluche. Mais l'image cache un fantasme que l'Histoire met cruellement en scène.
Ainsi Marie-Laure Susini fait-elle le terrifiant portrait d'un inquisiteur médiéval qui officiait en Alsace au Moyen Age, Henry Institoris, acharné à questionner les sorcières, créatures diaboliques, souillant la foi chrétienne, et qu'il importe de faire avouer. Les malheureuses sont enlevées, transportées dans des cages pour éviter la souillure du contact et soumises à une « question » dont la réponse est déjà connue ; quoi qu'elles puissent dire, cela n'a aucune importance car le diable est malin, le bûcher est au bout... Dans ces scènes épouvantables apparaît le vrai sens d'une curiosité que masque mal le discours manifeste. L'enjeu est une enquête sur le plaisir féminin, mystérieux et pouvant corrompre l'homme, une satanique jouissance que le bourreau agacé traque et débusque symboliquement dans l'épreuve du corps brûlé.
Un mythe.
L'homme n'est pas corrompu, il est hélas physiologiquement corruptible. Il n'y a pas de pureté initiale et il n'y a par conséquent pas de régénération illusoire à réétablir. Pourtant, tous les régimes totalitaires, laïcs ou théologiques, ont joué de ce mythe.
L'auteur consacre un intéressant chapitre à Eric Blair, jeune gandin né en 1903, sorti frais émoulu d'Eton. On le connaît mieux sous le nom de George Orwell. Peu de gens ont rencontré la vie assez étonnante de cet homme, pur produit de l'establishment britannique, qui ira vivre avec les miséreux, les exclus (« Dans la dèche à Paris et à Londres », 1933). Dans « 1984 », il brosse le portrait de cet Etat idéal, qui, voulant nettoyer la politique de ses souillures, de ses compromissions, bascule dans le cauchemar big-brotherisé d'une surveillance panoptique.
On ne cachera pas que ce chapitre, peu heureusement placé dans le livre, ne convainc pas totalement. Bien sûr, certains Etats totalitaires ont pu établir ces procédés de surveillance, le stalinien en particulier, mais la prophétie orwélienne est l'inverse de notre actualité. Internet inaugure l'ère du tout-montré, de l'impudeur mondialisée, tourment inversé.
Il y a eu la Révolution française, elle a sécrété sa mythologie : «La destruction fulgurante des structures féodales de la monarchie française... Des insurrections populaires, une Assemblée toute neuve, et la constitution d'une nation de citoyens égaux en droit», résume l'auteur. Ajoutons à cela un noble projet, réformer.
Mais la vérité est loin de la légende, et il vaut mieux imprimer la légende, comme dit le journaliste de « Liberty Valance ». Le but véritable, établi avec précision Marie-Laure Susini, est de régénérer. C'est, bien au-delà d'une simple réforme, le rêve d'un retour à un idéal perdu : Age d'or, références rousseauistes, nostalgie de la pureté, les références pleuvent. Bizarrement, elles s'accordent avec un messianisme : il faut retrouver dans le futur l'idéal perdu dans le passé. Pour cela, il nous faut un dirigeant incorruptible.
Fous de pureté.
Mirabeau, Sieyès, Robespierre, Danton, Marat, tous furent à leur façon des fous de pureté. Tous ont fini aussi par retrouver la corruption chez leur semblable. Mais c'est bien sûr Robespierre, l'Incorruptible incarné, le fou de pureté, qui représenta le mieux la gloire et la déchéance. Ayant fait voter la loi de Prairial permettant de faire guillotiner sans procès tous les suspects d'impureté, il finit ignominieusement sur l'échafaud où il fut traîné sous les crachats du peuple.
Ces portraits sont si bien sculptés qu'ils nous font penser aux immenses figures des présidents américains sur le mont Rushmore. Le plus saisissant est Mirabeau. Aristocrate oisif, littérateur marginal, son apparence physique frappe : sa carrure excessive, une énorme tête au visage vérolé, tout ceci se concilie bien avec une libido violente et une forte sensualité... Il va devenir un guide de la Révolution, il en sera régénéré et deviendra bien sûr suspect aux yeux de Robespierre. L'erreur de Mirabeau ? Pas assez incorruptible, insuffisamment éradicateur du passé, il croyait encore que Louis XVI avait un rôle à jouer !
Ce n'est donc pas des soi-disants corrompus qu'il faut se méfier, des sorcières diaboliques, des marranes polluant le sang espagnol ou des thermidoriens, mais des incorruptibles eux-mêmes.
Le fantasme de pureté est à l'intersection du réel et de l'imaginaire. On le retrouve bien sûr dans le racisme biologique de Nuremberg et chez les fous d'Allah. Pourtant, même dans la chimie, rappelait Bachelard, le pur n'existe pas. Il n'y a que du purifié, résultant de la meilleure et plus récente technique de purification.
Marie-Laure Susini, « Eloge de la corruption », éd. Fayard, 280 p., 20 euros.
* Psychanalyste, elle a publié en 2004 « l'Auteur du crime pervers », éd. Fayard.
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