EN DIRECT D’UNE FAC

L’apprentissage à la grenobloise : 25 ans d’ambitions

Publié le 28/11/2013
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DE NOTRE CORRESPONDANTE

SON APPROCHE « iconoclaste » de la pédagogie est l’une des particularités de la Faculté de Grenoble. « PACES sur DVD », ECNi ? Trop réducteur, voire erroné ! « Notre but n’a jamais été de privilégier le numérique. Il se trouve qu’il répond bien aux exigences pédagogiques qui nous animent et qu’on sait faire », explique le Pr Daniel Pagonis, le directeur de la cellule TICE (vieille de 20 ans) de la Faculté, lui-même créateur en 1994 de la base de données sur les intoxications humaines aiguës, PARACELSE*.

« Le déclic s’est produit dans les années 90, raconte le Pr Jean-Philippe Vuillez, le vice-doyen à la pédagogie. Le programme ne cessait de croître, on ne cessait de rajouter des cours et les étudiants croulaient sous la tâche. L’équipe pédagogique a alors décidé de mettre un terme au « gavage » et de privilégier les connaissances opérationnelles aux dépens du savoir déclaratif ! On a fait le deuil de l’exhaustivité, au profit d’un apprentissage actif et participatif, reposant sur des choix de contenu ayant valeur d’exemple. Ce choix est difficile, mais le pari est que si les étudiants apprennent à exploiter du contenu, ils deviennent rapidement capables de s’approprier un autre. »

La réforme commence par le 2nd cycle. L’enseignement intégré, divisé en pôles thématiques voit le jour en 1992, privilégiant l’apprentissage par mises en situation. La dynamique est étendue au premier cycle, puis en 2006 à la 1re année, devenue PACES. Là, pour bien faire, la pédagogie active exige une inversion complète de la séquence. Face aux effectifs, l’aide vient du numérique : les cours numérisés sont suivis du présentiel en TD, puis du tutorat, avec une programmation connue et cadencée.

Le présentiel : un catalyseur.

Aujourd’hui, depuis la PACES, jusqu’à l’internat – y compris pour des formations paramédicales –, tout suit ce schéma : les cours et les ressources sont fournis, puis aux étudiants de les travailler et se les approprier. L’enseignant intervient ensuite en « présentiel » pour mobiliser ces connaissances à travers des mises en situation diversifiées. « En PACES nous avons 220 heures de cours numérisés, 800 heures de TD et 5 000 heures de tutorat. 10 000 étudiants l’ont déjà fait avec cette formule et grâce à leurs avis, on ne cesse de l’améliorer. Par exemple, ils ont demandé une meilleure description des objectifs pour chacun des cours, afin de pallier le manque de langage corporel », fait valoir Daniel Pagonis.

Les mises en pratique varient : exercices, jeu de rôles, cas cliniques, jeux sérieux… « En pharmacologie, le Pr Cracowski fait des QCM en direct, à l’aide de fanions de couleur. Lorsque les réponses divergent, place au dialogue et au raisonnement. Ayant des groupes plus réduits à l’Institut de formation des manipulateurs radio, j’utilise parfois la construction collaborative du cours », témoigne le Pr Jean-Philippe Vuillez. A partir de l’internat, les cours sont davantage sous forme de bibliographie et les situations se compliquent pour apprendre à gérer l’incertitude… la preuve que la clé du système n’est pas le numérique, mais la logique du travail.

« Cette méthode induit plus de travail et plus d’angoisse pour l’enseignant, car on n’est jamais sûr de maîtriser complètement la séance, malgré l’expérience. Mais c’est utile ! On voit nos étudiants s’adapter rapidement à la vie active », résume le Pr Vuillez.

Le plus grand défi revient aux étudiants : ils doivent travailler avant le présentiel, puis y participer activement. Le vice-doyen constate : « Il faut beaucoup d’enthousiasme pour pousser certains groupes à s’exprimer. On a vu aussi qu’il faut sans cesse innover pour provoquer la réflexion applicative et échapper à l’apprentissage par cœur, si rassurant. »

Le numérique : un facilitateur, plusieurs buts.

Si le numérique n’est pas le but de ces réformes pédagogiques, il n’en est pas moins un allié puissant. « La numérisation des cours – en usage depuis 15 ans – facilite la réactualisation », explique Daniel Pagonis. Mais son intérêt va au-delà.

En PACES, chaque TD se construit autour des questions des étudiants posées par Internet la semaine précédente. Le contrôle continu informatisé, avec classements disponibles rapidement, permet une aide à la réorientation dès la fin du premier semestre, assurée par la scolarité et facilitée par l’Université. Grâce au tutorat massif, l’égalité des chances a fait son retour et le nombre d’étudiants boursiers est en hausse.

Le nouveau cap : la réforme des ECN. Grenoble est le pilote du projet SIDES, la plate-forme numérique nationale distribuée d’évaluation en ligne. « Le support numérique permettra d’inclure des cas cliniques progressifs et d’exploiter divers médias, sans même parler de l’aide à la correction », commente Daniel Pagonis, convaincu, même s’il avoue que l’enjeu est… de taille !

* Avec le Pr Vincent Danel, PARACELSE est aujourd’hui intégrée au Vidal

ALEKSANDRA BOGDANOVIC-GUILLON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9284