QUI S'INTERROGERAIT sur le lien de causalité éventuel entre le libertinage et la calvitie trouvera une réponse dans un travail réalisé par un futur docteur en médecine en 1662. A l'époque, déjà, cette oeuvre s'appelait «thèse» et elle était nécessaire pour obtenir officiellement le titre de médecin. Et nos ancêtres, un siècle avant la Révolution française, ne manquaient pas d'humour, d'imagination – ou de sens pratique ? – lorsqu'il s'agissait de trouver un sujet. « Le foetus ressemble-t-il plus à la mère qu'au père ? » , se demandait un étudiant en 1576. « Doit-on saigner une jeune fille folle d'amour ? » , s'inquiétait un autre en 1639. Autre question : «S'enivrer une fois par mois est-il salutaire?» (1643), avec une version plus pessimiste, proposée près d'un siècle plus tard (1737), « L'eau de vie est-elle l'eau de mort ? ».
Toutes ces études sont citées dans la thèse du Dr Johana Benizri consacrée à l'histoire de la thèse médicale (soutenue à Lyon en 1999). «Le sujet, même grivois, était accepté du moment qu'il était entouré de rhétorique», explique l'auteur. Celle qui, à ses yeux, décroche la palme de «la plus stupéfiante» : « Le crapaud peut-il être engendré dans l'homme ? », soutenue en 1646. La conclusion, affirmative, a été agréée par le jury, précise la thésarde.
Un certain Pascal Lecoq – prendrait-il une revanche sur les quolibets subis dans sa jeunesse à propos de son patronyme ? – a rendu un travail, qui aurait remporté un grand succès, autour des bienfaits du coq sur la santé. L'étudiant s'est demandé si le volatile fournissait des remèdes plus nombreux et plus puissants que ceux que l'on tire des autres animaux. En se penchant plus particulièrement sur la crête de l'oiseau et en cherchant à savoir si cette partie du corps est «utile à ceux qui pissent au lit». La conclusion de l'étudiant zélé est sans appel : «Sans le coq, la médecine existerait à peine.»
Humour blanc.
Nos contemporains ne semblent pas non plus manquer d'inspiration. A Dijon, le futur Dr Decebal Iovescu a osé une « comparaison des échanges gazeux et des constantes hémodynamiques au cours de deux types d'épreuves d'effort : bicyclette ergonométrique et table ergonométrique » (1997). Le Dr Robert Courtois avait soutenu à Tours, quatre ans plus tôt, une recherche visant à faire la « lumière sur la faillite d'un malade artiste-prêtre, en quête de reconnaissance et d'amour »(surtitrée : « Vincent échec et mat »). Certains auteurs n'ont pas cherché à faire de l'humour, mais en ont parlé comme élément de la relation médecin-malade (Patrice Bournisien, Bobigny, 2004, ou Céline Carassus, Toulouse, 2004 également). Une thèse a même été consacrée (Sophie Madelaine-Favier, Nancy, 2003) aux contrepéteries médicales (ou «comment ouvrir la valve de l'humour»). Le Dr Yves de Lamare a vu dans l'équivoque, l'humour et l'ironie, «quelques indices pour le diagnostic de structure». Deux thésards se sont penchés sur le cas du cinéaste Woody Allen (Valérie Houot, Poitiers 1993, « Etude de la représentation des psychiatres à travers les films et l'humour de Woody Allen », inspirée peut-être par le travail du Dr Philippe Bellaloum, de Rouen, qui, en 1988, s'était intéressé à « l'angoisse existentielle dans l'oeuvre cinématographique de Woody Allen et les mécanismes de défense par l'humour et de la dérision »).
Le Dr François Jullien s'est amusé à ausculter, en 1997, « Tintin au pays des blouses blanches ».
De la bande dessinée, le Dr Serge Tisseron s'en est servi pour la forme en rédigeant en 1975 sa thèse… en bulles. Psychiatre et psychanalyste renommé, il est aussi dessinateur (de BD).
La thèse médicale n'est pas vraiment soumise à une contrainte formelle. Le Dr Sophie Oisel-Crémades en a profité pour introduire la sienne comme une sorte d'enquête policière. «Nous voilà sur le “lieu” du crime d'où est parti ce travail, à savoir les situations cliniques. Nous interrogeons l'histoire de Camille, de Yasmina, de Marine et de Vanessa. Il sera temps alors d'exposer les divers éléments de l'enquête.» (« A propos des tentatives de suicide aux antalgiques chez les adolescents : une réflexion psychopathologique sur la douleur. »)
Auteurs célèbres.
Certains travaux se distinguent par le nom même de leur auteur. Dans les archives de la Bium, d'illustres inconnus côtoient ceux qui ont marqué l'histoire de la médecine ou… de la France. Alibert, Claude Bernard, Charcot, Dupuytren, Laennec, Récamier, Tardieu ou encore Georges Clemenceau. On peut même y consulter la thèse du Dr Jean-Baptiste Henri Savigny, le chirurgien du radeau de la Méduse (« Observations sur les effets de la faim et de la soif éprouvées après le naufrage de la frégate du roi, la “Méduse” en 1816 »).
La thèse d'un certain Destouches, plus connu sous le nom de Céline, honore elle aussi les rayons de la Bium (voir encadré).
Une thèse attire, elle, l'attention par la date de sa publication, 1539. C'est la première thèse répertoriée en France, dont on sait qu'elle a été présidée par un certain Jacques de Froment et soutenue en latin autour de la question : « An medendis ventriculi affectibus pharmacia magis occurendum ? ». Viennent, plus de trois siècles plus tard, celles présentées par des femmes. La première fois, c'était en 1870 par Elizabeth Garrett Anderson, puis en 1875 par Madeleine Brès Gibelin (sur l'allaitement), thèse soutenue avant celle de Bronislava Dluska-Sklodowska, la soeur aînée de Marie Curie.
5 000 thèses publiées chaque année
Marie-Christine Radix est responsable des thèses à la Bium (Bibliothèque interuniversitaire de médecine). Chaque année passent entre ses mains près de 5 000 thèses. Logée dans le 5e arrondissement de la capitale, la Bium possède la quasi-totalité des thèses soutenues à Paris depuis 1539, la plupart des thèses présentées en province, ainsi que de nombreuses thèses étrangères. En contactant la Bium, il est possible d'avoir accès à ces travaux, moyennant petite finance (3 euros). Les textes sont communiqués dans les trois-quatre jours suivant la commande. Certaines thèses de médecins célèbres sont disponibles en ligne.
Quelque 700 thèses par an (13 %) traitent de santé publique, estime Mme Radix, qui les répertorie dans le cadre d'une collaboration avec la banque de données de santé publique. Infections nosocomiales, suicide, cancer, vieillissement... en sont les thèmes récurrents.
Les thèses n'ont pas perdu en épaisseur au fil des années, estime la bibliothécaire. La différence se fait plutôt sentir entre les villes, confie-t-elle, sans vouloir citer les plus paresseuses...
La thèse volée
On a volé la thèse. Celle que Louis-Ferdinand Destouches, plus connu sous le nom de Céline, a consacré en 1924 à « la Vie et l'œuvre d'Ignace Philippe Semmelweis » (médecin du XIXe siècle qui démontra l'utilité du lavage des mains, notamment après la dissection d'un cadavre ou avant d'effectuer un accouchement). Ce qui est aujourd'hui considéré comme sa première œuvre littéraire constituait, alors sa thèse doctorale.
La thèse de Céline compte parmi les quelque 113 000 thèses détenues par la Bium (Bibliothèque interuniversitaire de médecine, Paris) et l'original était y a encore quelques années consultable sur place. Jusqu'au jour où... l'on s'est rendu compte qu'il avait été dérobé.
Une seule autre thèse conservée à la Bium a subi le même sort. Il s'agit du travail du futur Pr Jean-Marc Alby, qui, en 1956, présentait à ses pairs une « Contribution à l'étude du transsexualisme ». Au long de plus de 300 pages, le psychanalyste « envisage la place que peut occuper ce syndrome en psychopathologie ». Cette thèse est tenue pour les spécialistes comme le document qui, en France, a « introduit le terme de transsexualité dans la nosographie psychiatrique ».
> Au. B.
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