Avis d’expert. « Ca a l’air de bien prendre. Jusqu’ici ça ronronnait, mais, là on a l’impression que quelque chose est en train de démarrer », explique ce spécialiste de médecine générale de la première heure, installé en solo à Rouen. Le Dr Marciaq sait de quoi il parle, il pratique le C=CS depuis novembre 2007. Il a connu le parcours désormais classique de celles et ceux qui se sont engagés, il y a plusieurs années, dans la procédure de cotation CS. A savoir : entente devant la commission de recours amiable, puis, audience devant le Tribunal des affaires sociales, ( en l’occurrence, celui d’Evreux), appel de la décision par le médecin ; arrêt de la cour d’appel... Aujourd’hui, c’est au tour de la Cour de cassation de devoir se prononcer.
Région par région
En Loire-Atlantique, le Dr Jean-Louis Clouet et ses deux associés savent pouvoir compter sur le soutien de leurs patients. « Au cabinet médical des Sorinières, nous faisons du Cs sans problème… et la caisse rejette systématiquement les feuilles de soins. Mais, les patients comprennent beaucoup mieux ce mouvement que celui que nous avions connu au moment du C à 20 euro. Nous leur expliquons simplement les faits et que nous voulons être reconnus comme spécialiste en médecine générale comme cela a été promis depuis trois ans. C'est d’ailleurs l'occasion de discuter avec eux des très mauvaises relations qu'ils ont avec la caisse d'assurance-maladie. Chacun a sa petite histoire au sujet des franchises, ou des erreurs de paiement des retards de paiement dans les arrêts maladie".
Dans un autre cabinet de Loire-Atlantique, l’interaction avec les patients est aussi de mise.
« Je fais CS=23 euros depuis le 3 février. Les patients me disent, Tiens, vous l’avez eue votre augmentation ?», et huit jours après ils me rapportent un courrier de la cpam de Nantes disant « votre médecin s’est trompé, il a coté CS à 23 euros mais il n’a pas le droit, veuillez faire rectifier »… Et donc, je fais une feuille de soins papier marquée : duplicata, CS=23 euros rayé, et au-dessous C=22, la sous-cotation est imposée par la Cpam », explique ainsi le Dr Hervé Feuillette, qui estime qu’ils sont « au moins, une bonne quinzaine » en Loire-atlantique à s’être mis à coter CS.
A Marseille, le Dr Serge Cini, qui exerce dans les quartiers nord, en cabinet de groupe avec deux autres confrères, vient, à 54 ans, de se lancer dans ce qu’il appelle « le CS test ». Objectif : « j’espère provoquer la réaction classique de la cpam afin d’attenter auprès d’elle les procédures qui s’avèreront nécessaires ». Car le Dr Cini est motivé et n’hésite pas à développer son argumentaire.
« Ce que je reproche aux pouvoirs publics, c’est leur manque d’honnêteté intellectuelle. Avec la reconnaissance de la qualification de spécialistes, on n’aurait pas pu prévoir que cette question de la cotation allait nécessairement arriver ?
L’autre argument, développé chiffres à l’appui par le chef de file de MG-France en PACA ?
« Les derniers chiffres fournis pas l’Assurance-Maladie sur mon relevé d’activité, font apparaître que le chiffre d’affaires moyen mensuel d’un généraliste en PACA est de 9 578 euros, ce qui équivaut, une fois les frais défalqués, à 5 746 euros. Avant impôts. Mais à raison de 50 heures de travail hebdomadaire, cela équivaut à 27, 56 euros de l’heure. Pas mal pour neuf ans d’études et vingt-cinq ans d’exercice »…
Du coup, donc, depuis quelques semaines, le Dr Cini rôde sa procédure. « Je ne cote pas CS pour tous mes patients bien sûr, je ne veux pas les pénaliser, mais en en cotant certains, j’espère parvenir à faire déclencher la procédure. Ensuite j’irai en appel, puis devant les instances européennes. Cela prendra le temps nécessaire mais je ne lâcherai pas ».
A quelques miles nautiques de la citée phocéenne, sur une autre terre que caresse également la Méditerranée, le Dr Mireille Campana Castellucci, spécialiste de médecine générale à La Croix, en Corse du Sud a pour l’instant fait « quelques cotations à CS, la première date du 29 janvier dernier. Je n’ai toujours pas reçu de retour de ma caisse ». Au passage, le Dr Castellucci ne se prive d’égratigner les consignes syndicales, qui, estime-t-elle, « ne sont pas toujours claires. Du siège, c’est, il faut y aller et coter CS, alors que les communiqués nous disent : « faites-en quelques uns pour déclencher la procédure devant le TASS ». Pour moi c’est simple : il faut appliquer la cotation à 23 euros pour les généralistes n’ayant pas la qualification, et pour ceux qui l’ont : le CS et le MPC. Parce que trop c’est trop. Nous avons tenu nos engagements, je ne vois pas pourquoi l’assurance-maladie ne tiendrait pas les siens. Et le Dr Castellucci de se souvenir d’un certain mouvement de décembre 2001 où, sur le C à 20 euros, les généralistes rassemblés en confédérations avaient poussé. Les syndicats ensuite avaient suivi, et nous avons obtenu le C à 22 ».
Le « trop c’est trop », est aussi une formule employée dans la Drôme. Par le Dr Jean Prats, en l’occurrence. Ce praticien, installé à Crest fait partie des « huit de la Drôme », ceux qui ont commencé à coter Cs dès 2007 et qui ont obtenu gain de cause par un arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble.
Depuis un an, le Dr Prats, est donc, avec sept autres de ses confrères, le seul généraliste à être remboursé sur la base d’une consultation à 23 euros. « Mais par la seule cpam 26,( celle qui a été déboutée). Les autres refusent ». Le médecin voit-il dans l’appel à la cotation CS par tous les généralistes qui ont leur qualification de spécialistes l’amorce d’un réel mouvement d’ampleur ? « Je ne sais pas, c’est ce qui se dit et se lit, mais nous sommes une profession assez éclatée géographiquement, isolée, et qui a le souci de ses patients… En revanche, il apparaît clairement que le ras-le-bol s’intensifie. On nous a demandé beaucoup au gré des différents gouvernements. A un moment, trop, c’est trop ».
A 52 ans, le Dr Patrick Marty, généraliste (qualifié bien sûr) exerce en solo en milieu semi-rural. A Bar-sur-Loup précisément, dans les Alpes-Maritimes.
« Je n’ai fait qu’une cotation Cs pour voir la réaction de la caisse, avec un patient en tiers payant comme cela il n’est pas pénalisé, car je ne veux pas prendre mes patients en otage ».
Ce qui préoccupe aujourd’hui le Dr Marty ? La baisse de son pouvoir d’achat et le financement de sa retraite. « le comptable, la femme de ménage, la secrétaire… cela coûte de l’argent et nous n’avons pas été revalorisé depuis un moment. D’autant qu’au niveau des revenus, nous sommes plutôt dans la queue du peloton au niveau de l’Union européenne. Nous n’arrêtons pas de travailler, avec des semaines qui vont jusqu’à 70 heures. C’est un véritable engrenage préjudiciable, à terme, aussi pour les patients ».
D’autre part, le « deal » initial autour du secteur 1, et de nos cotisations afférentes, reposait aussi sur notre prise en charge partielle par l’assurance-maladie. Aujourd’hui, je ne suis pas rassuré par le débat sur le financement des retraites.
Mais au-delà de ces considérations, il s’agit aussi, tout de même de la reconnaissance de notre statut de spécialiste. Sinon, cela ne veut plus rien dire. C’est pourquoi, je tiendrai le CS. Sans parler du fait qu’en termes de simple revalorisation, le passage de la lettre clé, je parle ici du seul C à 23, est tout de même annoncé depuis presque trois ans ».
Action collective
Dans le Calvados, le Dr Jean-Claude Armand participe, lui, depuis son cabinet de Fleury-sur-Orne, à une action collective sur le CS. « J’ai commencé à coter Cs il y a près d’un an. J’avais vu le verdict de la cour d’appel de Grenoble, et je me suis dit, je vais faire pareil tout seul. Aujourd’hui nous sommes un groupe de seize et n’en sommes qu’à l’étape de la commission de règlement amiable », développe ce récent adhérent de MG-France, qu’il a rejoint « depuis un mois ». Mais le tout jeune syndicaliste de 51 ans est aussi le père de deux enfants, qui « font médecine. Ma fille veut être généraliste, je lui souhaite bien du courage. C’est d’ailleurs en partie le sens de mon action. On ne cesse de nous dire que l’on veut revaloriser notre métier, il est temps de joindre les actes à la parole. Pour vivre dignement, il n’y a que deux solutions : finir tous les soirs à minuit ou faire de l’abattage. J’ai besoin de temps pour bien m’occuper de mes patients. Il faut que ce temps soit rémunéré », insiste le praticien.
Ce souci de la transmission aux futures générations est aussi un aiguillon puissant chez le Dr Jean-Pierre Enrione-Thorrand. « Je me souviens, lorsque j’étais tout jeune installé de réunions syndicales au sujet de de je ne sais plus quelle revendication, de m’être dit, « mais ces syndicalistes ne pensent absolument pas à nous, les jeunes, que nous laissent-ils ? Je me suis éloigné aussitôt du milieu syndical, que j’ai à nouveau rejoint il y une quinzaine d’années. Aujourd’hui, à 61 ans, je pense toujours à la réaction du jeune médecin que, j’étais. Cette fois, je veux laisser et transmettre quelque chose à mes jeunes confrères spécialistes de médecine générale, pour leur exercice, qu’ils ne se disent pas la même chose à propos des « vieux », que moi à leur âge », analyse ce praticien grenoblois. C’est la raison pour laquelle, une fois sa qualification en poche, en novembre dernier, le Dr Enrione-Thorand, « s’est jeté à l’eau au début de l’année », en cotant son premier Cs. Huit jours après, il reçoit un premier courrier d’un conseiller de la Sécurité sociale, lui faisant remarquer que sa cotation n’était pas valable. Encore une semaine plus tard, c’est un courrier du directeur de la cpam « beaucoup plus détaillé », qui lui parvient. « Cela ne m’empêchera pas de poursuivre. Au bout de trente-trois ans de métier, je suis excédé », martèle celui qui croit, dur comme fer, « au succès de l’action collective ». Fidèle à ses convictions, il sera ainsi en grève le 11 mars prochain, « en solidarité » avec ses confrères bretons.
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