IL Y A TROIS ANS, l'institut Gustave-Roussy de Villejuif (IGR) a eu l'idée originale de monter un groupe de paroles pour des femmes atteintes d'un cancer du sein (non métastatique) à un moment bien particulier du traitement : la fin. «Nous avions observé avec nos confrères oncologues que la fin du traitement est un moment difficile parce que c'est le retour à la maison. Les choses redeviennent comme avant, du moins dans l'esprit de l'entourage, sauf que… les choses ne sont justement plus comme avant pour les patientes», souligne le Dr Pascal Rouby, qui anime le groupe avec la psychologue Diane Boinon. «Ce n'est pas parce qu'elles sont déclarées guéries ou en rémission que tout est terminé.»
Paradoxe.
D'abord, ce moment est celui où il faut gérer les séquelles, d'ordre physique et psychologique (image de soi, fatigue et peur très fréquente de la récidive). Sociétal aussi, à cause de la crainte, souvent exprimée, d'être mise au placard dans leur travail. «Elles ont hâte que tout cela finisse, mais, paradoxalement, comme elles ont été au centre des attentions, quand ça, ça s'arrête, c'est angoissant. Elles expriment souvent un sentiment d'abandon à ce moment-là. Les familles, elles, sont pressées de tourner la page et c'est parfois source de malentendus.»
Le processus du traitement suit une chronologie récurrente des ressentis. D'abord l'annonce du diagnostic est évidemment un moment éprouvant. Puis vient, juste avant le début du traitement, cette période de transition très anxiogène de l'attente, des questionnements («Est-ce que je vais supporter le traitement?»…).
«Finalement, pendant le traitement, elles sont dans l'action. Elles doivent prendre les rendez-vous médicaux, gérer les effets secondaires… elles n'ont pas vraiment le temps de cogiter.»
Effet groupe.
Au long de dix séances et à raison d'une fois par semaine, cinq ou six femmes se retrouvent donc autour de leurs difficultés et de leurs interrogations, qui sont, s'aperçoivent-elles, les mêmes. «L'effet thérapeutique du groupe est évident. Il aide, entre autres, à diminuer l'anxiété et le sentiment de culpabilité», commente le psychiatre. «Après, il y a la spécificité du groupe cognitif comportemental. Nous sommes là pour traiter les problèmes actuels et communs.» Ici et maintenant.
Ces femmes n'ont pas les mêmes âges. «Pour celles qui ont 40ans et qui expriment des soucis par rapport à leurs enfants, l'échange est intéressant avec celles, grands-mères, dont elles pourraient être les filles. Pouvoir se décaler est enrichissant.»
A la première séance, brainstorming. On classe sur un grand tableau les «problèmes» par thématiques. Estime de soi, peur de la récidive, bouleversement esthétique, soucis familiaux avec le conjoint et les enfants, inquiétudes pour le travail, douleurs, fatigue. En gros, sept ou huit thèmes se dégagent de la réflexion, qui feront chacun l'objet d'une séance. La méthode, car il y en a une (il s'agit de TCC, thérapie cognitivo-comportementale), est «toujours la même» au long des réunions : on apprend aux patientes à s'auto-observer. Exemple. Madame X a une douleur au bras. Elle pense : récidive. Elle voit : hôpital, enterrement. Le principe de l'auto-observation, c'est d'apprendre à identifier ses pensées, ses émotions et le comportement qui a suivi. «C'est une façon de voir comment l'on fonctionne. On part d'une situation vécue par la patiente et on voit comment on pourrait agir autrement.» La méthode est très concrète. Pour une dame qui redoutait de prendre les transports en commun à l'idée de devoir affronter les questions de la personne assise en face d'elle à propos de son bras en manchon (dû au curage), un jeu de rôle a été organisé. «Elle avait peur de ne pas savoir quoi répondre. Alors nous avons trouvé des réponses à donner et nous avons appris aussi à… ne pas répondre.»
Les deux psychothérapeutes ont cherché à évaluer l'effet de ces groupes. D'abord, grâce au questionnaire qui, rempli en début et en fin de thérapie, mesure les effets sur l'anxiété, la dépression, la qualité de vie. Les résultats sont bons, assure le Dr Rouby. Mais, pour avoir une idée sur du plus long terme, ils ont interrogé par téléphone une vingtaine de femmes qui avaient participé aux groupes, un an après. «Nous avons constaté qu'elles avaient intégré certaines des techniques et au-delà même de leur maladie.» Une femme, par exemple, qui avait du mal à gérer ses émotions, a rencontré des difficultés au travail dans ses rapports avec celle qui l'avait remplacée durant son traitement. «Elle a visiblement travaillé sur l'affirmation de soi en apprenant à ne pas s'emporter, sans pour autant se faire avoir.» Autre découverte : les femmes sont restées en contact entre elles. «Favoriser le lien social, c'est un autre effet groupe!»
Aider le thérapeute à anticiper.
On s'en doute, assister à ces groupes peut aider le soignant lui-même dans le travail qu'il accomplit avec ses patientes en consultation individuelle en cours de traitement. Car cela lui permet d'anticiper certains problèmes. Mais il y a aussi «des choses qu'on n'entend pas en individuel. Le groupe facilite la parole, provoque une certaine émulation. D'ailleurs, j'ai remarqué que, au bout de la sixième ou septième séance, je me fais un peu “allumer” , en tant qu'homme, car elles en viennent à parler des maris. Elles se plaignent qu'ils ne les soutiennent pas assez. Mais, finalement, elles se rendent compte que ce sont plutôt elles qui ont du mal à déléguer…»
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