Depuis une vingtaine d’années, la littérature internationale (1) démontre l’impact de la souffrance psychologique au travail des soignants. Des conduites inadéquates induisent des risques majorés pour les patients comme pour les soignants. Les états anxio-dépressifs, le burn out et parfois, le suicide (risque majoré de 2,4 pour les femmes anesthésistes et de 1,5 pour les hommes). Comme l’a montré une actualité récente, les atteintes psychologiques traduites par des troubles du sommeil, l’abus d’alcool, le recours aux substances psychoactives pour faire face ont des conséquences pour la sécurité des patients. C’est parce qu’ils peuvent entraîner des retards ou des erreurs de prise en charge parfois dramatiques que les anesthésistes réanimateurs français se sont mobilisés sur ces aspects.
Pourquoi la prise de conscience précoce de l’anesthésie réanimation ?
La réponse du Pr Paul-Michel Mertes et du Dr Max-André Doppia :
Les Anglo-Saxons ont, les premiers, alerté sur les risques d’abus de substances ou d’épuisement professionnel au bloc opératoire à la fin des années 1990. Ce sujet n’a trouvé un écho en France que 10 ans plus tard, en raison du fort tabou qui, chez nous, recouvrait ces aspects. Des enquêtes françaises ont nourri cette réflexion et l’anesthésie réanimation s’est hissée en pointe en osant se regarder, notamment au travers de la première enquête nationale sur l’addiction aux substances psychoactives en milieu anesthésique en France en 2005. Le discours s’est peu à peu libéré, à la mesure des communications qui se sont ensuite multipliées sur ces thèmes dans les congrès, notamment les congrès nationaux de la SFAR. Il ne faut pas oublier le rôle pionnier des syndicats qui ont porté cette thématique professionnelle.
Le CFAR (www.cfar.org) qui regroupe les diverses formes d’exercice de la spécialité a créé la commission SMART en 2009 en lui assignant la mission de conduire une réflexion et de proposer des pistes d’action. Ainsi, dans ce cheminement, lorsque nous les avons interrogés, en 2010, 69 % des anesthésistes ont confirmé qu’ils étaient désormais prêts à aborder la question des risques psychosociaux en confirmant qu’ils ne disposaient pas d’assez de moyens pour aider un collègue en difficulté ou pour eux-mêmes. Il fallait donc agir, nous l’avons fait !
L’anesthésie réanimation, profession plus à risque que les autres spécialités médicales ?
La réponse du Pr Mertes et du Dr Doppia :
L’anesthésie n’est pas une discipline plus à risque (2), et ça a été démontré, notamment dans l’enquête SESMAT (3) dont le volet anesthésique est paru en 2011, mais plutôt une discipline à gestion des risques. Le risque psycho-social en est un parmi d’autres. Notre profession est particulièrement soumise à des tensions démographiques ou organisationnelles et à des rythmes pénibles sans d’ailleurs être la seule dans ce cas. Elle a cependant des particularités : travail en équipe, solidarité professionnelle au bloc et importance du respect des règles de sécurité pour les patients comme pour les soignants. La nature de notre exercice nous oblige à la gestion et à l’anticipation permanente des risques dans la chaîne de soins que nous constituons où la confiance entre collègues est indispensable.
Les situations d’épuisement professionnel ou de consommation d’alcool sont donc dans nos préoccupations. Notre connaissance des toxiques peut faciliter leur usage en cas de difficulté personnelle, dépassant le simple cadre de l’automédication. Notre but est donc de limiter les risques d’accident pour les patients liés à l’état du personnel (intubation, erreur de dosage, complications, soins plus coûteux…). C’est pourquoi, avec SMART, nous avons crée ce service intégré d’information, d’aide, de soutien, d’orientation et de promotion de la santé au travail sur le site web avec un Numéro Vert.
Dépistet l’alcoolémie à l’entrée au bloc (4), une solution ?
La réponse du Pr Mertes et du Dr Doppia :
Sûrement pas ! D’autres pistes consistent à développer l’information en FMI et FMC, à repenser l’ergonomie des blocs, les rythmes et les organisations de travail délétères, la sensibilisation aux dangers de l’automédication et assurer un suivi en santé au travail. Bref, c’est une prise en compte collective qui protégera au mieux les soignants et leurs patients. Il faut aussi travailler sur la pression de production aujourd’hui imposée par les directions : le nombre d’actes d’anesthésies augmente régulièrement sans que les effectifs suivent. Les patients sont plus âgés, plus poly-pathologiques, les exigences de sécurité évidemment ont aussi augmenté… Et nous sommes dans une situation de pénurie d’anesthésistes en raison d’un creux de formation des internes dans les années 2000, lié au numerus clausus. Travailler dans de meilleures conditions d’organisation et en sécurité est donc vital pour nos confrères. L’anesthésie reste une spécialité particulièrement sûre et mature dans l’approche de ces questions.
(1) « The prévalence of Burnout and Depression and their association with Adherence to Safety and Practice Standards : A survey of US Anesthesiology Trainees », Gildasio S. de Oliveira et al. Anesth Analg 2013.
(2) « Burnout and medical errors among american surgeons », Tait D. Shanafelt. Annals of Surgery. Vol 251, Number 6, June 2010.
(3) Enquête comparative sur le syndrome d’épuisement professionnel chez les anesthésistes réanimateurs et les autres praticiens des hôpitaux publics en France (enquête SESMAT). AFAR Volume 30, Issue 11, pages 782-794 M.-A. Doppia, M. Estryn-Béhar, C. Fry, K. Guetarni, T. Lieutaud.
(4) Le député UMP Lucien Degauchy a déposé en ce sens une proposition à l’Assemblée Nationale en janvier.
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