Dès le printemps 2020, la crise du Covid-19 a mis sur le devant de la scène médiatique et politique, de façon inédite, les médecins et scientifiques. Une fois l’agitation retombée, comment analyser les effets de la pandémie sur la place et le métier du médecin, et plus largement, les rapports qui se sont tissés entre le savant et le politique ? C’est là l’un des axes abordés le 29 juin dernier lors des rencontres scientifiques organisées par la Plateforme de recherche en Sciences humaines et sociales en santé, créée en 2020 et pilotée par le CNRS (1).
La crise du Covid fut le temps d’une « science urgente ». Les délais d’évaluation des articles par les pairs ont été considérablement raccourcis : ils étaient de six jours entre janvier et avril 2020, contre 15 jours lors de la crise Ebola, ou 100 jours pour un article classique sur des maladies cardiovasculaires.
Évaluation des mécanismes d’autorégulation
Faut-il pour autant en conclure à une baisse de la qualité et de la fiabilité des travaux, comme pourrait le faire craindre l'affaire du « Lancet » (2) ? « Nous devons attendre des études scientifiques plus solides pour tirer des conclusions », observe Stéphanie Ruphy, philosophe à l’École normale supérieure-Paris Sciences et Lettres. « Certains travaux montrent des taux de rétractation plus élevés, mais d’autres appellent à ne pas surinterpréter ces taux et soulignent que les études liées au Covid ont été davantage disséquées que d’autres ».
Les mécanismes autorégulateurs de la science semblent ainsi ne pas avoir failli. Mais ont-ils changé de nature ? Doivent-ils être révisés ? Le phénomène de prépublication − qui a l’avantage de permettre une diffusion plus rapide des hypothèses − introduit une nouvelle donne, dans l’univers jusqu’à présent fermé de la science : désormais, tout un chacun peut formuler un commentaire critique sur une proposition scientifique.
« Il n’y a pas de raison que la science échappe au désir global de transparence. Mais cela nous invite à réviser les mécanismes d’autorégulation de la science, dans un écosystème différent, au su et au vu de tous, avec des acteurs pas forcément scientifiques », souligne Stéphanie Ruphy. Et d’appeler à mieux caractériser le statut de ce qui arrive dans l’espace public, à l’instar de certaines publications qui mentionnent qu’un travail n’a pas été validé par les pairs.
Une réflexion est d’autant plus nécessaire que la voix du scientifique ne s’arrête pas à la porte de son laboratoire. « La prise de parole sur un plateau TV est individuelle, non collective, elle n’est pas filtrée par les pairs, ni précédée par des colloques, bien sûr », observe la philosophe. Comment alors élaborer de bonnes pratiques, tout en respectant la liberté d’expression du chercheur ? « Y a-t-il des limites à envisager à la liberté d’expression au nom de la qualité épistémique ? », interroge-t-elle. Et invitant à poursuivre les travaux en sciences humaines sur la visibilité du dissensus entre chercheurs, qui n’est pas sans effets sanitaires (même si elle répond à une exigence de transparence) et peut, de surcroît, être instrumentalisée par des lobbies (par exemple, les cigarettiers).
Transformation des rapports de pouvoir
La science et la médecine ne sont pas non plus épargnées par les enjeux de pouvoir. C’est notamment ce qu’a rappelé le sociologue des organisations Olivier Borraz dans une autre intervention du colloque. Comme toute crise, la pandémie de Covid n’a pas suspendu les relations de pouvoir, elle les a seulement modifiées. Vouloir s’en extraire est un leurre. C’est l’enseignement que l’on peut tirer des relations du président de la République au Conseil scientifique. Dans un premier temps, Emmanuel Macron a créé, pour gagner en agilité, une structure ex nihilo alors que de multiples agences sanitaires existent.
Mais une relation de pouvoir entre les protagonistes se structure : le président décide du confinement, car le Conseil scientifique ne propose pas d’alternative ; réciproquement, ce dernier n’empêche pas les élections. Puis très vite le dissensus pointe, sur la question des écoles. « Le Conseil scientifique est devenu un caillou dans la chaussure de Macron, qui du coup s’est tourné vers d’autres instances comme le Haut Conseil de la santé publique », commente Olivier Borraz. « Comme il est impossible de s’extraire des relations de pouvoir, il vaudrait mieux l’interdépendance entre les acteurs, dans des conditions de confiance », conclut-il. Ce qui suppose, plus que jamais, des scientifiques sûrs de leur intégrité.
(1) En partenariat avec le CNAM, l’EHESP, l’EHESS, l’EPHE, l’INED, l’Université Sorbonne Paris Nord, le Réseau national des Maisons des Sciences de l'Homme, l’Inserm et l’Institut Covid19 Ad Memoriam.
(2) En juin 2020, « The Lancet » a retiré une étude sur l'hydroxychloroquine, dont les données primaires se sont révélées erronées, mais qui avait entraîné, lors de sa publication le 22 mai, la suspension temporaire des essais cliniques.
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