« C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », reconnaissait Emmanuel Macron lors de son intervention télévisée du 14 octobre, soulignant le « sacrifice terrible » vécu par la jeunesse entre les « examens annulés, l’angoisse pour les formations, l’angoisse pour trouver un premier job ». Ce constat brutal a de quoi inquiéter alors que le suicide est déjà la deuxième cause de mortalité chez les moins de 25 ans, après les accidents de la route.
C’est dans ce contexte que la Fondation d’entreprise Ramsay Santé a consacré ce 10 novembre la 3e édition de ses Rencontres Prévention Santé à la thématique « Suicide des jeunes : l’autre urgence », occasion de dresser un état des lieux et de recenser les initiatives de prévention en la matière.
Des connexions à établir entre associations et professionnels de santé
Le premier constat porte sur le manque d’articulation entre associations et professionnels de santé. Les premières reçoivent le plus souvent les signaux d’alerte, mais restent mal identifiées par les jeunes. D’après une enquête menée en septembre auprès d’utilisateurs de moins de 25 ans de « Jam », un robot conversationnel disponible sur Facebook Messenger, un répondant sur cinq ne connaît pas les associations et recours existants en cas de difficultés. Ils sont 23 % parmi ceux qui ont des pensées suicidaires.
Les seconds, et notamment les pédopsychiatres, proposent des délais de rendez-vous trop longs et « n’ont pas la culture de l’urgence », estime le Pr Marcel Rufo, pédopsychiatre, qui suggère que les structures de soins réservent 15 % de leurs capacités aux urgences. Ils interviennent ainsi souvent après le passage à l’acte.
Entre les deux, il existe peu de connexions, pourtant nécessaires à une prévention efficace. « Des dispositifs existent, comme VigilanS qui gardent le contact avec les patients ayant fait une tentative de suicide par téléphone ou par voie postale, et plus récemment par SMS. Mais l’approche reste trop souvent hospitalo-centrée, explique le Dr Sofian Berrouiguet, psychiatre au CHU de Brest. Il faut plus de liens avec d’autres acteurs pour la prévention. »
De nouveaux canaux pour atteindre les jeunes
Des initiatives viennent combler ce manque. Des acteurs historiques comme SOS Amitié développent de nouveaux canaux de contact pour toucher les plus jeunes. L’association a lancé un chat, dont « 35 % des utilisateurs ont moins de 25 ans », indique Dorothée de Trégomain, vice-présidente de SOS Amitié Île-de-France. Mais l’association a une marge d’intervention limitée. « Nous avons un protocole pour intervenir quand un passage à l’acte est imminent. Mais c’est uniquement avec l’accord de la personne », poursuit-elle.
Les professionnels de santé sont aussi à l’initiative. Trois pistes sont par exemple avancées par le Pr Rufo. La téléconsultation, d’abord, dont le recours s’est intensifié avec la pandémie, « peut être un moyen extraordinaire et rapide » d’intervention. Le lien avec la médecine scolaire ensuite, est en cours d’expérimentation avec une équipe mobile qui intervient pour une action précoce sur signalement des infirmières scolaires. Et enfin, la création d’unités pour jeunes adultes fait le lien entre pédopsychiatrie et psychiatrie, comme à Toulon où une maison des adolescents sur ce modèle a permis d’améliorer le recours.
D’autres pistes viennent de la recherche. Des travaux sur la cohorte « I-Share », mise en place par le CHU de Bordeaux pour suivre la santé mentale de plus de 20 000 étudiants, sont nés plusieurs programmes. Un axe de prévention identifié repose sur l’acquisition de compétences par les jeunes pour identifier le risque pour eux-mêmes et pour leurs pairs.
Des projets en cours d'évaluation par des essais randomisés
Un programme en deux phases a ainsi été développé et se compose d’une vingtaine de vidéos de deux à trois minutes chacune, dont le visionnage est suivi par l’envoi de SMS (plusieurs fois par jour au début) avec des rappels des principes exposés dans les vidéos. Ce programme fera l’objet d’un essai thérapeutique randomisé en janvier pour mesurer son impact sur les pensées suicidaires, les consommations de substances psychoactives, la dépression et la qualité de vie.
Dans la même optique de développement des connaissances sur la santé mentale, des étudiants ont élaboré à Bordeaux, toujours en lien avec la cohorte « I-Share », une « escape room », inspiré des jeux d’évasion où des énigmes sont à résoudre pour sortir du jeu. L’initiative ludique se concentre sur la découverte des cinq principaux symptômes de la dépression. « Cette solution, co-construite avec les étudiants, sera elle aussi évaluée prochainement par un essai randomisé », précise le Pr Christophe Tzourio, professeur de santé publique au CHU de Bordeaux et responsable de la cohorte « I-Share ».
L’idée de donner les clés à chacun pour repérer les signes de troubles chez les pairs et orienter vers l’aide adaptée est également déployée par l’association Premiers secours en santé mentale, qui assure une « formation citoyenne » sur l’identification des troubles anxieux, dépressifs, etc. La formation développe des « aspects pratiques » sur la manière de réagir face à quelqu’un qui semble aller mal, sur « ce qu’il faut faire et ne pas faire, détaille Caroline Jeanpierre, coordinatrice de l’association. Des erreurs sont à éviter : entrer dans un débat sur la moralité, culpabiliser la personne, l’interrompre quand elle se confie ».
Contrer l'effet Werther
Un autre axe de prévention développé porte sur la communication. Au CHU de Lille, le projet « Papageno » (papageno-suicide.com) se concentre sur cet aspect, avec l’ambition de limiter l’effet Werther, conséquence du traitement médiatique du suicide. « Dès que la presse évoque le suicide avec sensationnalisme ou avec des détails sur la méthode utilisée, on observe une augmentation des suicides », explique le Dr Charles-Edouard Notredame, pédopsychiatre au CHU de Lille.
Pour contrer ce phénomène, il mise avec ses collègues sur l’effet « Papageno », en référence au personnage de la « Flûte enchantée » de Mozart. « Les articles montrant une sortie de la condition suicidaire ont aussi un effet, mais positif », pointe le Dr Notredame. Le projet vise ainsi à accompagner une « couverture plus juste du suicide », poursuit le pédopsychiatre et à promouvoir l’accès aux soins et l’entraide.
L’idée d’entraide est par ailleurs au cœur de la plateforme en ligne #jesuislà, lancée par Yann Massart, infirmier psychiatrique à l'établissement public de santé mentale en Sarthe, pour accompagner les personnes confrontées aux idées suicidaires d’un proche. Face à la multiplication des initiatives, Ramsay Santé annonce la création prévue pour la fin du premier semestre 2021 d’une plateforme pour recenser les actions de prévention et d’aide à mobiliser dans la lutte contre le suicide.
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