Après la publication en preprint, début avril, d’une étude du Pr Didier Raoult, ancien pilote de l'Institut hospitalier universitaire (IHU) Méditerranée Infection à Marseille, sur l’hydroxychloroquine ayant inclus plus de 30 000 patients, les représentants de seize sociétés savantes de médecine* impliquées dans la recherche dénoncent le « plus grand essai thérapeutique "sauvage" connu à ce jour ».
Dans une tribune parue le 28 mai dans « Le Monde », les signataires dénoncent « la prescription systématique, aux patients atteints de Covid-19 (...) de médicaments aussi variés que l'hydroxychloroquine, le zinc, l'ivermectine ou l'azithromycine (...) sans bases pharmacologiques solides, et en l'absence de toute preuve d'efficacité ». Surtout, ces prescriptions systématiques, « réalisées en dehors de toute autorisation de mise sur le marché » et « de tout cadre éthique ou juridique », se sont « poursuivies, ce qui est plus grave, pendant plus d’un an après la démonstration formelle de leur inefficacité ».
Des sanctions « adaptées aux fautes commises »
S’adressant aux autorités « compétentes » (établissements de tutelle, autorités administratives et judiciaires, Haute Autorité de santé, Comité consultatif national d’éthique, Conseil national de l’Ordre des médecins), les auteurs s’étonnent de l’absence de « mesure juridique et ordinale » et du non-respect de la loi Jardé de 2012 (encadrant les recherches scientifiques sur la personne), sans réaction « des autorités administratives, ordinales ou judiciaires ».
Ils réclament désormais des sanctions « adaptées aux fautes commises par ceux qui se sont ainsi placés hors du champ des engagements déontologiques, de l’éthique médicale et de l’honnêteté scientifique ». L’enjeu relève selon eux « de la sécurité des patients et de leur confiance dans la recherche médicale », mais aussi « de la crédibilité de la recherche médicale française sur le plan national et international ».
À défaut de sanction, « ce qui s’est pratiqué restera ainsi perçu par un grand nombre de nos concitoyens comme un comportement finalement acceptable, voire souhaitable », anticipent-ils, craignant que « les graves manquements » ne deviennent « progressivement la norme, avec de lourdes conséquences sanitaires ».
Dans la foulée de cette tribune, le sénateur Bernard Jomier, également médecin, a annoncé, ce 30 mai, avoir saisi la procureure de la République de Marseille. « Les faits sont d’une gravité inédite et l’inertie des autorités de tutelle, universitaires et politiques, inacceptable », juge-t-il dans un tweet.
Des pratiques au cœur de plusieurs rapports accablants
Les pratiques de l’IHU ont déjà donné lieu à plusieurs rapports accablants des autorités. En juillet 2022, une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Marseille, après un rapport cinglant de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), pour « faux en écriture », « usage de faux en écriture » et « recherche interventionnelle impliquant une personne humaine non justifiée par sa prise en charge habituelle ». En avril dernier, l'Agence rappelait également que l'utilisation de l'hydroxychloroquine « expose les patients à de potentiels effets indésirables qui peuvent être graves ».
En septembre 2022, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) pointait les dérives médicales, scientifiques et managériales de l'IHU sous le pilotage du Pr Raoult. Le gouvernement avait alors annoncé saisir la justice. Interrogé le 28 mai lors du « Grand Jury RTL/LCI/Le Figaro », le ministre de la Santé, François Braun, a rappelé la saisine du procureur sur les pratiques de l'IHU de Marseille. « L'enquête est en cours, je n'en dirai pas plus », a-t-il dit. Interrogé pour savoir si l'enquête portait aussi sur le nouvel essai clinique « sauvage », il a répondu : « bien sûr ».
Ce 30 mai sur BFMTV, le Pr Raoult s’est défendu, à propos de l’étude publiée début avril, d’avoir mené un essai thérapeutique. « C'est juste une étude observationnelle », a-t-il argué, ajoutant que cette étude favorable à l'hydroxychloroquine « peut servir et elle servira pour l'Histoire ». Interrogé sur la prescription plusieurs mois après l'interdiction par le Haut Conseil de la santé publique, il a estimé avoir « parfaitement le droit, moi mais aussi les autres, de prescrire de l'hydroxychloroquine ». L'interdiction est « une décision politique mais qui n'engage pas la responsabilité personnelle des médecins », juge-t-il.
* Pr Mathieu Molimard, Société française de pharmacologie et de thérapeutique ; Dr Virginie Rage, Conférence nationale des comités de protection des personnes ; Pr Olivier Saint-Lary, Collège national des généralistes enseignants ; Dr Bernard Castan, Société de pathologie infectieuse de langue française ; Pr Christophe Leclercq, Société française de cardiologie ; Pr Jésus Gonzalez, Société de pneumologie de langue française ; Pr Pierre Albaladejo, Société française d’anesthésie et de réanimation ; Pr Laurent Papazian, Société de réanimation de langue française ; Pr Nathalie Salles, Société française de gériatrie et gérontologie ; Pr Luc Mouthon, Société nationale française de médecine interne ; Pr Luc Frimat, Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation ; Pr David Laharie, Société nationale française de gastro-entérologie ; Pr Isabelle Bonan, Société de médecine physique et réadaptation ; Pr Manuel Rodrigues, Société française du cancer ; Pr Dominique Deplanque, Réseau français des centres d’investigation clinique ; Pr Olivier Rascol, Plateforme française de réseaux de recherche clinique (F-CRIN).
Signataires en leur nom propre : Pr Alain Fischer, président de l’Académie des sciences ; Pr Dominique Costagliola, membre de l’Académie des sciences.
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