À la tête de l'Ordre des médecins depuis trois mois, le Dr François Arnault imprime sa marque. Face aux coups de boutoir en faveur de la coercition, l'ORL défendra les équipes de soins et – pour la toute première fois – les délégations de tâches. Sur les sujets sociétaux, il insiste sur la protection du médecin dans son exercice mais promet par ailleurs qu'il n'y aura plus de laxisme disciplinaire. Il souhaite que l'Ordre soit « exemplaire dans la gestion des cotisations des médecins ».
LE QUOTIDIEN : Le volet santé du Conseil national de la refondation s'ouvrira le 3 octobre. Bonne idée ou écran de fumée ? Comment l'Ordre compte-t-il s'y investir ?
Dr FRANÇOIS ARNAULT : Permettre à toutes les personnes concernées par la santé de dialoguer, c'est toujours pour moi une bonne idée ! Ce qui reste flou est la manière dont cette conférence sera utilisée. L'Ordre s'y investira pleinement dans deux débats majeurs que sont la démographie médicale dans les territoires et la loi sur la fin de vie. Depuis juin, les ordinaux ont commencé à travailler sur ces deux sujets. Sur la fin de vie, une réflexion a été lancée sur la place, le rôle et les garanties que nous allons défendre pour protéger les médecins. Quant à la démographie médicale, nous allons faire des propositions significatives d'évolution de l'exercice professionnel. L'Ordre restera dans ses missions strictes et ne s'exprimera pas davantage sur les sujets de politique.
Sur les déserts médicaux, de nombreux élus veulent mettre fin à la liberté d'installation des médecins. Faut-il aujourd'hui une forme de régulation ?
Je crains que la coercition soit un très mauvais message que vont envoyer les parlementaires aux jeunes médecins. Il va les éloigner de ce métier alors que notre objectif est de rendre attractif l'exercice de la médecine générale dans les territoires. Je sais que la population attend la coercition mais ce n’est pas la solution. Si nous ne voulons pas que la contrainte s'applique de façon brutale, il faut que nous, professionnels de santé, avancions des solutions crédibles aux parlementaires.
Lors du dernier Clio [Comité de liaison des institutions ordinales, NDLR] en août, l'Ordre a mis sur la table une proposition qui consiste à dire que l'équipe de soins doit être coordonnée par le médecin, sous sa responsabilité, quant au diagnostic, au choix thérapeutique et aux moyens mis en œuvre pour une prise en charge optimisée du patient. Et le gain de temps médical sera d'autant plus important si cette équipe parvient à trouver une organisation qui répartira, selon les compétences de chacun, le maximum d'actes du médecin vers les autres professionnels de santé.
En clair, l'Ordre est favorable à davantage de délégations de tâches ?
Oui, c'est une évolution importante de la position ordinale. Mais en contrepartie d'actes transférés par le médecin aux autres professionnels, nous demandons que son rôle central d'animateur soit reconnu et que des consultations longues soient mieux définies et revalorisées financièrement. Nous n'irons pas sur le terrain des syndicats pour discuter du niveau de la rémunération de ces actes. Par contre, nous les soutiendrons dans leur revendication lors des prochaines négociations face à l'Assurance-maladie.
En tout cas, la crise sanitaire que nous venons de traverser est une réelle violence. Les médecins comme les autres soignants sont dans une grande souffrance. C'est pourquoi je souhaite leur redonner de l'espoir et de la considération. L'équipe de soins coordonnés permet de réhabiliter le rôle des médecins et ils ont besoin d'entendre cela.
Deux ans après sa mise en place, la réforme des études de santé reste extrêmement contestée par les étudiants. Certains réclament son abrogation. Est-ce un sujet d'inquiétude pour l'Ordre ?
Je pense qu'au départ, les motivations de cette réforme n'étaient pas mauvaises. L'idée était de permettre aux étudiants qui n'avaient pas 20 en maths et 18 en physique de pouvoir faire médecine. Mais la réforme est devenue totalement opaque avec des arbitrages incompréhensibles. On a introduit par exemple un oral qui a fait l'objet de recours en Conseil d'État et je comprends le désespoir des étudiants. Mais faut-il pour autant l'abroger ? Non, il faudrait simplifier et rendre plus transparente la procédure.
La certification périodique entrera en vigueur en 2023. La réforme est-elle bien calibrée ? Comment l'Ordre va-t-il gérer ce contrôle ?
La réforme est bien calibrée. En revanche, l'Ordre estime que la sanction disciplinaire prévue n'est pas la bonne réponse car cela prend du temps. Nous proposons qu'à la fin de la période de six ans, le médecin qui n'aura pas respecté son obligation de certification soit entendu par la formation restreinte ordinale prévue dans le cadre de la procédure d'insuffisance professionnelle qui est immédiate. Le contrôle effectué par cette formation restreinte peut aboutir à une suspension du médecin s'il ne remplit pas les objectifs de la certification dans les six mois par exemple. Des experts seront associés pour évaluer le niveau des médecins et la valeur de la formation réalisée.
Faut-il inscrire dans le Code pénal une obligation de signalement des maltraitances et violences faites aux enfants ?
Il serait absurde de dire qu'il ne faut pas les signaler. Mais le médecin qui le fait doit être protégé, pénalement et physiquement. Par ailleurs, nous nous interrogeons sur un éventuel effet contre-productif d'une telle obligation : les familles concernées ne vont-elles pas se tenir éloignées du médecin ? C'est un risque réel.
Un groupe de travail présidé par la Dr Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi, vice-présidente du Cnom, réfléchit à ce sujet. La réponse n’est pas binaire, il faut bien encadrer le dispositif comme on l’a fait pour les violences intraconjugales. Pour rappel, nous avons fait modifier la loi pour permettre aux médecins de les signaler, même sans l'accord de la victime (qui doit être informée).
Pour protéger le médecin, faut-il interdire ou suspendre toute poursuite disciplinaire dans le cadre d'une suspicion de maltraitances ou de violences sexuelles ?
L’Ordre n’a pas à suspendre une procédure disciplinaire contre un médecin, ni à s'interposer. Les juges de la chambre disciplinaire sont libres et indépendants de l'Ordre. En tout cas, les principes sont clairs. Nous poursuivrons tous ceux qui seront en dehors des règles déontologiques devant la chambre disciplinaire quel que soit le domaine concerné : la maltraitance, la non-vaccination, le prosélytisme antivaccins ou en faveur de traitements hasardeux non éprouvés par la science. Il n'y aura pas de laxisme disciplinaire ordinal. Et je déplore quand cela fut le cas par le passé.
Pratiques non conventionnelles, faux médecins : Doctolib a été critiqué sur la gestion de sa plateforme de prise de rendez-vous. Que fait le Cnom pour éviter les dérapages ?
Nous allons demander à Doctolib de séparer clairement les professionnels de santé des autres professions qui n'ont pas les mêmes finalités. Il faut un site à part. Par ailleurs, pour les médecins, nous souhaitons aussi que leur annonce sur la plateforme soit conforme aux règles de publicité et déontologiques. Or, il existe des dérapages et Doctolib doit être très vigilant sur la façon dont les médecins se présentent. Nos demandes concernent toutes les plateformes de prise de rendez-vous.
À la suite des poursuites qui visent le Pr Émile Daraï et la Dr Chrysoula Zacharopoulou, comment l'Ordre peut-il sensibiliser les médecins à l'importance du consentement, dans le cadre d'un examen gynécologique ?
L'Ordre a un vrai rôle à jouer entre les patients et les médecins, concernant des examens médicaux sensibles, en particulier en gynécologie, mais aussi en gastro-entérologie ou en urologie. Je ne veux pas surprotéger les médecins, mais il ne faut pas les désespérer de faire correctement leur métier. Il nous faut attirer l'attention du praticien sur son obligation déontologique d'information : il doit expliquer au patient l'acte qu'il va pratiquer.
D'un autre côté, le médecin doit être protégé dans son exercice, il ne peut craindre d’être poursuivi pour viol dès qu'il fait un toucher vaginal dans les règles de l'art : c’est une souffrance professionnelle, avec le risque que ces examens médicaux disparaissent, ce qui aboutirait à une perte de chance pour les patientes. J'ai demandé dès juillet à la Dr Glaviano-Ceccaldi de réfléchir à des recommandations avec plusieurs spécialités et des patients, pour clarifier ces situations. L’objectif est de garantir une bonne information du patient et la sécurité juridique des médecins.
À quand la parité au sein du bureau de l'Ordre national ? Quelles réformes prioritaires souhaitez-vous engager en interne ?
Aujourd'hui, le Conseil national est paritaire et s'est rajeuni. Beaucoup de nouveaux entrants qui représentent une nouvelle génération de femmes et d'hommes doivent encore s'approprier le travail demandé. Je pense qu'au prochain bureau, l'objectif de parité pourrait être atteint.
Un autre chantier prioritaire en interne concerne la mise aux normes financières de l'institution dont la réforme a été initiée par le précédent président, le Dr Patrick Bouet. Je souhaite que l'Ordre soit exemplaire dans la gestion des cotisations des médecins.
Tout ce qui est dépensé est fait dans l'intérêt des confrères, c’est-à-dire la gestion des inscriptions, des diplômes, du DPC, des missions d'entraide. Quand je terminerai mon mandat, cette réforme basée sur la transparence aura été menée à bien.
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