« Loin d'être prescriptifs, nos documents cherchent à identifier des points de vigilance et donner des pistes d'approche », explique Emmanuel Hirsch, professeur d'éthique médicale (université Paris Saclay) et directeur de l'espace éthique de la région Ile-de-France. Ce dernier a installé, en partenariat avec l’Espace national de réflexion éthique maladies neuro-dégénératives et le Département de recherche en éthique de l’Université́ Paris-Saclay, l'observatoire « Covid-19 Éthique & société ».
L'un de ses groupes pluridisciplinaires vient de publier une fiche sur les enjeux éthiques décisionnels en réanimation. La pandémie actuelle rebat les cartes. « À cause des capacités limitées d'accueil et de traitement, on risque de ne pas pouvoir se permettre le temps de la discussion, de la recherche de consensus et de la convergence des points de vue, qui sont pourtant les conditions de l'acceptation d'une décision médicale », observe Emmanuel Hirsch. Et la conjugaison des paramètres (temporalité indéterminée, incertitudes scientifiques, expositions physiques et psychiques de soignants, craintes pour l'entourage, etc.), ne manque pas de rendre les dilemmes plus intenses.
Dès le Samu, se pose la question de la régulation. Comment discriminer ? Faut-il préférer le critère de l'âge ou regarder l'indice de la fragilité ? Opter pour la logique du « premier arrivé, premier servi » ? Doit-on tenir compte du risque qu'aurait le patient à contaminer un groupe ou une collectivité ? Comment maintenir une équité nationale, alors que certains Samu sont saturés ?
Le tri, un enjeu démocratique
Puis en réanimation, comment concilier l'approche au cas par cas (rendue d'autant plus difficile que les patients ne sont pas toujours en état de s'exprimer, et les familles, non autorisées dans les services) et le recours à des règles générales ?
Les protocoles sont indispensables, selon Emmanuel Hirsch, et doivent être validés par le politique, même s'ils sont éclairés par le travail des sociétés savantes, et même si sur le terrain, leur application reste à la main de l'équipe soignante. « Qui va-t-on sauver ou abandonner ? Les "héros" ne peuvent être seuls. Les soignants endosseront d'autant plus facilement des choix aux lourdes conséquences vitales et sociales que les arbitrages seront assumés par le politique », considère Emmanuel Hirsch.
« Des recommandations de tri sont nécessaires : dès lors que l’expertise médicale n’est plus seule en lice, se demander qui est habilité à décider et selon quels critères devient un enjeu de démocratie », écrit Frédérique Leichter-Flack, membre du comité d'éthique du CNRS, dans un texte annexé au document de l'Observatoire. Et de préciser que « la priorisation doit refléter les valeurs de la nation ».
Tout en laissant la liberté de la réflexion à ceux qui se saisiront de ces travaux, qui portent également sur les Ehpad et le domicile, d'une part, et le handicap et les précarités d'autre part, l'observatoire attire l'attention sur l'importance de soutenir moralement les soignants et de leur témoigner de la considération. Y compris « les lendemains d'hyperactivité ».
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