Croiser un vieux traitement longtemps abandonné et les promesses de l’intelligence artificielle (IA) pour combattre des infections bactériennes résistantes aux antibiotiques : tel est le pari des scientifiques de l’Institut Pasteur, de l’Inserm, de l’AP-HP et de l’Université Paris Cité, qui ont développé un nouvel outil susceptible de choisir, de façon simple et efficace, le meilleur cocktail de bactériophages possible pour un patient donné.
Inventée dans les années 1920, la phagothérapie, c’est-à-dire l’utilisation de virus appelés bactériophages qui n’infectent que des bactéries pour les éliminer de façon ciblée, a été abandonnée à la fin des années 1930, avec l’arrivée des antibiotiques, beaucoup plus simples d’utilisation. L’approche connaît un retour en grâce depuis une vingtaine d’années, alors que se développe l’antibiorésistance. Reste que la grande diversité et la spécificité des bactériophages rendent cette piste complexe. « Aujourd’hui, seuls quelques pays de l’Europe de l’Est, comme la Géorgie, utilisent encore la phagothérapie, tandis que dans les pays occidentaux, des phages à "large spectre" sont utilisés ponctuellement de façon compassionnelle (dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation nominative, NDLR) pour traiter des infections chroniques multirésistantes aux antibiotiques, quand plus aucun médicament autorisé n’est efficace », rappelle le Dr Baptiste Gaborieau, co-premier auteur de l’article, médecin réanimateur à l’hôpital Louis-Mourier (AP-HP) et chercheur dans le laboratoire IAME (Université Paris Cité-Inserm), dans un communiqué.
Mise en lumière du rôle crucial des récepteurs à la surface des bactéries
Dans leurs travaux publiés le 31 octobre 2024 dans la revue Nature Microbiology, les chercheurs français apportent la preuve de concept d’un outil qui sélectionnerait sur mesure des bactériophages en se basant uniquement sur le génome des bactéries ciblées.
Dans un premier temps, ils ont d’abord analysé les mécanismes d’interaction entre les bactéries et les phages. L’objectif : savoir s’il est possible de prédire l’efficacité d’un bactériophage sur une souche bactérienne donnée. Pour ce faire, ils ont créé une base de données avec d’un côté 403 souches de bactéries Escherichia coli et de l’autre 96 bactériophages. Un travail qui aura nécessité plus de deux ans d’efforts. « Nous avons mis en contact les phages avec les bactéries en culture et observé quelles bactéries étaient tuées. Nous avons étudié 350 000 interactions et réussi à identifier, au niveau du génome des bactéries, les caractéristiques susceptibles de prédire l’efficacité des phages », résume Aude Bernheim, principale autrice et responsable du laboratoire Diversité moléculaire des microbes à l’Institut Pasteur.
« Contrairement à ce que l’on pensait initialement, ce sont les récepteurs à la surface des bactéries et non leurs mécanismes de défenses qui déterminent en premier lieu la capacité des bactériophages à pouvoir ou non infecter les bactéries, et qui présagent de leur efficacité », poursuit Florian Tesson, co-premier auteur de l’article et doctorant (Pasteur et Université Paris Cité-Inserm).
Une sélection de bactériophages efficace à 90 %
Puis les bio-informaticiens de l’équipe ont conçu un programme d’intelligence artificielle basé sur l’analyse du génome des bactéries, et plus particulièrement des régions impliquées dans le codage des récepteurs membranaires de la bactérie, porte d’entrée des phages. « Nous ne sommes pas ici devant une " boîte noire ", et c’est ce qui fait la force de notre modèle à base d’IA. Nous savons exactement comment il fonctionne, ce qui nous aide à améliorer ses performances », souligne Hugo Vaysset co-premier auteur de l’article et doctorant (Pasteur). Après plus de deux ans d’entraînement, l’IA a ainsi été capable de prédire correctement l’efficacité des bactériophages face aux bactéries E. coli de la base de données dans 85 % des cas, simplement en analysant l’ADN des bactéries. « Un résultat qui surpasse nos attentes », reconnaît Aude Bernheim.
Les chercheurs ont testé leur modèle sur une nouvelle collection de souches bactériennes d’E. coli responsables de pneumonies et ont sélectionné, pour chacune d’entre elles, un « cocktail » sur mesure de trois bactériophages. Dans 90 % des cas, les bactériophages choisis sur mesure par l’IA ont détruit les bactéries en présence. « Nous devons encore tester le comportement des phages dans différents environnements, mais la preuve de concept est faite. Nous espérons pouvoir l’étendre à d’autres bactéries pathogènes, car notre IA a été conçue pour s’adapter facilement à d’autres cas de figure, et offrir dans le futur des traitements de phagothérapie personnalisés », conclut Aude Bernheim.
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