Inquiète des répercussions de l’introduction des ordonnances sécurisées pour la prescription de codéine et de tramadol prévue dès le du 1er décembre 2024, la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) réclamait un moratoire à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). C’est désormais chose faite. Le gendarme du médicament a annoncé, ce 22 novembre, dans un mail adressé aux syndicats représentatifs de la profession (Fédération des syndicats pharmaceutiques de France et Union des syndicats de pharmaciens d’officine), un report de l’application de la mesure au 1er mars 2025.
Annoncée fin septembre, la mesure vise à lutter contre les risques de mésusage, de dépendance, d’abus et de surdosage associés aux médicaments opioïdes. Mais sa mise en œuvre « précipitée » faisait craindre aux spécialistes de la douleur une pénalisation de nombreux patients ayant un besoin justifié de ces traitements.
Un défi logistique
« La crainte des dérives ne doit pas conduire à une opiophobie, qui risque d’aggraver le phénomène d’oligoanalgésie (insuffisance à reconnaître et à fournir une analgésie chez les patients souffrant de douleur) déjà présent en France, notamment dans des situations d’urgence, alerte la Pr Valéria Martinez, présidente de la SFETD. Nous devons autant nous soucier des risques liés à une surprescription que de ceux liés à une sous-prescription lorsque les opioïdes sont nécessaires. »
La principale crainte de la société savante porte sur des interruptions de prescription. Le défi est logistique pour les établissements. « Nous ne sommes pas prêts », interpelle la SFETD, listant une série de prérequis encore à atteindre : approvisionnement en ordonnances sécurisées, adaptation des logiciels ou encore formation des professionnels.
La société savante pointe également les risques de vols, de falsifications, voire d’agressions de soignants. « En voulant sécuriser la prescription avec ces ordonnances, nous créons un paradoxe. La morphine risque fort d’être en réalité moins sécurisée à cause de la masse d’ordonnances papier exposées aux vols, observe la Dr Marguerite d’Ussel, secrétaire générale adjointe de la SFETD. Pourtant, le Ségur du numérique en santé avait promis, pour janvier 2025, des ordonnances électroniques assurant une véritable sécurisation pour les prescriptions de ville. Malheureusement, ce projet ne concerne pas les établissements de santé qui sont également en première ligne pour instaurer les traitements de la douleur aiguë, notamment postopératoire. »
Une consommation en hausse à surveiller
La SFETD ne nie pas la tendance à une hausse de la consommation de ces traitements, qui reste « sans commune mesure » avec ce qui est observé aux États-Unis. Si la situation mérite une « attention accrue », il est « essentiel d’éviter des comparaisons simplistes qui alimentent une peur disproportionnée ou des politiques inadaptées. »
« Les décisions concernant le tramadol et la codéine sont la conséquence de données de pharmacosurveillance datant de 2022 ce qui ne laisse probablement pas le temps nécessaire aux recommandations de la Haute Autorité de santé de mars 2022 sur le bon usage des médicaments opioïdes de porter leurs fruits. Il est nécessaire de mieux diffuser ces recommandations sur la juste prescription des médicaments antalgiques opioïdes », analyse le Pr Nicolas Authier, psychiatre et pharmacologue, chef des services de médecine de la douleur et de pharmacologie médicale du CHU de Clermont-Ferrand et membre du conseil d’administration de la SFETD.
Plusieurs leviers pourraient participer à des usages adaptés : la formation initiale et continue des médecins, l’éducation des patients, ainsi que des protocoles standardisés et des guides de prescription. La SFETD propose aussi une soirée de conférences, le 26 novembre au Grand Palais, à Paris. Inspirées des « Paintalks » canadiens, ces conférences visent à « éclairer et sensibiliser » le grand public aux « enjeux de la douleur dans notre quotidien », explique la Pr Martinez.
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