La psychiatrie française peut-elle être comparée à un archipel constitué de nombreuses îles qui ne communiquent pas entre elles ?
Si l’on prend une autre image, les chapelles sont en partie derrière nous. Les positions dogmatiques qui ont animé la communauté ne sont plus d’actualité. Certes persistent encore des débats contradictoires. Mais cela est vertueux et c’est ce qui fait la richesse des disciplines psychiatriques. Nous sommes désormais dans une étape d’intégration de cette diversité. C’est aussi le symptôme d’une discipline au carrefour de plusieurs champs de connaissances, à savoir les sciences sociales, les neurosciences, la neuro-psycho-pharmacologie, la psychologie, pour ne citer que les principales. La confrontation entre visions différentes est donc naturelle. Je ne vous sers pas ici un discours politiquement correct. Mais les dernières générations de psychiatres sont à l’aise avec cette diversité théorique et pratique et la nécessité d’intégrer les différents savoirs. Auxquels il faut ajouter les savoirs détenus par les personnes concernées. Ainsi se manifestent une reconnaissance du savoir expérientiel et une fertilisation des projets et réformes en cours par les usagers et les associations de patients.
Certains psychiatres s’alarment des menaces qui pèseraient sur la pérennité de la notion de secteur…
Soyons clairs. Le secteur s’estime menacé. Mais il ne l’est pas. C’est un acquis historique. Dans les réformes envisagées, celle des autorisations du financement et des organisations territoriales avec les projets territoriaux de santé mentale, la remise en cause du secteur n’a pas été envisagée.
Les nouvelles demandes sociales, le découpage de la discipline ne soulèvent-ils pas sa remise en cause, même en l’absence de volonté politique ?
Pourquoi opposer les besoins des patients, les progrès des connaissances au maintien du secteur ? Rien n’interdit aux secteurs, certains l’ont réalisé, de se positionner sur des activités de recours spécialisé, c’est un mouvement bien engagé. Par exemple, les centres de recours portés par la Fondation Pierre-Denicker ou la Fondation Fondamental sont mis en place par des acteurs de secteur. En témoigne la réhabilitation psychosociale à la main de structures spécialisées et aussi des acteurs de secteur.
Quel est l’état de santé de la psychiatrie française ?
C’est le parent pauvre de la médecine française. Un retard historique a été accumulé. L’offre de soins a été plutôt stagnante alors que la demande dans les vingt dernières années a été croissante. Elle était auparavant dédiée à la prise en charge des grandes pathologies mentales. Elle doit répondre désormais à des demandes diverses depuis les psycho-traumas comme les violences faites aux femmes et aux enfants, les troubles anxieux, le burn-out… etc. C’est certes une bonne nouvelle. Ce mouvement permet une déstigmatisation de la discipline associée à une démocratisation du recours au soin psychique. Mais il se produit alors que l’institution hospitalière a traversé une disette budgétaire avec une offre de soins qui n’a pas suivi. D’où une discipline en tension. Ce constat a été établi de manière répétée par de nombreux rapports. Pour autant, un plan de réformes a été proposé seulement au cours des dernières années, sous l’impulsion d’Agnès Buzyn. Ont suivi la publication d’une feuille de route santé mentale et psychiatrie et la création d’une équipe dédiée au suivi de sa mise en œuvre. L’engagement du gouvernement en faveur de la santé mentale sous l’impulsion d’Olivier Veran va crescendo.
Où en est-on de la mise en œuvre de cette feuille de route ?
Le comité stratégique santé mentale et psychiatrie présidé par le ministre s’est réuni récemment afin de rendre compte des avancées et des retards. La réponse apportée à cette inadéquation entre l’offre et les besoins est diverse. On peut citer la création des instances de coopération au niveau territorial afin de fluidifier les parcours de soins. Une priorité est donnée à l’ambulatoire du fait d’une plus grande efficacité et d’un moindre coût pour les établissements. Enfin, une articulation étroite est posée entre les politiques de prévention, de soins et d’inclusion sociale.
Outre la feuille de route, combien de projets bénéficiant de l’article 51 sont en cours d’expérimentation ?
On en recense six en cours de réalisation et d’instruction. Mais ce n’est pas le seul outil d’innovation disponible. Deux appels à projets ont été lancés. Citons le fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie qui finance des projets sur une période de trois ans. En cas de succès, leur financement devient pérenne. Il a été doté de 10 millions d’euros en 2018, en 2019, puis porté à 20 millions en 2020 du fait de son succès et de la grande qualité des projets présentés. L’autre appel à projet est consacré à la pédopsychiatrie. Initialement il s’agissait d’une remise à niveau de l’offre de soins. Là encore nous avons soutenu des projets pour un montant global de 20 millions d’euros chaque année depuis 2018, les financements devenant pérennes.
Au-delà du volet financier, se pose la question de la formation en nombre suffisant de pédopsychiatres ?
La démographie médicale n’est pas un problème simple à régler notamment pour la pédopsychiatrie. Se greffe la valorisation insuffisante de l’acte en ville. En 1980, 8 400 psychiatres étaient en exercice. On en recense aujourd’hui 15 000 dont 1 825 (800 en libéral) à destination des populations enfants et adolescents.
La France dispose de 23 psychiatres pour 100 000 habitants, ce qui nous place plutôt bien dans le palmarès des pays européens. La répartition des psychiatres sur le territoire est plutôt le réel problème avec la question brûlante de la pyramide des âges. 66 % des psychiatres libéraux sont âgés de plus de 55 ans. Dans plus de la moitié des départements, plus de 50 % des praticiens devraient partir prochainement en retraite. Si l’on s’intéresse à la formation, en 2004, 200 postes étaient ouverts en psychiatrie. Depuis trois ans, nous en comptons 530. Nous connaissons un creux actuellement. Mais la démographie reprend des couleurs à partir de 2022 jusqu’en 2040. Entre 2016 et 2021, la situation peut être qualifiée d’épouvantable. L’enjeu a été identifié par le Collège national des universitaires de psychiatrie, notamment par la communauté des pédopsychiatres universitaires. Deux options sont ouvertes. L’allongement du DES de psychiatrie à cinq ans ne rencontre pas à ce jour un écho favorable auprès du ministère de l’Enseignement supérieur, seul décisionnaire en la matière. La seconde possibilité serait d’augmenter le pourcentage de postes ouverts à la pédopsychiatrie. Nous sommes passés de 10-15 % à 20 %. Ce qui est compliqué est toutefois de bien peser les équilibres entre les différents besoins. La psychiatrie générale est également en tension. L’attractivité est aussi traitée au travers du renfort d’universitaires en pédopsychiatrie. Avant mon arrivée, huit régions en étaient encore dépourvues. Ce chiffre est tombé à trois. Cet effort sur la titularisation d’universitaires sera poursuivi. Et concernera l’ensemble de la discipline. Le ratio enseignants/enseignés en psychiatrie est parmi les plus bas des disciplines médicales. Par ailleurs, l’organisation de l’offre de soins s’appuie sur une délégation de tâches aux infirmières, aux infirmières de pratiques avancées, aux psychologues pour répondre à cette inadéquation de l’offre. Enfin, le nombre très important de postes vacants est un indicateur de ces difficultés démographiques. Le phénomène est observé quelle que soit la structure hospitalière, même si certains établissements sont entrés dans une forme de cercle vicieux.
Comment alors résoudre le problème ?
Nous avons dû traiter le problème du centre hospitalier Nord Deux Sèvres de Thouars où une infirmière a été poignardée. Il a connu une situation très critique avec 9 postes de PH vacants sur un total de 14 et une fermeture de l’ensemble de ses lits après le drame. La réponse a été de mobiliser la réserve sanitaire, de revoir le projet médical et de renforcer les coopérations entre le centre hospitalier Nord Deux Sèvres et le CHU de Poitiers. Ce qui a permis de restaurer une offre de soins au centre hospitalier Nord Deux Sèvres. L’optimisation de l’attractivité repose sur la multiplication des partenariats. Le nouveau projet médical de l’établissement séduit de nouveau les soignants. Cette logique de coopération entre les acteurs est au cœur des projets territoriaux de santé mentale. La mise en place des GHT a contribué à cette intégration même si certains accouchements se révèlent difficiles. Bien sûr, certains hôpitaux demeurent insuffisamment intégrés dans ce maillage. Mais c’est un mouvement en marche très clairement.
La réforme du financement de la psychiatrie a été une nouvelle fois reportée. Quelles en sont les principales avancées ?
Les hôpitaux publics sont financés par une dotation de financement, reconduite chaque année. On peut la qualifier de rente. C’est un outil relativement « anesthésiant ». D’où la mise au point d’un nouveau mode de financement qui incite, accompagne les réformes indispensables pour la discipline. De plus au fil des années se sont creusées des inégalités entre régions. Or, aucune révision n’était programmée afin d’adapter ces dotations aux évolutions démographiques, sociales et plus simplement des besoins. C’était une doléance répétée des ARS qui appelaient à traiter ces inégalités territoriales apparues au fil des décennies. Enfin, troisième enjeu, les financements des hôpitaux publics et des cliniques privées diffèrent. Le secteur privé connaît chaque année ou presque une croissance importante là où les établissements publics progressent beaucoup plus lentement. Comment dans ce contexte organiser des logiques partenariales entre acteurs dans un territoire dès lors que les financements sont si discordants. L’ambition de cette réforme du financement est de placer sous un même régime les hôpitaux publics, les hôpitaux privés à but non lucratif et ceux à but lucratif.
Quel mode unique de financement a été retenu ?
Différents compartiments sont prévus. Le compartiment populationnel, fixe, est majoritaire. Il est l’équivalent d’une dotation annuelle de fonctionnement (DAF) et représentera environ 80 à 85 % de la dotation. D’autres compartiments viennent soutenir les évolutions attendues de la spécialité. Une dotation finance les activités de recours ou spécifiques (psychiatrie pénitentiaire, les traitements d’électro-convulsivothérapies, centres experts), soit 2 à 5 % du budget. Une dotation à l’activité qui incite à l’augmentation de l’activité, notamment ambulatoire représente 10 à 15 % de l’ex-enveloppe. Un à 1,5 % est dédié aux projets de transformation des établissements. Le même pourcentage est réservé au financement des nouvelles activités et 0,5 % à la qualité. Le codage des activités représente 0,6 % de l’objectif. Enfin la dotation pour soutenir les activités de recherche s’élève à 0,1 %. Pour prendre la mesure des budgets alloués, rappelons que la psychiatrie dans son ensemble est financée à hauteur d’environ 24 milliards d’euros.
La FHP s’alarme de la fin d’un financement intégral à l’activité.
Une volonté politique s’est manifestée en faveur du changement. Toutes les garanties financières ont été données afin qu’aucun établissement ne soit en difficultés financières. Les dernières négociations ont été traitées directement au niveau du cabinet du ministre. La FHP estime que l’on n’a pas eu assez de temps pour préparer la réforme. En fait cette réforme se prépare depuis huit ans. Si elle a été repoussée, ce n’est pas parce que les établissements privés n’étaient pas prêts.
La FHF a manifesté son mécontentement de ce report.
La réforme était très attendue. Le report a été une décision très difficile. En effet, la réforme du financement n’est pas une fin en soi, c’est un moyen au service des réformes notamment de l’organisation territoriale. Cela a été logiquement une déception.
Comment dans ces conditions explique-t-on ce report ?
Nous disposions d’un calendrier qui permettait un atterrissage en 2021. Nous avons été très perturbés dans les derniers ajustements lors de la seconde vague de la Covid. Un tour de France était en cours afin de travailler avec les ARS les simulations financières pour chaque établissement. Par ailleurs, la mise en place de ce nouveau mode de financement constitue un virage à la fois pour le ministère et les ARS alors que le système de la DAF fonctionne de manière relativement automatique. Il exige des réglages précis, impose un dialogue de gestion qui n’existait pas, dialogue de gestion vertueux entre le ministère et les ARS, entre les ARS et les établissements. Faut-il rappeler le contexte actuel où les ARS sollicitées par la crise sanitaire sont exsangues. Il y a une réelle impatience pour la mise en œuvre de ce nouveau mode de financement. L’enjeu des réorganisations territoriales a été compris par l’ensemble des acteurs qui s’est traduit par une belle dynamique d’élaboration de projets territoriaux de santé mentale. Pour autant son succès nécessite une disponibilité des équipes. Ce qui en période de pandémie n’est guère réaliste.
Au-delà des avancées significatives de la feuille de route santé mentale, quels retards recensez-vous ?
Malgré le contexte, un grand nombre de chantiers sont bien avancés. Certains ont pris du retard comme celui de la paire-aidance, à savoir l’intégration dans les équipes de soins de patients « experts » et plus généralement du savoir expérientiel. C’était une priorité que nous avait assignée Agnès Buzyn au début de l’année 2020. Il faut le reconnaître, nous n’avons guère avancé sur ce dossier, pourtant prioritaire. Deux mouvements par ailleurs se télescopent, ceux qui militent pour une paire-aidance bénévole et donc indépendante et les autres en attente d’un cadre réglementaire de l’emploi des pairs-aidants.
Nous avons par ailleurs salué l’installation de la nouvelle Commission nationale de la psychiatrie, instance de concertation qui contribue à l’avancée de ces chantiers. Le plan d’accompagnement de la nouvelle loi sur l’isolement et la contention a également été évoqué. Il a été jugé insuffisant. L’enveloppe de 15 millions d’euros budgétée cette année a vocation à augmenter les années suivantes. Un constat très contrasté sur les groupes d’entraide mutuelle au cours de la crise sanitaire a été dressé.
Au final, nous sommes à un moment particulier de l’Histoire où les thématiques santé mentale et psychiatrie sont reconnues comme des priorités au plus haut niveau de l’État.
Colopathie fonctionnelle : la réponse au régime pauvre en fodmaps dépend du profil métabolique
Eat’s OK : une appli pour un accompagnement nutritionnel adapté à la prise de médicaments
Patients âgés insuffisants rénaux : repousser le plus possible la dialyse pourrait être la meilleure option
Vieillissement : l’analyse moléculaire révèle une accélération à 44 et 60 ans