C’est un constat depuis quelques mois, de plus en plus de nos jeunes confrères préfèrent l’exercice salarié plutôt que l’installation en libéral. Faut-il s’en étonner ? Mais tout y concourt !
À commencer par la prise du pouvoir depuis 15 ou 20 ans par les Caisses d’Assurance Maladie, au motif qu’elles représentent les payeurs. Leurs moyens considérables leur ont permis de recruter une armée de médecins-conseils, en fait médecins contrôleurs, qui, avec les développements de l’informatique, ont la capacité de vérifier les prescriptions de manière exhaustive et non plus sur quelques échantillons. Plus aucune « erreur », prescription hors AMM ou fréquence « anormale » de soins ne leur échappe, et les médecins sont passés sous tutelle télématique permanente et en temps réel. Les Mutuelles sont d’ailleurs sur les rangs pour en faire autant, avec les mêmes louables motivations (éviter les « abus », les dépenses excessives ou les risques de tout comportement hors des clous).
Certes, l’exercice salarié ne dispense pas de ces contraintes mais force est de constater que les mesures de contrôle ont jusqu’ici surtout concerné les libéraux… et la protection du praticien est meilleure pour un salarié (exemple : la responsabilité de l’hôpital en cas de complication chez un malade, qu’il y ait eu erreur ou simple aléa thérapeutique). Sans omettre les tarifs exorbitants des assurances en responsabilité civile dans certaines spécialités (obstétrique, chirurgie, anesthésie…)
Il faut mentionner aussi l’accroissement des exigences imposées à chaque médecin : informatisation devenue incontournable sinon obligatoire, aux frais du praticien bien entendu, induisant une nouvelle dépendance vis-à-vis des éditeurs de logiciels, des techniciens informatiques, obsolescence programmée des matériels, télétransmission des actes médicaux par carte vitale, d’où nécessité de s’équiper de lecteurs de cartes nomades, règles draconiennes de prescription des transports sanitaires, remplacement de la NGAP (Nomenclature Générale des Actes Professionnels) par une CCAM (Classification Commune des Actes Médicaux) difficile à mémoriser et peu intuitive.
Le passage en force au tiers payant généralisé décidé par une de nos ministres contre l’avis de presque toute la profession a fini par échouer mais pour combien de temps ? Jeu trouble des mutuelles quant à ce tiers payant, certaines l’acceptant, d’autres non, d’autres encore pour certaines catégories de médecins seulement… avec des comportements s’apparentant parfois à une véritable arnaque.
La complexité croissante des modes de rémunération, entre le paiement à l’acte classique mais corseté dans la CCAM et les divers forfaits (médecin traitant, pédiatrique, ALD… ROSP) perçus en différé de plusieurs mois, voire un an, contribue aussi à décourager l’exercice en libéral.
S'ajoute à cela la féminisation du corps médical : depuis plusieurs années déjà les filles (parce que plus intelligentes ? Plus précoces ? Plus mûres ?) réussissent mieux aux épreuves du concours que les garçons, et le desserrage récent du numerus clausus ne changera rien à cet état de fait. Au point que certains esprits (macho ou naïfs ?) ont envisagé la « parité …
Ces confrères – appellation que je préfère à consoeurs — lorsqu’elles décident de fonder une famille disposent dès lors de moins de temps au service de leur patientèle et choisissent logiquement un mode d’exercice qui les libère des contraintes de gestion d’un cabinet libéral. De leur côté, leurs homologues masculins décident de plus en plus – et sans doute avec raison — de ne pas tout sacrifier à leur profession, d’accorder plus de temps à leur vie familiale et en arrivent aux mêmes conclusions.
Les charges financières d’un cabinet libéral enfin, surtout lorsqu’il comporte un secrétariat, sont largement dissuasives (45 à 55 %) et en faveur d’une orientation vers le salariat.
Il n’est donc pas étonnant que le choix des médecins les porte de plus en plus vers un exercice salarié. Cela n’enlèvera rien d’ailleurs à l’intérêt du métier, mais il est loin le temps où l’on pouvait s’installer en médecine libérale avec un minimum de matériel relativement peu onéreux (un stéthoscope, un tensiomètre, un marteau à réflexes, un otoscope et une lampe de poche !) et travailler même en cas de coupure de courant ! Et il faudra trouver un mode d’encouragement financier pour les médecins salariés qui termineront leur journée à 19 ou 20 heures quand d’autres seront au tennis à 17 heures…
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