L'immunothérapie spécifique, qui fête cette année son 100e anniversaire, a bouleversé l’allergologie. Et elle ne cesse d’évoluer : après les piqûres, les formes liquides, ce sont les formes comprimés sublinguaux qui voient le jour en 2011. À l’avenir, cette méthode, principalement utilisée dans les allergies respiratoires, pourrait avoir des débouchés dans le traitement des allergies alimentaires.
« En 2011, la grande avancée en allergologie est très pratique, avec l'arrivée sur le marché français du premier comprimé sublingual d'immunothérapie comme traitement préventif de l'allergie aux pollens de graminées », indique le Dr Jean-Pol Dumur, pneumologue allergologue à Aix-en-Provence. Le Grazax® (laboratoire ALK) est en effet disponible en pharmacie depuis le 4 janvier 2011. « Il apporte une réponse supérieure de 40 % par rapport au placebo. Seuls quelques effets secondaires locaux ont été constatés, mais pas de réaction générale. Ce produit présente une commodité d'emploi bien supérieure aux formes précédentes. » En effet, la désensibilisation sublinguale sous forme liquide est, elle, vendue sous forme d'APSI (allergène préparé spécifiquement par un individu), avec les inconvénients que l’on connaît : elle se conserve au frigo et la posologie doit être respectée à la goutte près. Par ailleurs, un autre comprimé d’immunothérapie (IT) contre les allergies aux pollens de graminées devrait obtenir son AMM en France dans le courant de l’année : Oralair® (laboratoire Stallergènes).
« Avec l’apparition de la forme comprimé, l'IT accède au rang de classe thérapeutique. Et les patients concernés sont ceux qui résistent à la première ligne de traitement », indique le Pr Pascal Demoly, allergologue au CHU de Montpellier. Un bémol tout de même: l’immunothérapie sublinguale n'est remboursée qu'à 15 %, alors que l'APSI l’est à 65 %.
Aujourd’hui, l’IT n’a pas d’indication dans les allergies alimentaires. Cependant, la recherche est en cours dans ce domaine. Notamment, des immunothérapies orale et épicutanée sont testées dans diverses allergies alimentaires, en particulier celles au lait, l'œuf et l'arachide, mais aussi aux fruits à coque, au blé, au poisson, ou à certains fruits et légumes.
De nouveaux modes d'immunothérapie
Le Dr Martine Morisset, allergologue et interniste au CHU de Nancy, a ainsi présenté au congrès francophone d’allergologie 2011, et dans un article paru dans la revue française d'allergologie, les dernières nouveautés concernant l'immunothérapie orale aux aliments. Si une tolérance acquise aux protéines de lait de vache apparaît fréquemment (avant 4 ans dans 26 à 80 % des cas), la guérison d'une allergie à l'œuf est plus rare et plus tardive (seulement 68 % à 16 ans, d'après les dernières études). Et l'acquisition d'une tolérance à l'arachide ne surviendrait qu'entre 10 % (avant 16 ans) et 20 % des cas (avant 20 ans).
Face à ces allergies, les régimes d'éviction sont souvent nécessaires. Mais, ils peuvent aussi être néfastes à long terme. Ils peuvent en effet induire des carences, altérer la qualité de vie, n'excluent pas une exposition accidentelle, et peuvent provoquer un phénomène de sursensibilisation.
L’induction de tolérance orale
Face à ce constat, des protocoles d'immunothérapie orale ont été testés. Pour les mettre en œuvre, il faut tout d'abord confirmer le diagnostic d'allergie alimentaire, et estimer le seuil de réactivité. L'induction de la tolérance orale est ensuite menée en deux temps. D'abord, une phase d'induction (« rush ») avec augmentation progressive des doses jusqu'à atteindre la dose optimale. Cette phase peut durer plusieurs mois, ou seulement quelques heures. Elle a généralement lieu à l'hôpital quand elle est courte, ou au domicile quand elle s'étend sur la durée. Elle consiste à faire ingérer l'aliment sous sa forme normale (graine de cacahuète pilée, lait frais, œuf cru ou cuit).
Ensuite commence la phase de maintenance (« build-up »), pendant laquelle le patient consomme l'aliment quotidiennement. Dans ces études, la préparation de l'aliment (sa cuisson, pour l'œuf et le lait) influent sur la tolérance, état qui n'est maintenu que grâce à une ingestion quotidienne.
Les résultats de l'immunothérapie orale au lait de vache sont très encourageants, menant à des guérisons complètes dans 36 à 89 % des cas et à une tolérance partielle (c'est-à-dire protégeant le patient contre des réactions à des ingestions accidentelles) dans 85 à 90 % des cas. Les études sur l'immunothérapie orale à l'œuf sont moins nombreuses mais très positives aussi, menant à des consommations quotidiennes de 300mg d'œuf cru ou de 60g d'œuf cuit. Dans le cas de l'arachide, la durée des phases d'induction et les paliers jouent beaucoup sur les résultats, une augmentation très progressive des doses semblant plus efficace et plus sûre. Ainsi, une étude allemande a été menée chez 33 enfants allergiques à l'arachide. Ils ont subi une phase d'induction à l'hôpital, pendant 7 jours au maximum, avec augmentation des doses deux à quatre fois par jour, avec de l'arachide grillée. Une phase de consolidation durant en moyenne 7 mois a été nécessaire à 24 d'entre eux : il s'agissait d'une réhospitalisation toutes les 2 à 4 semaines pour augmenter les paliers jusqu'à atteindre la dose de 500mg d'arachide. Après une phase de maintenance de 2 mois et 15 jours d'interruption, une rupture de tolérance semble survenir chez 43 % des patients.
À l’inverse, l'étude du Pr Denise-Anne Moneret-Vautrin (allergologue, université de Nancy 1) a utilisé une phase d'induction plus longue et progressive. 51 patients ont subi une augmentation des doses de poudre de cacahuète grillée pendant 17 ou 34 semaines, jusqu'à atteindre la dose finale de 12 grammes par semaine en prises quotidiennes. Les patients ne sont pas hospitalisés pendant les paliers. Après 6 mois de phase de maintenance, l'efficacité est de 92 % (mais sur seulement 18 patients ayant été revus au bout de ces 6 mois). La question de la durée de la phase de maintenance reste posée. Que se passe-t-il si elle est stoppée? Les patients devront-ils ingérer cacahuète, œuf ou lait chaque jour jusqu'à la fin de leur vie? D'autes études doivent se pencher sur le sujet afin de préciser ces paramètres.
Des essais épicutanés
L'immunothérapie épicutanée est une autre voie de recherche, et s'intéresse aussi aux allergies alimentaires. Le Pr Christophe Dupont, pédiatre allergologue à l'hôpital Necker de Paris, a ainsi présenté cette méthode. Elle suit le même principe que l'immunothérapie orale : administration de doses d'escalade suivie d'une phase de maintenance. Deux types de protocoles ont été testés. Dans un cas, la barrière cutanée est altérée par stripping : il s'agit de coller et décoller un sparadrap sur une zone de la peau avant d'y appliquer l'allergène. Dans un second type de protocole, la peau est simplement hydratée avant application de l'allergène. « L'efficacité a été démontrée sur modèle animal expérimental murin », indique le Pr Dupont. Chez des souris sensibilisées à l'arachide, le traitement épicutané a en effet permis de prévenir la survenue des lésions digestives liées à l’administration orale exclusive d’arachide. Le Pr Dupont est actuellement l'investigateur d'une étude en phase IIb avec l'arachide, sur une cinquantaine de patients.
Les objectifs des études portant sur ces nouvelles formes d'immunothérapie? Mieux connaître leurs mécanismes, comprendre les réponses variables selon les individus et les allergènes, et déterminer la durée de la phase de maintien, forcément contraignante à long terme.