20 à 30 % des Français souffrent d’allergie et ce chiffre pourrait atteindre 50 % d’ici à 2050. Dans ce contexte, les diagnostics d’allergie se multiplient, y compris en pédiatrie, mais pas toujours à bon escient comme l’ont souligné plusieurs spécialistes lors des 16es Rencontres de Pédiatrie Pratique.
En pédiatrie comme chez l’adulte, l’allergie alimentaire a souvent bon dos. « Aux USA, 25 % de la population pense souffrir d’une allergie alimentaire, alors qu’en réalité sa prévalence n’est que de 2 à 3 % maximum chez l’adulte et de 5 à 6 % chez l’enfant » a rapporté le Dr Etienne Bidat (Service de pédiatrie, hôpital Ambroise-Paré -AP–HP, Paris-) lors d’une session dédiée aux diagnostics excessifs d’allergie. Et de mettre en garde contre certains tableaux cliniques volontiers trompeurs en nutrition comme le syndrome des flushes gustatifs auriculo-temporal (ou syndrome de Lucy Frey) ou les intoxications à l’histamine.
Caractérisé par la survenue de flush concomitante à l’ingestion d’aliment, le syndrome de Lucy Frey débute le plus souvent vers les 3-6 mois de l’enfant et peut se manifester jusqu’à l’âge de 1-2 ans, voire 2-5 ans. Il est lié à régénération aberrante de fibres du nerf auriculo-temporal lésées (on retrouve souvent une naissance par forceps, des antécédents traumatiques ou infectieux) avec formation préférentielle de fibres sympathiques, d’où une stimulation des glandes sudoripares et des vaisseaux sous-cutanés à la suite d’ingestion d’aliments ou de boissons. À première vue, ce syndrome peut mimer une allergie alimentaire mais c’est « le caractère unilatéral du flush, survenant rapidement dans le territoire du nerf facial au moment du repas ou immédiatement après et qui régresse rapidement sans autres symptômes associés en dehors d’une chaleur locale qui doivent interpeller, explique le Dr Bidat. Une réaction allergique alimentaire qui débuterait dès les premières bouchées serait souvent plus sévère. Les parents doivent être pleinement rassurés, car ce syndrome ne requiert aucun bilan allergologique, pas plus qu’un traitement »
Une fausse allergie alimentaire pour quatre vraies
Autres pièges courants : les fausses allergies alimentaires ou intoxications histaminiques dans lesquelles un excès d’apport en aliments riches en histamine (tomates, thon, fromages fermentés…), histaminolibérateurs (fraises, chocolat…) ou riches en tyramine (chocolat, gibier, gruyère…) favorise la dégranulation des mastocytes suivie d’une libération de médiateurs dont l’histamine est le chef de file. « Les intolérances à l’histamine traduisent une prédisposition individuelle et entrent dans le cadre des maladies dites "fausses allergies alimentaires" car elles miment cliniquement l’allergie alimentaire sans mettre en jeu de mécanismes immunologiques de type IgE dépendant » , explique le Dr Bidat. Elles sont plus fréquentes chez le jeune enfant du fait d’un système enzymatique intestinal peu fonctionnel pour métaboliser l’histamine. Les principaux symptômes sont liés à l’effet vasodilatateur de l’histamine et sont toujours moins sévères que dans une allergie alimentaire. Les symptômes cutanés sont les plus spécifiques de l’intoxication histaminique (eczéma, urticaire, angio-œdème, rougeur facio-cervicale, bouffées de chaleur, sensation de brûlure dans la gorge, goût de poivre dans la bouche, démangeaisons, picotements de la peau). Ils sont généralement suivis de troubles de type céphalées, palpitations cardiaques, étourdissements. Des symptômes secondaires, de nature gastro-intestinale, peuvent apparaître tels des nausées, maux d’estomac, vomissements ou diarrhées. Le diagnostic étiologique n’est pas toujours facile à poser. Car si un excès de fraise ou de mousse au chocolat est aisé à repérer, découvrir une fausse allergie alimentaire est plus insidieux lorsqu’une série d’aliments riches en histamine, histaminolibérateurs ou riche en tyramine sont associés au sein d’un même repas. « C’est pourquoi, préconise le Dr Bidat, devant une urticaire chronique chez l’enfant, l’une des démarches diagnostique consiste en une enquête diététique sur sept jours par une diététicienne, afin de repérer un régime alimentaire trop riche en histamine ». Le rapport serait d’une fausse allergie alimentaire pour quatre vraies.
APLV ou intolérance au lactose ?
« Les faux diagnostics d’allergie se rencontrent aussi volontiers en gastro-entérologie » indique le Dr Delphine de Boissieu (Hôpital Saint Vincent de Paul, Paris). Avec notamment beaucoup de diagnostics excessifs d’allergie aux protéines de lait de vache (APLV). « Les symptômes digestifs d’APLV non IgE-médiée sont non spécifiques et tous les symptômes gastroentérologiques peuvent être retrouvés » indique le Dr de Boissieu.
Un RGO peut ainsi être pris à tort pour une APLV. Cependant « parce qu’un RGO peut être aussi la manifestation réelle de l’allergie aux protéines du lait de vache, devant un RGO qui résiste à un traitement bien conduit il est légitime d’y penser ». L’association diarrhée chronique et douleur abdominale peut aussi être trompeuse et faire accuser à tort le lait voir le blé. « Derrière une diarrhée chronique chez un grand enfant, on a en fait très souvent une constipation, souligne le Dr De Boissieu. C’est la fausse diarrhée de constipation et les Patch et Prick tests sont alors négatifs ».
La confusion est aussi fréquente entre APLV et intolérance au lactose. « Bien des enfants sont soumis à un régime sans PLV mais souvent la question est de distinguer une réelle allergie au lait (mécanisme immunologique sur les protéines du lait de vache) d’une intolérance au lactose (absence ou insuffisance de lactase), souligne Delphine de Boissieu. Or les régimes alimentaires qui en découlent sont totalement différents ». Outre l’exclusion-réintroduction, le diagnostic de certitude de l’intolérance au lactose reste le test respiratoire au lactose-H2. Les symptômes sont uniquement digestifs : selles molles, douleurs abdominales, ballonnements voire constipations très sévères ou vomissements.
Les pièges de l’asthme sévère
Certains symptômes respiratoires peuvent aussi être mis à tort sur le dos d’une allergie. « De nombreux asthmes du petit enfant sont dépourvus de toute composante allergique et sont transitoires » rappelle le Dr Etienne Bidat. Surtout certains tableaux d’asthme peuvent en fait dissimuler une autre pathologie. Par exemple, « un asthme sévère peut cacher une dyskinésie épisodique laryngée, illustre le Dr Bertrand Delaisi (Centre de Pneumologie de l'Enfant, Boulogne Billancourt). Ces spasmes des cordes vocales à l’inspiration avec silence auscultatoire, surviennent assez régulièrement à l’effort –mais aussi au repos- et sont souvent confondus avec un asthme induit par l’exercice ». Le diagnostic se fait par élimination de l’asthme (bronchodilatateurs peu efficaces, description par le patient que l’air ne rentre ni ne sort, test à la métacholine qui ne retrouve éventuellement pas d’hyperréactivité bronchique etc.). Les médicaments s’avèrent inutiles, au contraire d’exercices de relaxation. Un asthme sévère peut aussi masquer une tumeur pseudo-inflammatoire endotrachéale ou « occulter un syndrome d’hyperventilation (SHV), un diagnostic très fréquent dans nos consultations avec son cortège de manifestations respiratoires non organiques ». Evalué à 10 % de prévalence en population générale, le SHV « se repère à une respiration plutôt thoracique, une hyperventilation, une hypocapnie, une alcalose ventilatoire, une vasoconstriction et parfois des spasmes laryngés ». Ces symptômes varient avec une toux nerveuse, des signes non respiratoires, parfois des allergies alimentaires associées, des malaises, une dysphagie. Finalement, « l’asthme sévère à l’âge scolaire reste rare (environ 5 % dans la littérature) et est contrôlé sous traitement bien conduit. Dans le cas contraire, en cas d’atypies cliniques ou de diagnostic d’allergie peu étayé, il ne faut pas hésiter à recourir à une expertise spécialisée. Pour redresser ces diagnostics, il faut être factuel : au lieu de « crise d’asthme » dans le carnet de santé il faut préciser les signes descriptifs et objectifs (sibilances perçues ou non …) et surtout utiliser un oxymètre car la saturation ne trompe personne. Des toux incoercibles sont qualifiées souvent à tort de crises d’asthme alors même que la saturation est strictement normale ».
La toux chronique est d’ailleurs un autre cas de figure donnant lieu à de nombreux diagnostics excessifs d’allergie. « Le réflexe est de vouloir faire rentrer à tout prix cette toux chronique dans des cases, à savoir le reflux gastro-œsophagien, l’allergie, l’asthme. Or la majorité des toux chroniques que nous voyons en pédiatrie sont soit des toux adaptées, après une agression virale, soit des toux non spécifiques ».