« Je suis un workoholic. » Il peut paraître paradoxal de voir un futur psychiatre se dépeindre, avec le plus grand des sourires, comme souffrant d’addiction. C’est pourtant ce que fait Thomas Cantaloup, actuellement docteur junior en psychiatrie au CHU de Lille. Force est de constater que ce jeune homme de 26 ans s’épanouit tellement dans son travail qu’il semble en avoir plusieurs : quand il n’est pas en stage à l’hôpital, il travaille sur PsychoPharma.fr, l’outil d’aide à la prescription de psychotropes qu’il a lancé avec l’association P-Science en septembre dernier, ou encore sur Mentall.co, la plateforme de téléconsultation qu’il vient de dévoiler... et ce ne sont que deux des multiples projets qui occupent ses journées (et une bonne partie de ses nuits).
Rien ne prédestinait pourtant cet enfant de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, à une carrière médicale. « En terminale, on m’a dit "tu es en S, soit du fais médecine, soit tu fais une école d’ingénieur" », se souvient-il. Ce sera donc médecine, à Paris 13. Une fois embarqué dans l’aventure médicale, le Séquano-Dionysien n’avait pas d’idée préconçue sur le cap qu’il lui fallait prendre. « J’ai découvert les spécialités au fil des stages pendant mon externat, raconte-t-il. Je savais à peine ce qu’était un psychiatre, et quand je suis arrivé en stage de psychiatrie à Saint-Denis, je me suis dit "Waou, voilà une spé’ humaine, où on prend le temps de discuter, où règne l’esprit d’équipe"… » Son destin était scellé.
Et qu’on ne parle pas à cet indécrottable optimiste des clichés qui collent à la peau de la psychiatrie comme le sparadrap du capitaine Haddock. Les difficultés d’exercice, le manque de moyens ? « Elles existent, je ne vais pas le nier, mais elles sont avant tout le reflet de la crise de l’hôpital », répond-il. Le manque d’attractivité de la spécialité ? « Je ne m’inquiète pas pour l’avenir, je trouve juste dommage que la psychiatrie ne soit pas davantage médiatisée pendant l’externat, et qu’il soit difficile de trouver un stage ». Les querelles de chapelle entre neurosciences et psychanalyse ? « À Lille, on ne les ressent pas du tout. »
Comme dans Mario
Reste que rapidement, le Francilien débarqué dans le Nord « pour suivre un ami » se rend compte que son internat ne suffira pas à combler son appétit de travail. « La formation en stage est un socle, une base, mais c’est un peu comme dans Mario, on peut se contenter de finir le niveau, ou profiter de toute la richesse qu’il y a à côté », souligne-t-il. Et de la richesse, il y en a. C’est ainsi que lors de sa première garde aux urgences, il se rend compte qu’il n’existe pas d’outil d’aide à la prescription de type Antibioclic ou Ophtalmoclic. Qu’à cela ne tienne ! Il le créera, en fédérant une petite équipe d’une dizaine de personnes autour de ce qui allait devenir l’association P-Science. Quelques mois plus tard naissait PsychoPharma.fr, qui « en trois clics permet d’éviter de se trouver en difficulté », avance Thomas, qui ajoute que l’outil peut être utilisé par les internes en psychiatrie, mais aussi par les généralistes.
Il ne faudrait cependant pas croire que PsychoPharma.fr suffit à rassasier l’appétit du Lillois. Il s’investit aussi dans un think-tank sur le système de santé (les Ateliers Mercure), dans une association de promotion de la santé (Imhotep Santé)… Son dernier projet en date ? La plateforme Mentall.co, startup qui s’adresse à « des patients qui arrivent avec leur souffrance, qui la décrivent via un QCM, et auxquels on propose un choix de trois thérapeutes sélectionnés par un comité scientifique de psychiatres », résume Thomas. Les consultations peuvent se faire en ligne, et l’outil, sur le point d’être lancé, est financé via une commission payée par les thérapeutes.
Reste à savoir comment ce touche-à-tout, qui terminera son internat à l’automne, envisage son futur. « J’aimerais aller voir ce qui se fait ailleurs, probablement dans un pays anglo-saxon, quitte à revenir ensuite en France avec ce bagage-là », explique-t-il. Une chose est sûre : sa carrière « ne sera pas une carrière hospitalière classique ». Et s’il compte « garder un pied dans la clinique » il sait déjà qu’il ne passera pas sa vie « au lit du patient ». Un avenir à l’image de son internat, donc : rempli de psychiatrie, mais aussi de bien d’autres choses.
Exergue-citation : Quand je suis arrivé en stage de psychiatrie à Saint-Denis, je me suis dit "Waou, voilà une spé’ humaine, où on prend le temps de discuter, où règne l’esprit d’équipe"