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Dossier

Congrès de la Société française de rhumatologie

Les nouveaux défis de la rhumatologie

Par Hélène Joubert - Publié le 22/01/2021
Les nouveaux défis de la rhumatologie

Aucune donnée solide ne soutient la pratique du régime sans gluten, du jeûne, du végétalisme ou encore l’éviction des produits laitiers pour diminuer l’activité des rhumatismes inflammatoires.
GARO/PHANIE

Bénéfices réels ou supposés de certains régimes en vogue dans les rhumatismes inflammatoires, toxicité rhumatologique des immunothérapies anticancéreuses ou encore relations entre Covid et maladies articulaires… Le récent congrès de la Société française de rhumatologie (SFR) (13-16 décembre) a permis de faire le point sur différents sujets d’actualité et les nouveaux questionnements qu’ils suscitent.

Rhumatismes inflammatoires et alimentation, la SFR fait le tri entre science et croyances

Les régimes et les modifications alimentaires chez les personnes souffrant de rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC) sont de pratique courante. Par exemple, un quart des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) déclare qu’au moins un aliment influe sur les symptômes et un quart développe des stratégies d’éviction alimentaire, espérant ainsi infléchir le cours de leur maladie. Alors que certains aliments sont perçus comme aggravant les symptômes de PR (viande rouge, sodas sucrés…), d’autres sont considérés comme bénéfiques (poissons, fruits rouges…).

La Société française de rhumatologie (SFR), en partenariat avec des sociétés savantes de nutrition (Société française de nutrition, AFERO, AFDN) et des associations de patients souffrant de rhumatismes inflammatoires chroniques (ANDAR, AFLAR, AFS), a jugé nécessaire de faire le tri entre ce qui relève de la science et ce qui tient de la croyance. D’où de premières recommandations françaises, établies par un groupe de travail pluridisciplinaire, qui ont été dévoilées à l’occasion du congrès de la SFR 2020.
Tout d’abord, « le régime sans gluten, souvent suivi par les patients souffrant de RIC et conseillé par certains médecins, ne devrait pas être proposé pour contrôler l’activité inflammatoire du RIC (en l’absence de maladie cœliaque), indique le Pr Claire Daien (CHU de Montpellier), coordonnatrice des recommandations avec le Pr Jérémie Sellam (hôpital Saint-Antoine, Paris). Aucune donnée solide ne supporte non plus la pratique du jeûne, du régime végétalien ou l’éviction des produits laitiers pour diminuer l’activité des rhumatismes inflammatoires ». Pour ce même objectif, rien ne justifie non plus la prescription de vitamines B9, D, E, K ou d’oligoéléments (sélénium, zinc). Les données concernant les probiotiques sont insuffisantes et trop hétérogènes pour les recommander dans le cadre des RIC.

La perte de poids, les oméga-3 et le régime méditerranéen, plutôt bénéfiques

À l’inverse, en cas de surpoids ou d’obésité, une perte de poids semble apporter un effet bénéfique sur l’activité rhumatismale. La supplémentation en acides gras essentiels polyinsaturés – principalement les acides gras oméga-3 – supérieure à 2 g/jour peut être proposée à visée symptomatique à des patients atteints de PR et probablement à d’autres RIC. Les études sur ce point dans la PR sont nombreuses avec un effet sur les symptômes (nombre d’articulations douloureuses gonflées, consommation d’AINS, déverrouillage matinal). Le régime méditerranéen pourrait également être conseillé en cas de PR et de RIC de manière générale, en raison de ses effets articulaires ainsi que cardiométaboliques. Quant à certaines supplémentations (cannelle, safran, ail, gingembre, sésamine, concentré de grenade), les experts sont moins tranchés : elles pourraient avoir un intérêt vis-à-vis de l’activité de la PR mais les quelques études, de bonne qualité mais non répliquées et portant sur de faibles effectifs, ne permettent pas de les conseiller en pratique courante.
« Ces recommandations sont les premières d’envergure nationale et même internationale en la matière, précise Jérémie Sellam. Elles répondent à une demande des patients. Si leur force est globalement faible, du fait de l’absence de données scientifiques solides, liée notamment aux difficultés propres à l’épidémiologie nutritionnelle, elles pourront servir de guide aux patients et aux professionnels de santé. »

Immunothérapies anticancéreuses : des effets secondaires rhumatologiques atypiques

L’arrivée, ces cinq dernières années, des immunothérapies anticancéreuses et notamment des inhibiteurs de checkpoint, les anti-PD-1 et anti-PDL-1, indiqués dans une grande variété de types de cancer, a son revers de la médaille : l’apparition d’effets secondaires atypiques, car immuno-médiés via l’activation des lymphocytes T. Cette toxicité peut concerner jusqu’à 70 % des patients, et quasiment 90 % en cas de combinaison d’immunothérapies.

« Entre 5 et 10 % des patients traités par immunothérapie souffrent d’une toxicité spécifiquement rhumatologique, explique le Dr Marie Kostine, rhumatologue au CHU de Bordeaux, co-auteure des recommandations Eular sur le diagnostic et le management de la toxicité de l’immunothérapie (2020). La description complète des effets secondaires des inhibiteurs de checkpoint est récente, avec, sur le plan rhumatologique, des arthrites inflammatoires, des pseudo-polyarthrites rhizoméliques, des syndromes secs (xérostomies), des vascularites, des myosites, des fasciites, des sclérodermies et des lupus plutôt cutanés, qui miment les pathologies rhumatologiques inflammatoires classiques. » La moitié des patients souffrant d’une toxicité rhumatologique cumulent au moins une toxicité d’une autre nature.

Lorsque la toxicité rhumatologique survient sous une double immunothérapie, sa durée semble augmentée. « Néanmoins, rassure le Dr Kostine, il est très rare de devoir stopper une immunothérapie sur des tableaux articulaires, à l’exception des myosites où la toxicité peut engager le pronostic vital, notamment lorsqu’elle est associée à une atteinte cardiaque. » 

À noter, bien que les patients avec une pathologie rhumatologique pré-existante aient été exclus des essais cliniques, les données de vraie vie suggèrent qu’il n’y a pas de contre-indication à l’immunothérapie, avec cependant un risque de poussée de la maladie pré-existante mais qui sera facilement gérée.

Pas de corticothérapie systématique

Face à une suspicion d’effets secondaires d’ordre rhumatologique, « nous avons proposé dans les recommandations de référer précocement le patient au rhumatologue, idéalement avant la mise en route de la corticothérapie, ce qui permet au praticien d’avoir une cartographie de la présentation clinique initiale et d’objectiver l’inflammation », indique le Dr Kostine. La corticothérapie par voie générale est le traitement de première ligne. « Elle ne doit pas être systématique, poursuit-elle, mais uniquement en cas de signes inflammatoires objectifs, avec une posologie et une voie d’administration fonction de l’entité clinique et de sa sévérité : souvent, moins de 20 mg/jour (d’équivalent cortisone) suffisent dans les tableaux de polyarthrite ou de pseudo-polyarthrite ; les myosites requièrent un éventuel bolus puis 1-2 mg/kg/jour et plutôt 0,5-1 mg/kg/j dans les vascularites. Sans signe objectif d’inflammation (arthralgies), on peut tenter de temporiser au moyen des anti-inflammatoires ou des antalgiques. En cas d’arthrite, les gestes locaux (infiltrations) peuvent être d’intérêt. »

Par ailleurs, le timing de la corticothérapie compte. Initier une corticothérapie sous immunothérapie peut réduire l’efficacité de cette dernière, notamment au démarrage de l’immunothérapie si l’on dépasse 10 mg d’équivalent prednisone par jour. L’impact semble moindre lorsque la corticothérapie est prise à distance pour la gestion d’une toxicité. De plus, « la toxicité s’associe à une meilleure réponse antitumorale, mais on ne sait pas encore si l’on gomme ce bénéfice en termes de survie du fait de l’ajout de la corticothérapie ou d’autres traitements immunosuppresseurs/immunomodulateurs comme le méthotrexate, les anti-TNF, les anti-IL-6, etc., souligne la spécialiste. D’où la précaution de n’employer que la dose de cortisone la plus faible possible (sauf dans les cas de myosite) et de passer au plus vite sous la barre des 10 mg/j. »

Covid-19, maladies rhumatologiques et corticoïdes : un trio à risque

Plusieurs présentations du congrès de la SFR 2020 ont étudié l’impact du SARS-CoV-2 dans les maladies inflammatoires rhumatologiques (rhumatismes inflammatoires chroniques, vascularites, maladies auto-inflammatoires ou auto-immunes systémiques). Selon l’analyse comparée des données issues des cohortes françaises, constituées de patients rhumatologiques ou non (cohortes French RMD Covid-19 et Licorne), les patients atteints de maladies inflammatoires rhumatologiques traités par corticoïdes ont un risque accru de développer une infection grave par le SARS-CoV-2. En revanche, ceux sous méthotrexate, anti-TNF ou anti-IL-6 (et sous AINS) ne présentent pas ce surrisque. L’éventuel surrisque de formes sévères sous rituximab requiert des analyses complémentaires et la prudence est de mise, sauf en cas de pathologies sévères où il n’existe pas d’alternatives sûres (sclérodermie avec atteinte pulmonaire, etc.). En outre, à comorbidités comparables, le risque de décès n’est pas plus élevé chez les patients atteints de maladies inflammatoires rhumatismales par rapport à ceux qui en sont indemnes.

Le télétravail aggrave la lombalgie chronique

Pour sa part, l’étude Confi-Lomb (mai-juin 2020) a mis en évidence l’impact délétère du confinement ainsi que du télétravail sur la lombalgie chronique. Dans cette étude, l’EVA moyenne de la lombalgie a significativement augmenté avec un ressenti d’aggravation des douleurs chez 41,1 % des personnes atteintes. Près de 30 % des patients ont augmenté leur traitement ou consulté et 15,1 % ont augmenté leur consommation d’anxiolytiques pour aggravation de la lombalgie. Pour 65,2 % des personnes passées en télétravail, celui-ci a aggravé la lombalgie. 

En bref...

Les bisphosphonates, bénéfiques dans le cancer du sein Après le traitement d’un cancer du sein non métastatique exprimant le récepteur aux œstrogènes (RE+), le risque de métastase et de décès par cancer concerne 12 à 25 % des patientes. Selon une analyse sur 1 057 patientes avec un recul de 10 ans, le pronostic du cancer dépend de la taille tumorale, de l’envahissement ganglionnaire, du grade histologique mais aussi de la prescription de bisphosphonates (BP), associée à une réduction franche du risque de rechute métastatique osseuse et de décès par cancer. Selon les auteurs, à l’instar des fortes doses qui avaient déjà démontré leur efficacité, « de faibles doses de BP sont également efficaces et notre étude suggère que toutes les femmes ménopausées avec un cancer du sein RE+ devraient se voir proposer un traitement par BP, même en l’absence d’ostéoporose. »

PR : le risque des glucocorticoïdes à long terme se confirme Dans la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde, toutes les recommandations proposent des cures de moins de six mois de glucocorticoïdes (GC) à faible dose. La controverse sur la toxicité persistait pour des durées de prescription plus longues. La cohorte prospective Espoir confirme qu’il existe bien un risque élevé, dose et temps-dépendant, de complications sévères (décès, évènements cardiovasculaires, infections sévères et fractures) à dix ans lié à l’utilisation de faibles doses de GC.

Rhumatisme psoriasique : premières estimations de la prévalence en France Quelle est la prévalence du rhumatisme psoriasique (RhPso) en France ? Une étude de cohorte nationale apporte de premiers éléments de réponse. Dans ce travail basé sur le système national des données de santé (SNDS), 63 598 patients porteurs d’un RhPso ont été identifiés (45,6 % d’hommes, âge moyen 55,9±14,4 ans).

Soit une prévalence du RhPso estimée à 0,1 % et une incidence de 8,4 pour 100 000 personnes-années. Un psoriasis cutané actif était retrouvé chez 41,8 % des patients. Les comorbidités les plus fréquemment observées étaient l’hypertension artérielle, le diabète, la BPCO et la dyslipidémie.

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