Le 16 décembre 2025, sera discutée en séance publique une proposition de loi portée par des sénateurs républicains au premier rang desquels le médecin Alain Milon, visant à intégrer les centres experts de la Fondation FondaMental dans le Code de la santé publique.
Depuis fin février, date de son dépôt, le texte suscite les foudres d’une partie de la profession, qui s’intensifient à l’approche de la discussion. En trois articles, il prévoit d'intégrer le modèle expérimental que sont les centres experts comme offre de soins à part entière dans le code de la santé publique, en complément de l'offre du secteur, de façon durable et connectée avec le système de soins.
Déployés depuis 2010, ces centres, coordonnés par la fondation de droit privé FondaMental (créée en 2007 par des institutions publiques telles que le CEA, l’AP-HP, l’Inserm, etc., financée par l’État et des acteurs privés*) et hébergés au sein de services hospitaliers, sont aujourd’hui au nombre de 54. Ils sont spécialisés par pathologie (troubles bipolaires, schizophrénie, troubles du spectre autistique sans retard intellectuel et dépressions résistantes), avec pour objectif d’améliorer le diagnostic en fournissant un avis expert et des conseils de prise en charge. Le budget nécessaire au fonctionnement d'un centre expert est estimé à 320 000 euros.
La PPL prévoit de financer la manœuvre par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs. Toutefois, le financement pourrait être assuré par les vertus du dispositif car les économies réalisées pourraient s'élever jusqu'à 18 milliards d'euros, avance l’exposé des motifs. « En diminuant de 50 % les réhospitalisations douze mois après un bilan, les centres experts diminuent considérablement le coût des hospitalisations », est-il expliqué.
« Psychiatrie à deux vitesses »
« Nous, professionnels et usagers de la psychiatrie et de la santé mentale, dénonçons avec force cette proposition de loi 385 », ont réagi par communiqué commun le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) et une quinzaine d’organisations représentatives de la psychiatrie publique**. En parallèle, une pétition lancée par le psychiatre Clément Fromentin a recueilli plus de 15 600 signatures (au 5 décembre).
Les opposants au texte craignent un détournement des moyens du service public, vers un « système privé élitiste, centralisé, sélectif, orienté par pathologie, selon les mots du SPH. C’est une psychiatrie à deux vitesses et inefficace qui est en train d’être organisée. Cette proposition prévoit de financer des structures privées ultraspécialisées, inaccessibles à la majorité de la population et qui ne dispensent pas de soins ».
Les centres experts se concentrent en effet essentiellement sur le diagnostic et la recherche. Adressés par les psychiatres libéraux (25 %), hospitaliers (25 %) et les médecins généralistes (25 %), les patients bénéficient d’un bilan médical complet, d’un dépistage des comorbidités et de recommandations thérapeutiques personnalisées. Mais pas de suivi. Une « promesse illusoire » de rétablissement pour les patients, dénoncent les représentants de la psychiatrie publique. « Le soin ne se résume pas au diagnostic et le diagnostic n’est pas le domaine réservé des centres experts. Alors que les services de soins sont débordés et ne parviennent pas à répondre à la demande, consacrer des ressources financières supplémentaires à de nouveaux centres experts ne diminuera en rien les longs délais d’attente pour l’accès aux soins », écrivent-ils.
Au passage, ils relaient des critiques à l’encontre de la communication de la Fondation, et notamment concernant l’argument d’une réduction des coûts grâce à la diminution de moitié des réhospitalisations. Ce chiffre « provient d'une seule étude menée auprès de patients atteints de troubles bipolaires [relayée par le Quotidien, NDLR], étude qui ne comportait pas de groupe témoin et présentait d'autres faiblesses méthodologiques. Aucune publication scientifique n'a confirmé des résultats similaires pour les trois autres troubles », lit-on dans une analyse française publiée en juin dans SSM - Mental Health (SSM-MH).
Enfin, les représentants de la psychiatrie publique dénoncent la proximité entre la Fondation et les pouvoirs publics, en prenant à partie – sans le nommer – le Pr Frank Bellivier, chef du service de psychiatrie des hôpitaux universitaires Saint-Louis, Lariboisière, Fernand Widal, qui héberge deux centres labellisés par la Fondation FondaMental et délégué ministériel à la Santé mentale et à la psychiatrie depuis 2019. « La PPL entérine un choix politique clair et soutenu de longue date par la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie : remplacer un service public déjà affaibli par un système privé (…) qui ne saura en aucun cas répondre aux défis que nous devons relever », s’insurge le SPH.
L’inscription dans la loi pas souhaitable, selon le Pr Bellivier
« Des critiques mensongères voire diffamatoires », réagit le Pr Bellivier auprès du Quotidien. « La délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie ne formule aucune opposition à l’encontre du secteur. Au contraire, nous défendons cette organisation sur le principe de la responsabilité géopopulationnelle qui nous est enviée par de nombreux pays », poursuit-il.
Le délégué ministériel promeut en particulier la gradation des soins en psychiatrie (à l’instar des autres disciplines), avec une première ligne qui repose sur la médecine générale et d’autres acteurs compétents pour le repérage précoce (Mon soutien psy, les maisons des adolescents, etc.), puis des soins conventionnels psychiatriques spécialisés, et ensuite, un troisième niveau dédié au recours, pour dispenser des soins selon des thématiques ou traiter des cas complexes (comorbidités, résistances au traitement, etc.) « Le secteur de psychiatrie, qu’il faudrait faire évoluer pour mieux le piloter, n’est pas du tout incompatible avec cette organisation de la gradation des soins que nous appelons de nos vœux, considère-t-il. Il faut organiser une diversité de réponses pour répondre à une diversité de besoins. »
Pour autant, le Pr Bellivier ne défend pas la proposition de loi du sénateur Alain Milon. « La loi n’est pas là pour encadrer le fonctionnement de dispositifs dont les modalités d’exercice doivent être définies par le ministère de la Santé », via des décrets et instructions, notamment. « Inscrire le réseau des centres FondaMental dans la loi risquerait de passer sous silence les autres dispositifs de recours existants, » ajoute-t-il, soulignant la multiplicité des acteurs, à commencer par les CHU mais aussi certains secteurs ou structures privées, et des thématiques (troubles du comportement alimentaire, psychotrauma, psychopharmacologie, addictions, etc.). « L’organisation proposée par la fondation FondaMental ainsi que l’expérience acquise pourront inspirer la mise au point du modèle général du recours dont devra se doter le ministère. Cependant, les réseaux des centres experts n’ont pas le monopole du recours et le modèle général devra mobiliser l’ensemble des acteurs au sein d’une offre graduée », résume-t-il.
*Compagnies pharmaceutiques (Janssen, Lilly, Otsuka, Lundbeck, Sanofi), de grandes entreprises (Axa, Dassault, LVMH, BNP Paribas) et des cliniques comme Clariane
**Syndicat des psychiatres d’exercice public (Spep), syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées (Sfpeada), Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy), Association des enseignants-chercheurs en psychologie des universités (AEPU), Fédération française de psychiatrie (FFP), Association pour le développement de la recherche en soins en psychiatrie, Le printemps de la psychiatrie, Association des psychiatres infanto-juvéniles de secteur sanitaire et médico-social (API), Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP), Comité d’études des formations infirmières et des pratiques en psychiatrie (Cefi-Psy), Association nationale des psychiatres présidents et vice-présidents de commissions médicales et d’établissements des centres hospitaliers (ANPCME), Union syndicale de la psychiatrie (USP), Conférence nationale des présidents de commissions médicales d’établissement de centres hospitaliers spécialisés, Collectif des psychologues UFMICT-CGT, Intersyndicale de la défense de la psychiatrie publique (Idepp)
Dr Vincent Pradeau (Avenir Spé) : « Les spécialistes libéraux sont mobilisés et remontés comme jamais ! »
Sarcoïdose : souvent thoracique, mais pas que
Savoir évoquer une dermatose neutrophilique
Un Pots encore mal connu