Le congrès du Collège américain de cardiologie (ACC, Washington, 2 au 4 avril) était particulièrement riche cette année et a mis en lumière les progrès réalisés dans différents domaines. On ne pourra que faire cocorico devant le prix décerné au Pr Alain Cribier pour la révolution qu’a introduit le TAVI il y a tout juste vingt ans. L’insuffisance cardiaque avait aussi une place de choix, que ce soit au travers des études ou des guidelines américaines qui confortent la place du sacubitril/valsartan et des iSGLT2. Enfin, comme pratiquement toutes les spécialités, la cardiologie s’interroge sur les éventuelles séquelles du Covid-19.
Le TAVI toujours plus loin
À tout seigneur tout honneur : le congrès de l’ACC s’est ouvert en décernant le Presidential Citation Award au français Alain Cribier, qui réalisait en avril 2002 à Rouen la première implantation valvulaire par voie percutanée ou TAVI (Transcatheter Aortic Valve Implantation). Une procédure innovante qui a bouleversé – et continue de transformer – le pronostic des patients atteints de rétrécissement aortique (RA), vingt ans après.
Comme cela a été rappelé pendant le congrès, les premières interventions étaient réalisées chez des patients atteints de RA sévère mais récusés pour la chirurgie en raison d’un risque opératoire élevé du fait de l’âge et/ou des comorbidités. Ce qui était le cas de pratiquement un tiers des sténoses aortiques symptomatiques, avec une mortalité à 2 ans de 80 % chez les patients non opérés. Deux grands programmes d’essais étaient lancés en 2007, Partner avec la valve Sapien et CoreValve/Evolut avec la CoreValve. La très nette supériorité du TAVI par rapport à un traitement médical optimal (baisse de la mortalité de 20 % dans Partner) chez près de 10 000 patients inopérables a amené à son approbation en cas de RA sévère symptomatique chez des patients inopérables.
D’autres essais cliniques ont ensuite validé le recours au TAVI versus chirurgie dans une plus large population de patients, d’abord chez les patients à risque chirurgical intermédiaire quelques années plus tard, jusqu’à la publication en 2019 des études Partner 3 et Evolut concluant que le TAVI était supérieur ou non inférieur à la chirurgie chez les patients à faible risque opératoire.
Les recommandations américaines de 2020 ont entériné la procédure TAVI, quel que soit le niveau de risque chirurgical au-delà de 65 ans. Les recommandations européennes parlent d’un seuil de 75 ans mais laissent toutefois l’indication ouverte à la discussion dès 65 ans.
« L’histoire du TAVI ne va pas s’arrêter là puisque l’étude en cours Early TAVR va évaluer le TAVI versus la surveillance dans le RA asymptomatique », s’enthousiasme Dipti Itchhaporia, présidente de l’ACC (Californie).
L’implantation de valves par TAVI chez des patients de plus en plus jeunes a amené à concentrer les études sur ses résultats à long terme et en particulier sur la durabilité de ces valves et le risque de dégénérescence valvulaire, la détérioration valvulaire étant associée à un risque de décès et d’hospitalisation augmenté de 50 %. Le taux de dégénérescence valvulaire était plus élevé après implantation par TAVI que par chirurgie pour les valves de premières générations. Après que les valves Sapien de 3e génération aient montré dans Partner 2 que leur dysfonctionnement n’était pas plus élevé à 5 ans qu’après chirurgie, les essais CoreValve US Pivotal et Surtavi présentés à l’ACC cette année confirment que la dégénérescence valvulaire est moins fréquente à 5 ans après TAVI qu’après chirurgie. « Avec 2,3 % du groupe TAVI et 4,4 % après chirurgie, le pourcentage de dégénérescence valvulaire est significativement inférieur (p = 0,009), se félicite Michael Reardon (Texas). Les patients de ces deux essais continueront à être suivis pendant 10 ans pour vérifier la durée de ces valves à encore plus long terme. »
L’insuffisance cardiaque en vedette
Encore une grande année pour l’insuffisance cardiaque (IC), avec la publication des guidelines américaines. Celles-ci ne diffèrent guère des recommandations européennes puisqu’elles préconisent aussi d’instaurer le plus rapidement possible les quatre familles thérapeutiques phares – inhibiteurs du SRA (iSRA), βbloquants, antagonistes des récepteurs aux minéralocorticoïdes (ARMC) et inhibiteurs du co-transporteur sodium/glucose de type 2 (iSGLT2) –, que le patient soit diabétique ou non.
Elles apportent quelques nuances : l’association sacubitril/valsartan est l’iSRA de référence en l’absence de contre-indications et, surtout, « elles intègrent les résultats de l’étude Emperor-Preserved, où pour la première fois un médicament, l’empagliflozine, réduit les complications cardiovasculaires (CV) chez les patients dont la FEVG est supérieure à 40 % », remarque Paul Heidenreich (Californie). Ainsi, lorsque la FEVG est comprise entre 41 et 49 %, le traitement est le même que dans les IC à fraction d’éjection systolique réduite, même si le niveau de preuve est plus faible, et les iSGLT2 sont indiquées dans les IC avec FEVG > 50 %, où peuvent être aussi discutés le sacubritil/valsartan et les ARMC.
Ces recommandations insistent aussi sur la nécessité d’une démarche proactive pour intervenir avant le remodelage cardiaque dans les IC asymptomatiques, y compris en l’absence d’anomalie biologique ou échographique chez les patients à risque d’IC du fait d’une HTA, d’un diabète, de syndromes coronariens ou de certaines chimiothérapies.
Par ailleurs, quelques études présentées cette année lors du congrès vont aider à la prise en charge de l’insuffisant cardiaque au quotidien. L’étude IVVE (Influenza Vaccine to prevent adverse Vascular Events) rappelle l’importance de la vaccination antigrippale. Elle avait fait ses preuves chez les coronariens pour prévenir les complications CV et les décès liés à la grippe, et montre maintenant son efficacité dans l’IC. Chez des patients en classe II à IV de la NYHA, la vaccination antigrippale pendant trois saisons, si elle ne modifie pas significativement les évènements du critère primaire (décès CV, IDM, AVC, hospitalisation pour IC) pendant la durée de l’étude, les réduit de façon significative lors du premier pic épidémique (HR = 0.82) et les suivants.
La question d’une restriction sodée stricte ne trouve en revanche pas vraiment de réponse dans l’étude Sodium-HF, qui a comparé les recommandations diététiques habituelles à un apport en sodium inférieur à 1,5 g par jour (soit l’équivalent de 2/3 de cuillère à thé). Après un an, la consommation moyenne était de 1,6 g/jour dans le groupe restriction versus 2 g dans le groupe contrôle. On ne constate pas de différence significative sur les hospitalisations ou les décès de toute cause, ni sur le test de marche des 6 minutes, ni sur la classe NYHA. Le seul point positif est l’amélioration modeste de la qualité de vie.
Le patiromer, une résine échangeuse de cations, pourrait aider à optimiser le traitement de l’IC en réduisant l’hyperkaliémie. L’étude Diamond, interrompue par la pandémie de Covid, n’a pu conclure sur le critère de morbimortalité ; mais chez des patients en hyperkaliémie ou ayant eu des antécédents d’hyperkaliémie sous iSRA, et traités par iSRA et ARMC, la kaliémie était significativement plus basse sous patiromer à la fin de l’étude, les épisodes d’hyperkaliémie moins nombreux et les doses d’iSRA et ARMC plus souvent optimisées.
Enfin, les gliflozines confirment leur bénéfice avec, en particulier dans Empulse, une amélioration de la mortalité et des hospitalisations lorsque l’empagliflozine est instaurée d’emblée après une décompensation aiguë de l’IC, soutenant l’idée d’une prescription précoce.
Au cœur du Covid long : un consensus pour la pratique
L’ACC a publié un consensus encadrant l’évaluation et la prise en charge des complications CV du Covid-19 chez l’adulte.
La myocardite, bien que rare, est bien plus fréquente au cours d’une infection à SARS-CoV-2 (40 pour un million) qu’après vaccination (1 pour un million avec le Pfizer et 6 avec le Moderna). Elle concerne essentiellement les hommes jeunes de 18 à 29 ans (dix fois plus que les femmes du même âge). L’hospitalisation est recommandée pour les formes légères à modérées de myocardite, les plus sévères devant idéalement être adressées à des centres spécialisés dans l’IC avancée.
Plus généralement, une symptomatologie CV est rapportée par 10 à 30 % des personnes infectées, qu’elle soit apparue ou se soit aggravée dans les quatre semaines ou plus après l’infection. Pour guider la prise en charge de ces PASC (Post-Acute Sequelae of SARS-CoV-2), il a été proposé de distinguer les PASC-Cardiovascular Disease, se référant à diverses pathologies CV, et les PASC-Cardiovascular Syndrome, où le bilan CV classique ne permet pas d’objectiver une pathologie CV définie.
Toutefois, une attention toute particulière doit être apportée aux divers symptômes, tachycardie, intolérance à l’exercice, douleurs thoraciques, dyspnée, qui doivent bénéficier des examens paracliniques CV et pulmonaires classiques. « La symptomatologie est souvent plurifactorielle et nous devons nous méfier de la “spirale descendante” dans les Covid longs, où la fatigue et la réduction de l’activité physique entraînent à leur tour une aggravation des symptômes et une diminution de la qualité de vie », remarque Nicole Bhave (Michigan). Pour ne pas aggraver la fatigue, en cas de tachycardie et d’intolérance à l’effort, il est conseillé de remplacer les exercices en position debout par des activités en position couchée ou semi-couchée (aviron, natation ou vélo), en débutant par des exercices courts et de faible intensité et en se guidant sur la symptomatologie pour le passage aux exercices en position debout.
L’existence d’atteintes cardiaques au cours de certains Covid et les incertitudes concernant d’éventuelles séquelles CV ont amené à s’interroger sur un risque possible à la reprise du sport amateur ou non. Après une myocardite, l’activité physique doit être suspendue pendant 3 à 6 mois. Chez les personnes restant symptomatiques sur le plan CV ou pulmonaire ou suspects d’une atteinte CV, un bilan minimum – ECG, mesure de la troponine, échocardiographie –, éventuellement complété par une imagerie, est indispensable.
Ces examens n’ont pas d’indication en l’absence de symptômes CV. L’activité peut être reprise avec prudence après trois jours ; elle sera suspendue jusqu’à la résolution des symptômes en cas de manifestations extra-cardiopulmonaires modérées (fièvre, apathie, douleurs musculaires) avec reprise progressive de l’activité physique. « On manque encore toutefois de données sur la durée de persistance des anomalies cardiaques après une infection au Covid-19 et le rôle que l’entraînement physique pourrait avoir dans le Covid long », note la cardiologue.