LE DÉPISTAGE ne peut pas reposer sur la seule chance de trouver par hasard une tumeur de très petite taille à l'occasion d'un examen d'imagerie (échographie, scanner) réalisé pour une autre raison. Il est vrai cependant que le diagnostic de lésions précancéreuses peu ou pas symptomatiques est susceptible de permettre une résection précoce et curative. Par exemple, les tumeurs mucineuses (cystadénomes et, surtout, tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas ou TIPMP), souvent diagnostiquées fortuitement, peuvent être enlevées avant une transformation maligne incurable et guéries (plus de huit fois sur dix lorsque le stade « dysplasie de haut grade/cancer in situ » n'est pas dépassé).
Mais le véritable dépistage à l'instar du cancer colo-rectal consiste à identifier une population à risque et à tenter de proposer aux sujets exposés une stratégie de surveillance par l'imagerie pour détecter des lésions précancéreuses.
Quels sont les sujets à risque ?
Comme pour la plupart des tumeurs solides, une susceptibilité génétique est en cause dans 5 % des cas d'adénocarcinomes pancréatiques. Schématiquement, on distingue les cancers s'intégrant dans un syndrome génétique déterminé et ceux, plus fréquents, survenant dans un contexte d'agrégation familiale non syndromique.
- Dans le premier groupe (syndrome génétique déterminé), on trouve des affections à expression phénotypique variée : syndromes des cancers du sein et de l'ovaire familiaux (mutation du gène BRCA2), mélanome familial multiple (CDKN2A/p16). Le syndrome de Peutz-Jeghers (STK11/LKB1) et la pancréatite chronique héréditaire (PRSS1) y figurent de façon plus marginale. Enfin et de façon plus anecdotique, on trouve le HNPCC (MLH1, MSH2, MSH3) ou encore syndrome de Li-Frauméni (TP53). À titre d'exemple, les mutations germinales BRCA2 ou CDKN2A/p16 conféreraient un risque de cancer pancréatique de l'ordre de 10 % aux apparentés, si un premier cancer du pancréas est survenu, sachant que ce chiffre est très variable d'une famille à l'autre. Les malades atteints de pancréatite héréditaire PRSS1 ont, quant à eux, un risque cumulé de cancer du pancréas au cours de la vie qui atteint 40 %.
- Dans le second groupe (agrégations de cancers du pancréas hors syndrome), les cancers surviennent par agrégation dans certaines familles. Le ratio d'incidence standardisé varie de 5 à 30 selon le nombre d'apparentés atteints. La recherche d'une mutation germinale est le plus souvent négative, sauf dans les familles comportant de nombreux cas. Ainsi, lorsqu'il existe trois apparentés atteints ou plus, la probabilité de trouver une mutation germinale du gène BRCA2 est proche de 15 %.
En pratique, on considère que la survenue d'un cancer chez au moins deux apparentés au premier degré doit faire évoquer une susceptibilité familiale. Par ailleurs, la survenue d'un cancer du pancréas avant l'âge de 50 ans devrait faire déclencher une enquête familiale.
Cependant, plusieurs problèmes sont spécifiques du dépistage des lésions précancéreuses du pancréas dans une famille « à risque » et doivent être soulignés. Il faut, en premier lieu, recueillir des informations fiables concernant l'arbre généalogique. Pour cela, le recueil des données doit répondre aux critères de qualité d'une consultation d'oncogénétique (vérification des données auprès des médecins traitants, obtention des comptes rendus chirurgicaux et anatomopathologiques...). Par la suite, il faut pouvoir établir le degré de risque des sujets apparentés, ce qui est parfois délicat, du fait de l'hétérogénéité phénotypique des cancers familiaux et de l'absence de mutation identifiable dans la plupart des familles à risque.
Quelles lésions précancéreuses est-on susceptible de détecter ?
Le dépistage du cancer du pancréas pose différents problèmes :
- Les lésions précancéreuses sont difficiles à détecter. Les Pan-IN (Pancreatic Intraepithelial Neoplasia) sont des lésions histologiques précancéreuses a priori non détectables par les examens d'imagerie. Contrairement aux polypes plans du côlon - dont on connaît déjà la difficulté diagnostique -, l'accès au canal de Wirsung pour effectuer des colorations ou des biopsies (et a fortiori aux canaux secondaires !) se heurte à des problèmes d'accessibilité et d'iatrogénie (risque de pancréatite aiguë). Cependant, des études récentes ont montré une prévalence élevée d'anomalies à type d'hétérogénéité du parenchyme ou de dilatations canalaires décelables par l'imagerie et l'écho-endoscopie (EE) chez les sujets à risque. Certaines de ces anomalies correspondent à d'authentiques tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses. Un traitement prophylactique (résection chirurgicale) peut alors être discuté chez les sujets atteints. Le dépistage chez les sujets à risque devrait débuter à l'âge de 45 ans (35 ans en cas de pancréatite héréditaire). La proposition d'un groupe d'experts du Club français du pancréas concerne les examens à utiliser pour le premier dépistage : scanographie, IRM et échoendoscopie. L'IRM doit être réalisée de façon anuelle. La scanographie (risque d'irradiation cumulative) et l'échoendoscopie ne doivent pas être répétées systématiquement, mais seulement en cas d'anomalie à l'IRM. En cas de pancréatite héréditaire très calcifiée, l'intérêt de l'échoendoscopie est limité. Les prélèvements sanguins utiles sont faits à l'issue de la consultation d'oncogénétique (actuellement, prélèvement pour étude de CDKN2A/p16 et, s'il n'existe pas de mutation de ce gène, étude du gène BRCA2 à discuter).
- Le dépistage peut engendrer une anxiété légitime chez les sujets concernés, car il peut déboucher sur une proposition de chirurgie prophylactique assez lourde chez des sujets asymptomatiques. D'autre part, la découverte de lésions de très petite taille - kystiques notamment - et difficiles à caractériser peut inquiéter le patient concerné, même si une simple surveillance est décidée.
- Les recommandations d'un groupe international publiées récemment (1) ne sont pas encore admises dans l'ensemble de la communauté scientifique. Le rapport bénéfice/risque d'un tel dépistage n'a pas été évalué prospectivement en France. Ainsi, le groupe français Génétique et Cancer a récemment discuté la validité d'une telle stratégie et proposé de créer un groupe de réflexion spécifique.
* Pôle des maladies de l'appareil digestif,
hôpital Beaujon, Clichy.
(1) Brand RE, et coll. Gut 2007;56:1460-9.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature