DE NOTRE CORRESPONDANTE
«NOUS AVONS découvert que l'aptitude d'un adolescent de 14ans à estimer rapidement une quantité dans un groupe est significativement corrélée à sa réussite scolaire en math, à chaque année depuis la maternelle», déclare dans un communiqué le Dr Justin Halberda, professeur de science psychologique et cérébrale à l'université John Hopkins (Baltimore), qui a dirigé ce travail.
L'étude est publiée dans la revue « Nature ». La compétence mathématique humaine émerge de deux systèmes : l'un repose sur des représentations symboliques qui sont propres à l'homme et doivent être enseignées ; l'autre repose sur un sens approximatif des nombres, qui, sur le plan évolutif, est ancien et qui est partagé par les humains (dès la plus petite enfance) et de nombreux animaux (y compris les rats et les pigeons). Cette représentation numérique approximative est visuelle ou auditive et ne fait pas intervenir le calcul verbal. Cette faculté répond certainement à un besoin apparu très tôt d'apprécier une quantité de nourriture ou estimer la taille d'un groupe de congénères.
On ignore toutefois si ce sens inné du nombre varie d'un individu à l'autre, s'il peut être plus précis chez certains que chez d'autres. De plus, on ignore dans quelle mesure ce sens inné peut influer sur les compétences mathématiques symboliques qui sont acquises par l'instruction scolaire.
Afin de répondre à ces questions, l'équipe de Justin Halberda a étudié 64 adolescents de 14 ans, scolarisés en classe de troisième, et dont les performances mathématiques et intellectuelles avaient été mesurées chaque année depuis la maternelle.
Une variation étonnamment grande entre les individus.
Les chercheurs ont mesuré chez tous ces adolescents l'acuité de leur sens approximatif des nombres. Ils leur ont demandé de regarder sur un écran d'ordinateur des points jaunes et des points bleus mêlés, dont la vitesse d'apparition empêchait leur comptage, et d'estimer quels points colorés étaient les plus nombreux. Le rapport entre les deux groupes de points colorés variait (1 sur 2, 3 sur 4, 5 sur 6 et 7 sur 8), et il y avait de 5 à 16 points dans chaque groupe.
Les résultats mettent en évidence chez ces adolescents une variation étonnamment grande de l'acuité du sens inné du nombre. Tandis que la plupart des adolescents parviennent à la bonne réponse lorsqu'il y a par exemple seulement 10 points bleus contre 25 points jaunes, certains éprouvent des difficultés lorsque le nombre de points dans chaque groupe est plus proche.
Les chercheurs ont alors examiné la relation entre cette acuité et les performances des adolescents en mathématique symbolique, enregistrées chaque année depuis la maternelle à l'aide de un ou deux tests standardisés. Ils ont découvert que les adolescents dotés d'un sens inné aigu des nombres (à l'âge de 14 ans) ont mieux réussi à chacun des tests annuels de math symbolique, passés de la maternelle à la troisième.
De plus, cette corrélation entre l'acuité du sens des nombres et la performance en math symbolique persiste après ajustement pour le QI et d'autres facteurs.
«Cela semble dire que le sens inné du nombre, que nous partageons avec les animaux, est connecté aux mathématiques formelles que nous apprenons à l'école», conclut le Dr Halberda. «Le sens inné du nombre et les mathématiques formelles enseignés à l'école pourraient interagir et s'influencer l'une et l'autre au fil de notre vie. »
De nouvelles méthodes d'enseignement ?
Malgré cette forte corrélation, le Dr Halberda souligne toutefois qu'il ne faut pas en déduire que le succès ou l'échec en math est génétiquement déterminé et donc immuable. De nombreux facteurs affectent la performance en mathématiques. Les futures recherches devront déterminer si les différences précoces dans le sens inné du nombre affectent l'apprentissage ultérieur des maths, si l'instruction mathématique améliore l'acuité du sens du nombre, et dans quelle mesure d'autres facteurs peuvent affecter l'un et l'autre. Ces résultats pourraient peut-être aider à élaborer de nouvelles méthodes d'enseignement pour les enfants qui ont des difficultés en math.
« Nature », 7 septembre 2008, DOI : 10.1038/nature 07246.
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