LE PRINCIPE de l'organe perfusé est de l'isoler brièvement sur le plan circulatoire, en anoxie ou en oxygénation par une circulation extracorporelle, et de soumettre la tumeur à des concentrations médicamenteuses massives inenvisageables sur le plan systémique. L'objectif est de diminuer le volume tumoral et de rendre la lésion accessible à une chirurgie de résection. Ce mode opératoire a été imaginé dans les années 1980 pour pallier la faible efficacité des chimiothérapies systémiques existant alors. La commercialisation de molécules de plus en plus efficaces a fait reculer les programmes de recherche utilisant les organes perfusés isolés, ce d'autant qu'il s'agit de procédures chirurgicales vasculaires lourdes grevées d'effets secondaires non négligeables à type d'ischémie, d'hémorragie ou de nécrose cutanée. Seule la perfusion isolée des membres (ILP) pour sarcome des tissus mous ou pour mélanome a persisté et reste employée dans certains centres. L'ILP repose sur l'isolement vasculaire du membre dans lequel est administré du TNF (Tumor Necrosis Factor), molécule antiangiogénique hautement toxique, et du melphalan.
L'objectif est, en diminuant le volume tumoral, de sauvegarder le membre, le rendant accessible, dans un deuxième temps, à une chirurgie la moins délabrante possible.
Les nouvelles thérapies ciblées relancent le débat.
Par le passé, l'isolement circulatoire de l'organe devait être total car les produits utilisés, notamment le TNF, sont très toxiques. Cette étanchéité, réalisable techniquement pour les membres, est plus lourde à obtenir pour les autres organes. Récemment, l'essor de la radiologie interventionnelle et le développement de nouvelles molécules antiangiogéniques qui devraient être mieux tolérées ont fait redécouvrir la technique sous un angle différent. Le paradigme de l'organe exclu perfusé, qui est le membre perfusé par le TNF et le melphalan pour les sarcomes, serait remplacé par le paradigme d'un organe, certes exclu, mais acceptant un certain taux de fuite grâce à une meilleure tolérance des nouvelles molécules antiangiogéniques. Les espoirs portent actuellement sur de nombreuses thérapies ciblées à effet antiangiogène. Parmi ces molécules, les principales sont celles visant à inhiber la voie du VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), comme le bévacizumab, et les molécules ciblées sur le récepteur EGF (Epidermal Growth Factor), comme le cétuximab, l'erlotinib, le gefitinib… De nombreuses autres molécules sont potentiellement utilisables, y compris le thalidomide qui est le plus ancien des antiangiogéniques connus, et d'autres sont en développement. Il reste à définir leur mode d'utilisation suivant l'organe qui sera isolé : pelvis, poumon…
Le stop flow facilite l'abord chirurgical.
La radiologie interventionnelle peut désormais remplacer la chirurgie vasculaire lourde. Elle utilise essentiellement des cathéters à ballonnets qui sont gonflés au-dessus et au-dessous de l'organe pour l'exclure temporairement. Au niveau du foie, par exemple, un double ballonnet est placé dans la veine cave inférieure au travers d'une incision de la veine fémorale afin d'isoler le segment veineux rétrohépatique. La sortie de perfusat est obtenue par des fenestrations dans la lumière majeure du cathéter, dans sa partie isolée. L'apport de perfusat est obtenu par cathéter intrahépatique artériel, placé soit angiographiquement, soit par chirurgie. Cette méthode par stop flow est beaucoup moins lourde que la chirurgie et autorise des interventions itératives.
Des indications opératoires qui entrent dans des protocoles de recherche clinique.
L'OIP est une technique d'exception qui ne se pratique que dans très peu de centres en France. Son objectif est de permettre une résection tumorale dans un deuxième temps. L'institut Gustave-Roussy a développé les « pelvis perfusés » pour les tumeurs bloquées dans le pelvis et non réséquables car trop proches des gros vaisseaux, l'institut Bergonié pratique la perfusion des membres, le centre hépatobiliaire de Villejuif s'intéresse au foie et, enfin, le centre Léon-Bérard à Lyon au poumon. Les indications les plus classiques, hormis le sarcome des membres, portent sur les tumeurs pulmonaires, hépatiques, péritonéales et pelviennes non réséquables. Un exemple d'indication typique sont les métastases pulmonaires de sarcome réalisant de véritables « coups de fusil de chasse » avec de 15 à 30 lésions apparaissant simultanément dans un même champ, inaccessibles à la chirurgie classique, comme à la chimiothérapie qui n'a que peu d'impact sur la survie, car il n'est pas possible d'utiliser des doses importantes par voie systémique en raison des effets secondaires. Le foie, enfin, est très fréquemment (dans environ 40 % des cas) le site de métastases. La tumeur primitive en cause est le plus souvent le cancer colo-rectal, mais il peut également s'agir de tumeurs neuro-endocrines et de mélanome uvéal, de sarcome… Une étude récente a été réalisée aux Pays-Bas (1) pour évaluer l'efficacité d'une perfusion isolée du foie (IHP) sur les métastases qui n'étaient pas d'origine colo-rectale. Au total, 19 patients atteints respectivement de métastases de mélanome uvéal (13), de carcinome neuro-endocrine (2), de GIST (2), d'un carcinome hépatocellulaire et d'un sarcome de haut grade ont été traités avec l'IHP pendant 60 minutes en utilisant une dose de melphalan de 200 mg. La rémission des patients avec mélanome uvéal a été de 6,6 mois en moyenne avec une médiane de survie globale de 10 mois. Une rémission partielle a été observée pour 50 % des autres tumeurs, y compris pour le patient avec sarcome de haut grade. Les auteurs concluent à l'efficacité du foie isolé perfusé. Cette technique destinée à faire reculer le front de la non-résécabilité doit être réévaluée suivant les possibilités offertes par les nouvelles thérapies ciblées disponibles.
Les études à venir devront prouver l'existence d'un rapport bénéfice/risque supérieur à ce qu'il était par le passé.
D'après un entretien avec le Pr Serge Évrard, institut Bergonié, Bordeaux. (1) Van Iersel L.B.J. et coll. « Ann Surg Oncol 2008
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