Par le Pr William Camu*
EN 2001, l'équipe de Carmeliet à Louvain fit sensation en présentant une souris transgénique porteuse d'une délétion du promoteur du gène du VEGF qui développait une maladie très proche (clinique et anatomopathologie) de la SLA humaine (Oosthuyse et coll). Le VEGF est une protéine responsable d'angiogenèse, sa dérégulation par ablation du promoteur empêche l'animal de développer des néovaisseaux en réponse à l'hypoxie. Une HTA était espérée, ce fut une SLA qui vint ! Les travaux suivants, belges puis français, ont confirmé d'une part que le VEGF pouvait améliorer la survie des motoneurones en culture et que l'administration de ce peptide pouvait ralentir l'évolution chez l'animal malade, dans un modèle de SLA. Nos collègues lillois ont étudié le VEGF intrathécal dans la SLA. Non seulement les taux sont bas chez les malades, mais en cas d'hypoxie ils baissent au lieu de s'élever (Moreau et al., 2006). Le décorticage des mécanismes en cause est en cours et permettra peut être, en tout cas on l'espère, de développer une thérapeutique originale.
La génétique vient appuyer ces découvertes en montrant que les sujets porteurs de certains variants génétiques (polymorphismes) de VEGF ont plus de risque d'avoir une SLA (Lambrechts et al., 2003). Il en va de même, et le consensus est ici plus large pour les polymorphismes de l'angiogénine, autre protéine impliquée dans la régulation de l'hypoxie (Gellera et al., 2008). Pour autant, tout porteur de ces polymorphismes n'a pas une SLA. Les malades de SLA ayant un risque génétique vis-à-vis de l'hypoxie se mettraient-ils en risque encore plus grand du fait d'une activité particulière au quotidien ?
Cela fait écho à l'épidémiologie suspectée de la SLA depuis de nombreuses années. On sait en effet que les professions de soudeurs, de travailleurs exposés aux solvants, les travailleurs de force ont un risque accru de SLA (McGuire et al., 1997). Une controverse persiste au sujet des sportifs. Le fameux Lou Gherig a fait parler de lui outre-Atlantique grâce à ses exploits au base-ball avant de décéder d'une SLA, mais les travaux tentant d'établir un lien strict entre pratique sportive et SLA ont échoué. Tous ? Non, un résiste mais prend une signification particulière : le risque est nettement accru chez les footballeurs professionnels en Italie, mais pas chez les basketteurs ou les cyclistes (Chio et coll., 2005). Les premières professions citées plus haut exposent à un risque d'hypoxie, les sportifs en utilisant leur oxygène pour leurs muscles se mettraient aussi en hypoxie. À Montpellier, le risque de SLA semble augmenté fortement chez les militaires dans l'armée de l'air, là aussi connus pour être exposés à l'hypoxie de façon notable et répétée (Garrigues et coll., 2005). Enfin, et c'est un point je crois important, notre pratique nous apprend que les patients ayant une SLA sont des personnes dynamiques souvent décrites, et se décrivant, comme hyperactives. Pour avoir dernièrement interrogé nos confrères européens, l'opinion est largement partagée sur ce point. Pour autant, être actif ne veut pas dire TOUS travailleurs de force ni TOUS sportifs. Dans un travail sur 100 patients consécutifs, nous avions pu montrer que, plus souvent que les témoins, les malades SLA faisaient des travaux de force, mais qu'en revanche ils ne faisaient pas plus de sport. Pragmatisme oublié des études sur le sport et la SLA : quand on est un travailleur de force, on n'a pas de temps pour une pratique sportive significative. Pour autant le point commun demeure l'activité. Qui dit activité dit dépense énergétique. Celle-ci, évaluable par des tables de l'OMS et la FAO, nous a permis de quantifier la dépense énergétique quotidienne (DEQ) des SLA et de la comparer à des témoins de même âge et de même sexe atteints d'autres affections neurologiques. La quantification a fait appel à un questionnaire standardisé permettant d'évaluer le nombre d'heures de chaque activité quotidienne (sommeil, travail assis, travail debout, jardinage, sport modéré, intense, etc.). Chaque type d'activité est identifié par une dépense calorique horaire permettant ainsi de faire la somme donnant la DEQ. Les malades ont été questionnés sur les décennies précédant la maladie pour déterminer si une hyperactivité existait et si celle-ci était présente plutôt à certains moments de la vie. Les données issues de 50 patients et de 41 témoins font apparaître clairement une augmentation de la DEQ de 25 % au moins à chaque décennie par rapport aux témoins (p < 0,0001). Les patients atteints de SLA sont donc plus actifs, et ce durant toute leur période de vie adulte avant la maladie. Les principales différences apparaissent sur le temps de travail intense et soutenu qui occupe les malades de SLA 4, 2h/j contre 50 minutes pour les témoins, entre 20 à 30 ans, et durant 5h/j contre 90 minutes, entre 40 et 50 ans (Gonzalez et al., 2007).
Quelle interprétation, quelles conséquences ?
Si, comme il faut en croire les Lillois, les SLA ont une mauvaise régulation face à l'hypoxie, pour des raisons probablement génétiques, alors le fait d'avoir une hyperactivité physique au quotidien risque fort d'aggraver les conséquences de cette dysrégulation. La souffrance neuronale réversible, sans hyperactivité, pourrait ainsi devenir irréversible chez les personnes trop actives. Il s'agirait, si ce modèle se confirmait, d'un exemple d'interaction gène/environnement. Il pourrait s'agir, ultérieurement, d'une issue thérapeutique possible : ventiler plus tôt ? Voire d'une possibilité (idéale !) préventive chez les personnes. Je vous invite à suivre le fil de cette eau qui, espérons-le nous aidera à combattre, comme le disent si souvent nos patients et comme nous le pensons nous-mêmes, cette fichue maladie qu'est la SLA.
* Clinique du motoneurone, service de neurologie, hôpital Gui-de-Chauliac, CHU de Montpellier (1) Chiò A, Benzi G, Dossena M, Mutani R, Mora G. Severely increased risk of amyotrophic lateral sclerosis among italian professional football players. Brain 2005; 128:472-6.
(2) Garrigues G, Le Coz T, Pageot N, Barbaud A, Briolotti V, Afework S, Morgat M, Camu W. Increased risk for developing ALS in the military population: further evidence from the french population. ALS 2005; 6(Suppl 1):90.
(3) Gellera C et al. Identification of new ANG gene mutations in a large cohort of italian patients with amyotrophic lateral sclerosis. Neurogenetics 2008; 9:33-40.
(4) Gonzalez A, Morales R, Pageot N, Camu W. ALS patients have a significant hyperactivity at all adult ages: results of a prospective study. ALS 2007; 8(supp1):67-68.
(5) Lambrechts D et al. VEGF is a modifier of amyotrophic lateral sclerosis in mice and humans and protects motoneurons against ischemic death. Nat Genet 2003; 34:383-94.
(6) McGuire V et al. Occupational exposures and amyotrophic lateral sclerosis. A population-based case-control study. Am J Epidemiol 1997; 145:1076-88.
(7) Moreau C et al. Paradoxical response of VEGF expression to hypoxia in CSF of patients with ALS. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2006; 77:255-257.
(8) Oosthuyse B et al. Deletion of the hypoxia-response element in the vascular endothelial growth factor promoter causes motor neuron degeneration. Nat Genet 2001; 28:131-8.
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