Par le Pr JEAN-CLAUDE COLAU*
LES INFECTIONS urinaires gravidiques concernent 5 à 8 % des grossesses et les bactériuries asymptomatiques (BA), 2 à 11 %. C'est la plus fréquente des infections bactériennes chez la femme enceinte. Or, pendant la grossesse, les BA non traitées sont associées à un risque accru de pyélonéphrite aiguë gravidique (PNAG), d'accouchement prématuré, de petit poids de naissance (RCIU) et à une surmortalité néonatale. D'où l'importance de dépister et de traiter ces bactériuries asymptomatiques gravidiques.
En quelques années, la position de la Haute autorité de santé (HAS) a évolué à ce sujet. Si, en 2005, elle estimait qu'un dépistage systématique des infections urinaires chez la femme enceinte n'était pas recommandé («Un examen cytobactériologique des urines (ECBU) est à proposer, selon la symptomatologie ou les antécédents, au 3e, 5e, 8eet/ou 9emois»), en mai 2007, dans son rapport « Suivi et orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risque identifiées », elle préconisait un dépistage continu (du 4e mois au 8e mois) des infections urinaires asymptomatiques à la bandelette urinaire.
Ainsi, en 2008, le dépistage continu par bandelettes d'infections urinaires asymptomatiques doit être proposé systématiquement et régulièrement à toutes les femmes enceintes, quel que soit le niveau de risque. L'ECBU est réservé aux patientes à risque en cas d'antécédents d'infections urinaires, de diabète ou de positivité de la bandelette, sans pour autant remettre en cause l'intérêt d'une détection régulière par bandelettes.
L'autosurveillance à domicile par bandelettes.
En plus de posséder de bonnes performances, un test de dépistage idéal doit être peu coûteux, simple et rapide. L'utilisation de bandelettes réactives est simple. Son très faible coût autorise une recherche pluri-mensuelle, en particulier chez la femme à risque.
Pour être efficace, le dépistage de l'infection urinaire gravidique doit être répété ; aussi est-il intéressant que cet examen puisse être réalisé par la femme elle-même, à son domicile (le matin sur les urines de la nuit).
Une évaluation de l'utilisation en « home test » des bandelettes urinaires chez la femme enceinte a été réalisée dès 1994 chez 859 femmes. Cette étude avait montré la supériorité de l'auto-examen réalisé par la femme au moyen de bandelettes réactives comparativement à la réalisation du test en consultation, avec une meilleure valeur prédictive positive (VPP de 24 % à domicile contre 10 % en consultation), une valeur prédictive négative (VPN) de 99 %, une sensibilité de 47 % et une spécificité de 90 %.
Plusieurs travaux comparant la stratégie de dépistage par bandelettes et par ECBU ont montré que la combinaison des tests nitrites et leucocyte-estérase constitue une alternative à la culture en termes de ratio coût/efficacité.
La valeur prédictive négative (VPN) combinatoire de l'absence concomitante de détection d'hématurie de leucocyturie et de nitrite peut être déterminée sur la base d'une probabilité qu'une personne ayant un test négatif à ces trois éléments soit vraiment indemne de toute infection urinaire. Fondée sur ce dernier mode de calcul, la VPN combinatoire est estimée à 99,9 % pour certaines bandelettes.
L'excellente VPN permet d'exclure une infection en cas de négativité à la bandelette avec des bénéfices attendus en termes de coûts évités (moindre prescription d'ECBU inutiles et réduction des traitements antibiotiques instaurés de manière indue).
Une réduction des pyélonéphrites.
Le dépistage des bactériuries asymptomatiques ne peut se justifier que si le traitement administré à la suite d'un résultat positif permet de réduire la fréquence des pyélonéphrites par rapport à un diagnostic d'infection urinaire porté sur des symptômes.
Dans une étude de suivi pendant sept ans de 4 917 femmes enceintes, l'introduction d'un programme de dépistage des BA a permis d'obtenir une réduction importante de l'incidence des pyélonéphrites (passant de 1,8 % à 0,6 %, p < 0,001).
Une analyse récente de la Cochrane 2007 incluant 14 études a établi l'efficacité des antibiotiques, avec une réduction significative du risque de pyélonéphrite (RR 0,23, 95 % CI 0,13 to 0,41) par rapport au placebo, ainsi que du nombre de naissances de faible poids en rapport avec l'infection (RR 0,66, 95 % CI 0,49 to 0,89).
La précocité du dépistage et du traitement des infections urinaires basses permet une diminution des pyélonéphrites aiguës gravidiques (PNAG). En l'absence de dépistage, la prévalence des PNAG est de 3 à 5 %. En cas de dépistage systématique et de traitement, elle n'excède pas 1 %.
Des tests plus fréquents chez les femmes à risque.
Dans certaines circonstances, la HAS recommande un dépistage plus fréquent ; ce sont : les infections urinaires à répétition (plus de 4 par an) ; une infection urinaire diagnostiquée à l'ECBU systématique en début de grossesse ; après un épisode d'infection urinaire gravidique ; une uropathie connue ou opérée (reflux vésico-urétéral, lithiase…), un diabète ; une glomérulonéphrite chronique ; une insuffisance rénale chronique.
La prévalence des BA étant de 5,9 % au cours des grossesses normales et de 15 % en cas de grossesses à risque, dans cette population, un dépistage hebdomadaire devrait permettre d'éliminer une infection urinaire pour un coût acceptable ou de confirmer la bactériurie et d'enclencher une prise en charge immédiate, pour éviter l'évolution vers une pyélonéphrite aiguë.
Enfin, face à une symptomatologie fréquemment atypique (cystalgie non infectieuse), l'utilisation des bandelettes permet d'éviter des examens et des traitements probabilistes injustifiés.
Des signes cliniques évoquant la possibilité d'une infection urinaire dans l'intervalle entre les visites prénatales vont susciter une prise en charge classique dont le coût total est supérieur à celui de la surveillance par bandelettes durant toute la grossesse, et cette situation est susceptible de se reproduire à plusieurs reprises au cours de la grossesse.
En pratique.
Les nouvelles recommandations de la HAS de mai 2007 préconisent le dépistage systématique et régulier (du 4e au 8e mois) des infections urinaires asymptomatiques au moyen de bandelettes réactives.
Le renforcement de l'autosurveillance, en particulier chez les femmes enceintes à risque, par l'utilisation régulière et rapprochée de bandelettes réactives doit permettre une prise en charge thérapeutique plus précoce des bactériuries asymptomatiques, afin de réduire l'incidence des complications potentiellement graves, tant pour la mère que pour l'enfant.
* Hôpital Foch à Suresnes.
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