Entre les fantasmes et la réalité

Le potentiel infectieux des chauves-souris se précise

Publié le 30/03/2008
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De notre envoyée spéciale à Libreville

LES CHAUVES-SOURIS sont apparues sur terre bien avant l'homme, il y a 50 millions d'années. Elles se sont bien adaptées aux changements d'environnement et de climat. Aujourd'hui, l'ordre des chiroptères représente près de 20 % des espèces de mammifères recensés sur terre, avec plus de 1 000 espèces différentes. C'est le seul mammifère doté de la capacité de voler et d'un système d'échosonar qui lui permet une bonne localisation, y compris dans des endroits parfaitement sombres.

En dehors de fantasmes de malignité des chauves-souris dans les populations précolombiennes et mayas, cet animal a peu intéressé les chercheurs. Tout au plus un parallèle a été fait entre Dracula et les chauves-souris qui transmettaient la rage par un mécanisme similaire.

En 1976, lors de la première épidémie d'Ebola, au Sud-Soudan et au Nord-Zaïre, les chercheurs n'ont pas imaginé que les chauves-souris pouvaient y avoir joué un rôle. Ils ont analysé plus de 3 200 vertébrés et 30 000 insectes sans trouver le réservoir viral.

Pourtant, après avoir déterminé que les primates non humains pouvaient être infectés, l'équipe du Dr Eric Leroy (IRD, CIRMF) a retrouvé une positivité à la PCR pour Ebola chez des chauves-souris. Ces recherches ont pris près de trente ans.

Aujourd'hui, on connaît les trois espèces de chauves-souris fructivores qui peuvent servir de réservoir ou d'hôte au virus Ebola : Hypsignathus monstrosus, Epomops franqueti et Myonycteris torquata. Le rôle de ces mammifères dans la transmission d'autres fièvres hémorragiques, telles que le virus de Marburg, a aussi été prouvé. Des travaux récents ont confirmé la présence d'anticorps antivirus de Marburg dans les espèces Rousettus aegyptacus et Hipposideros caffer. Pour la première fois, un virus de Marburg a été isolé de façon directe chez une chauve-souris.

Peuvent réserver encore bien des surprises.

Doit-on s'attendre à d'autres émergences virales liées aux chauves-souris ? Pour le Pr Charles Calister, ces hôtes peuvent réserver encore bien des surprises. Outre les virus qu'elles abritent, elles sont aussi infectées par des endoparasites (bactéries, agents mycosiques, hémoparasites et protozoaires) mais, jusqu'à présent, aucun lien entre ces organismes et des infections humaines n'a été mis en évidence. Certaines souches pourraient néanmoins passer des chauves-souris à l'homme : Histoplasma capsulatum, Salmonella typhimurium et anatum, Borrelia recurrentis, Shigella sp, Yersinia pseudotuberculosis, Mycobacterium bovis, Leptospira sp, Bartonnella sp et Coxiella burnetiihas.

Doit-on pour autant supprimer ces mammifères qui vivaient sur terre bien avant l'homme et qui pourraient lui survivre ? Non, bien sûr. Toute modification de l'écosystème peut être à l'origine de bouleversements et les chauves-souris jouent un rôle dans le maintien de la balance environnementale en stabilisant la population des insectes. Des travaux de recherche doivent donc être menés pour mieux connaître l'écologie de ces animaux, leurs habitudes migratoires et reproductives et préciser leurs interactions avec l'homme et l'ensemble du règne animal.

4e Symposium international sur les filovirus, Libreville, Gabon.

Plus de 100 virus

Les différentes analyses virologiques menées sur les chauves-souris dans le monde ont permis de montrer que cette espèce animale pouvait constituer un réservoir ou un hôte intermédiaire pour bon nombre de virus qui peuvent concerner l'homme : arénavirus, alphavirus (dont le chikungunya et des virus dengue-like), bunyavirus (dont hantavirus ou phlébovirus à l'origine de la fièvre de la vallée du Rift), coronavirus (dont le SRAS), filovirus (Ebola et fièvre de Marburg), flavivirus (encéphalite japonaise et encéphalite de Saint Louis), herpèsvirus, orthomyxovirus (influenza de type A), papillomavirus, paramyxovirus (dont le virus de Hendra à l'origine d'encéphalites ou le Nipah virus), picornavirus, réovirus et rhabdovirus (dont le virus de la peste).

Parmi plus de cent virus recensés, seule une vingtaine peuvent être à l'origine d'une infection humaine. Mais le domaine de la recherche en épidémiologie chez les chauves-souris reste encore très limité. On peut imaginer que le nombre des virus recensés ne va faire que croître au cours des prochaines années.

Un centre de recherche unique en Afrique

Le 4e Congrès international sur les virus Ebola et Marburg n'aurait pas pu avoir lieu en Afrique sans l'implication active des chercheurs du Centre international de recherches médicales (CIRM) de Franceville. En 1979, à l'initiative du président gabonais Omar Bongo et du président d'Elf Aquitaine, M. Guillomard, une unité de recherche médicale et scientifique a été créée à Franceville, au Gabon, dans le cadre de la provision pour investissements diversifiés.

Si le premier des thèmes développés était la moindre fécondité de la femme gabonaise, les objectifs de recherche se sont rapidement diversifiés et, aujourd'hui, les chercheurs affiliés aux vingt laboratoires travaillent sur les domaines de la parasitologie (paludisme, filariose, trypanosomiase), de la virologie (rétrovirus, fièvres hémorragiques, virus des hépatites), de la primatologie (génétique et pathologies des primates non humains, étude comportementale éthologique des signes en semi-captivité, étude des écosystèmes tropicaux) et de l'écologie de la santé et l'épidémiologie. Le centre est doté d'un laboratoire de recherche virologique P3+4, d'une animalerie de 200 primates. Il est placé sous la tutelle du gouvernement gabonais et de Total Gabon. Il accueille des chercheurs délégués par différents organismes tels que l'IRD (équipe du Dr Eric Leroy), l'Institut Pasteur, le CIRAD et le ministère des Affaires étrangères français.

> Dr ISABELLE CATALA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8342