LA MÉTHODE est efficace, très efficace même. Cependant, le mécanisme moléculaire à l'origine des effets bénéfiques des petits ARN interférents sur la forme humide de la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) n'a rien à voir avec celui qu'on imaginait. Certes, les petites molécules d'acide ribonucléique sont bien capables de bloquer de manière spécifique l'expression de gènes impliqués dans la maladie. Mais une équipe de chercheurs de l'université du Kentucky vient de démontrer qu'elles agissent principalement de manière non sélective, en se fixant sur des récepteurs extra-cellulaires et en entraînant de la sorte une inhibition de la néoangiogenèse.
Si cette découverte ne remet pas en cause l'intérêt des petits ARN interférents (siARN) dans le traitement de la DMLA, elle incite à la prudence. L'utilisation des siARN en thérapie ne pourra concerner que les pathologies dans lesquelles une inhibition de la croissance vasculaire est souhaitable. « Notre travail a deux implications importantes: la première est que les siARN n'agissent finalement pas de manière aussi sélective et spécifique qu'on le croyait. La seconde est que cette classe de molécules possède un effet secondaire potentiellement très dangereux », résume le Dr Jaya krishna Ambati, de l'université du Kentucky.
Eteindre l'expression de gènes cibles.
L'interférence ARN est un phénomène naturel qui conduit de petites molécules d'ARN à éteindre l'expression de gènes cibles. Des ARN interférents codés dans les génomes participent à la régulation de nombreux processus physiologiques, en particulier au cours du développement embryonnaire. Le mécanisme peut aussi être détourné et utilisé par un expérimentateur. Il suffit d'introduire un siARN de séquence adéquate dans une cellule pour obtenir la répression de l'activité d'un gène cible.
En l'espace de quelques années, les siARN sont devenus un classique de la boîte à outils du chercheur. Et nombreux sont ceux qui les considéraient déjà comme une nouvelle de molécule thérapeutique d'action spécifique, s'opposant à l'expression de gènes qui jouent un rôle clé dans l'étiologie de diverses maladies.
La DMLA est une première pathologie qu'il a été envisagé de traiter à l'aide de siARN, en l'occurrence à l'aide de siARN s'opposant à l'expression du facteur de croissance vasculaire VEGF ou de son récepteur. Les résultats extrêmement prometteurs obtenus lors des essais précliniques conduits dans le modèle de la souris ont conduit à la mise en place de plusieurs essais chez l'humain. Ces résultats ont cependant intrigué certains scientifiques. Compte tenu de la faible efficacité avec laquelle on est actuellement en mesure de faire entrer une molécule d'acide nucléique dans une cellule, l'effet des injections de siARN semblait anormalement fort.
Les travaux du Dr Ambati et coll. apportent aujourd'hui une explication à ce phénomène. Les chercheurs ont découvert que l'effet des siARN sur la DMLA est totalement indépendant de leur capacité à entrer dans les cellules. Il est même totalement indépendant de leur séquence. Qu'on utilise des siARN conçus pour bloquer l'expression du système VEGF, des siARN inhibant l'expression d'autres gènes ou encore des siARN dont la séquence ne correspond à aucun gène, on obtient le même résultat : une inhibition locale de la croissance vasculaire.
Une autre voie cellulaire impliquée dans l'angiogenèse.
D'autres auraient préféré oublier ces résultats embarrassants, mais le Dr Ambati a cherché à comprendre. Si l'effet antiangiogénique des siARN est indépendant de leur séquence, c'est qu'il ne passe pas par l'interférence ARN, mais par une autre voie cellulaire impliquée dans le contrôle de l'angiogenèse. L'équipe américaine a fini par trouver laquelle.
Les chercheurs ont démontré que tous les siARN de 21 ribonucléotides ou plus ont une forte affinité pour un récepteur présent à la surface de quasiment tous les types cellulaires : le récepteur TLR3. La fixation des petits ARN sur ce récepteur entraîne une cascade de réactions intracellulaires qui aboutit à une inhibition de l'angiogenèse.
«Je veux que les choses soient absolument claires: l'interférence ARN existe bien. Nous avons juste découvert une voie d'action additionnelle des siARN. Contre toute attente, elle se révèle prédominante, précise le Dr Ambati. Nous poursuivons maintenant notre travail en cherchant comment utiliser de manière sélective la capacité des siARN à supprimer la néoangiogenèse. Nous souhaitons aussi développer des stratégies permettant “d'éteindre” cet effet pour pouvoir utiliser les siARN dans le traitement de maladies où l'inhibition de la croissance des vaisseaux sanguins est indésirable.»
M. Kleinman et coll., « Nature », édition en ligne du jeudi 27 mars 2008.
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