LE QUOTIDIEN - Que peut-on dire aujourd'hui de l'efficacité de la vaccination contre le HPV ?
Pr PHILIPPE JUDLIN - Les résultats de toutes les études publiées à ce jour montrent qu'il s'agit d'une vaccination très efficace. La protection conférée est élevée : pour fixer les idées, les taux d'anticorps induits par la vaccination sont de 50 à 80 fois plus élevés que les taux induits par l'infection naturelle, après clearing. Il s'agit par ailleurs d'une protection durable, puisque, avec sept ans de recul, aucune atténuation n'a encore été mise en évidence. Pour le moment, donc, la question de l'injection de rappel n'est pas d'actualité.
Cette protection ne s'exerce toutefois que vis-à-vis des HPV16 et 18, très majoritaires puisqu'ils sont en cause dans 80 % des lésions précancéreuses du col, mais qui ne représentent pas 100 % des lésions.
La vaccination ne va donc pas remplacer le dépistage ?
Non, elle va le compléter. Rappelons que, en France, le dépistage est une démarche individuelle. Le chiffre de 6 100 000 frottis réalisés annuellement, satisfaisant en soi, masque en fait une situation très contrastée. A côté d'une certaine proportion de femmes qui effectuent un frottis annuel, quand un frottis tous les trois ans est jugé suffisant, environ 40 % de la population féminine reste mal ou non suivie. Parallèlement à une meilleure répartition du dépistage, qui reste absolument nécessaire, la vaccination se présente comme une nouvelle composante du dispositif. Son impact sur les quelques 3 400 cancers invasifs diagnostiqués chaque année sera probablement relativement long à se faire sentir. On attend, en revanche, une diminution rapide du taux de frottis anormaux chez les femmes vaccinées. Cette diminution pourrait être de l'ordre de 50 % si la couverture vaccinale est bonne.
Quelle est la meilleure stratégie de vaccination pour atteindre ce résultat ?
Pour comprendre le problème, il faut rappeler deux données. Premièrement, la contamination par le virus HPV intervient surtout lors des premières années de la vie génitale, avec un pic entre 15 et 25 ans. Il est probable que l'immaturité anatomopathologique et l'état hormonal favorisent la pénétration du virus.
Deuxièmement, la vaccination n'a d'efficacité que préventive. Chez un sujet déjà infecté, elle n'aura pas d'impact sur l'histoire naturelle de la maladie.
Pour ces deux raisons, l'objectif de santé publique est que les jeunes filles soient effectivement vaccinées à l'âge de 15 ans. Le problème est que pour atteindre cet objectif, les recommandations françaises actuelles sont loin d'être idéales. Elles préconisent en effet une vaccination à 14 ans, et, le cas échéant, un rattrapage entre 15 et 23 ans, chez les jeunes filles qui ne sont pas encore sexuellement actives, ou le sont depuis moins d'un an. La fenêtre théorique de vaccination, 12 mois, est particulièrement étroite. Elle correspond en outre à une sorte d'entre-deux, où les patientes ne sont plus suivies par le pédiatre, et pas encore par le médecin généraliste. On peut donc craindre que le rattrapage ne devienne trop souvent la norme. Chez des jeunes filles sensibilisées à la contraception et à leur propre santé en général, via la presse féminine, ce rattrapage sera plus facile à mettre en œuvre. Malheureusement, dans nombre de cas, il arrivera trop tard.
Quelles sont les solutions préconisées ?
Dernièrement, un rapport de l'Académie de médecine a préconisé de vacciner plus tôt, en s'adressant à une tranche d'âge plus large. Rappelons que certains pays recommandent déjà la vaccination chez les 9-15 ans. On peut discuter cet intervalle, mais il est de toute façon souhaitable de disposer d'une marge de manœuvre plus importante.
Le rapport de l'Académie de médecine n'a toutefois pas suffi à remettre en question les recommandations. Il est possible qu'une réévaluation intervienne d'ici à deux-trois ans, si, comme on peut le craindre, la France se retrouve avec un taux de couverture vaccinale inférieur à celui de pays comparables. Mais en attendant, il faut optimiser ce qui existe.
En pratique, on ne peut espérer de résultats que si les professionnels eux-mêmes sont convaincus. D'une manière générale, les pédiatres sont de fervents partisans de la vaccination. Quant aux gynécologues, le cancer du col, pour eux, n'est pas une abstraction. Mais, hormis les jeunes filles qui ont la bonne idée de les consulter pour une contraception avant de débuter leur activité sexuelle, ils ne voient que rarement des patientes de 14 ans. Leur rôle consiste donc surtout à sensibiliser les mères.
Reste les généralistes, qui se retouvent au cœur du dispositif. A nous, spécialistes, de leur expliquer que la vaccination contre le HPV est importante, et qu'il ne faut pas manquer le rendez-vous dès 14 ans.
Les problèmes rencontrés par la vaccination contre le VHB pèsent-ils encore sur les pratiques ?
Il est probable que oui, car la population reste imprégnée d'une histoire qui, encore récemment, a fait les gros titres de journaux. Le corps médical français, lui, reste très majoritairement acquis à la vaccination. Mais entre la réponse positive donnée à un questionnaire et la démarche de promotion active d'un vaccin au cabinet, il y a une marge. Et elle est d'autant plus importante que l'on sait que la proposition de vaccin risque d'être mal perçue. Il faut donc convaincre les généralistes qu'il est important de convaincre.
A plus longue échéance, on peut espérer que le bilan de santé à l'adolescence, déjà expérimenté dans certains départements, finira par s'imposer partout en France. Le principe d'un bilan structuré permettrait de recadrer bien des choses, en particulier la cohérence du calendrier vaccinal, le rôle des médecins, généralistes ou spécialistes, et jusqu'aux idées fausses dans la population.
D'après un entretien avec le Pr Philippe Judlin (gynécologue-obstétricien, CHU de Nancy).
Symposium « Actualités en vaccinologie : l'adolescence, un rendez-vous vaccinal à ne pas manquer ».
Première partie : « Un nouveau vaccin contre le cancer du col de l'utérus : le rôle essentiel du médecin généraliste ».
Modérateur : Pr Philippe Judlin, avec le Pr Pierre Cousaget (Tours), le Dr Roman Rouzier (Paris) et le Dr Pierrick Lozac'h (Bonnemain). Session parrainnée par le Laboratoire GlaxoSmithKline.
Jeudi 20 mars, 11 h 30-13 heures. Code C17.
Pour s'inscrire : www.lemedec.com ou secretariat<<\\>@>lemedec.com
Renseignements : 02.38.90.80.06.
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