EN FRANCE, la publication récente de Hubert Allemand et coll. (« Bull Cancer » 2008 ; 95 : 11-5) fondée sur les déclarations à la CNAM des prises en charge pour ALD (100 %) correspondant aux cancers du sein, suggère également et pour la première fois, une diminution de l'incidence du cancer du sein de - 6,0 % (p < 0,001) entre 2004 et 2005 et de - 5,3 % (p < 0,001) entre le 1er semestre 2005 et le 1er semestre 2006. Cette diminution fait suite à une augmentation de l'incidence d'environ 13 % (2,5 %/an) observée entre 2000 et 2005. Les auteurs, s'ils évoquent la possible responsabilité de la diminution des prescriptions du THM, de l'ordre de 62 % entre 2002 et 2006, discutent aussi la part du dépistage dans ces variations.
Les variations du dépistage.
Il est en effet tentant de considérer qu'une baisse d'incidence d'un cancer puisse être liée à la diminution d'un facteur de risque de ce cancer ; d'où la mise en relation avec la baisse drastique d'utilisation des THM en Europe et aux Etats-Unis. Il est néanmoins toujours périlleux en épidémiologie, dite temporelle, d'établir un lien direct de causalité entre les variations d'incidence d'une pathologie, d'une part, et les modifications d'habitude de prescription, d'autre part. De plus, comme cela est souligné par le rapport de l'INVS (2) et l'excellent texte de l'IARC (3) sur les causes des cancers en France, outre la variation des facteurs de risque, qui d'ailleurs sont multiples dans la genèse du cancer du sein, les variations du dépistage peuvent être directement impliquées dans l'incidence d'un cancer. La publication de Zahl et Maehlen (4) concernant les cancers du sein en Norvège confirme les données d'Allemand et coll. avec une augmentation rapide des cancers dans les premières années de la mise en place du dépistage, puis une diminution suivie d'une stabilisation de l'incidence.
De plus, ces auteurs soulignent qu'en Suède et en Norvège, où le dépistage organisé existe depuis de longues années et est relativement stable, aucune variation de l'incidence des cancers du sein n'a été observée de manière récente. Plusieurs études ont également souligné qu'aux Etats-Unis, la baisse de fréquence des cancers du sein pourrait être associée à des variations de l'efficacité du dépistage, avec une baisse de l'observance au dépistage, ou à une «saturation du dépistage» (3,4).
De fortes variations du dépistage ont eu lieu ces dernières années en France, avec la mise en place depuis 2000 du dépistage organisé. Ce dépistage survient en complément d'un dépistage spontané, qui touche une bonne partie de la population, mais dont étaient exclues surtout les femmes âgées et rurales. Comme le soulignent Allemand et coll., grâce à une plus grande généralisation du dépistage, la proportion de femmes parmi les plus âgées qui y ont accès est passée de 45 % à 75 % pour les femmes entre 65 et 69 ans et de 30 % à 58 % pour celles entre 70 et 74 ans. Il est donc plus que vraisemblable que l'augmentation de l'incidence des cancers du sein entre 2000 et 2004 ait été liée au diagnostic des femmes non dépistées jusque-là, ce qui peut avoir contribué à créer ultérieurement une baisse relative des cancers diagnostiqués, pouvant expliquer en partie la baisse observée depuis 2005. De plus, la baisse de prescription des THM, compte tenu des premières publications des résultats de l'étude HERS en 1998 et de la WHI en 2002, avait débuté en France dès 2003 et il n'est pas possible d'affirmer la seule responsabilité de ces arrêts de THM dans l'amorce de diminution de l'incidence des cancers du sein observée actuellement en France. L'âge du diagnostic des cancers entre 2000 et 2005 devrait permettre de répondre à cette question, ainsi que les stades des cancers diagnostiqués. Un des effets du dépistage est, en effet, de diminuer le diagnostic des cancers évolués et d'augmenter la proportion des cancers localisés et in situ, comme cela l'a été montré récemment par Jemal et coll. (6).
Les amalgames et versions simplifiées.
En conclusion, le GEMVI attire l'attention sur les effets néfastes de campagnes de presse sans nuance auxquelles sont soumises les femmes françaises. Les amalgames et versions simplifiées n'ont jamais rendu service à l'information scientifique. Il n'est pas question ici de nier la possibilité d'une certaine relation entre la diminution de l'incidence des cancers du sein et la moindre utilisation actuelle des THM. Néanmoins, en l'absence de données complémentaires, il est nécessaire d'être prudent dans l'interprétation des fluctuations d'incidence. Dans tous les cas, une évaluation soigneuse, au plan individuel pour chaque femme, de la balance risque-bénéfice du THM doit rester la règle avant toute prescription, comme d'ailleurs pour n'importe quel traitement.
Références :
(1) H. Rochefort, J. Rouesse. Cancers du sein, incidence et prévention. Rapport de l'Académie de médecine du 8 janvier 2008.
(2) Incidence observée dans les départements couverts par les registres Francim entre 1978 et 2002, site de l'InVS (http://www.invs.sante.fr) et « Revue d'épidémiologie et de santé publique » 2008, sous presse.
(3) Attributable Causes of Cancer in France in the year 2000. IARC (http://www.iarc.fr/IARCPress/pdfs/francecancer2000/index.php).
(4) Zahl et Maehlen, « New England Journal of Medicine », 2007 ; 357 ; 510.
(5) Glass et al., Journal of the National Cancer Institute, 2007 ; 99 : 1152-61.
(6) Li & Daling, Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2007 ; 16 : 2773-80.
(7) Jemal et al., « Breast Cancer Res Treat » 2007 ; 9 : R28.
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