Tabac et expression des gènes

Des altérations persistent après vingt ans d'abstinence

Publié le 25/02/2008
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LA FUMÉE de cigarette ne se contente pas d'encrasser les alvéoles pulmonaires et d'endommager les chromosomes : une étude américaine révèle que le tabagisme entraîne également des modifications significatives du niveau d'activité de dizaines de gènes. Ces altérations persistent plusieurs décennies après l'arrêt du tabac et jouent visiblement un rôle majeur dans la survenue des cancers pulmonaires du fumeur. La découverte de ce phénomène pourrait conduire au développement de nouvelles stratégies thérapeutiques antitumorales ciblées, destinées aux fumeurs et aux repentis de la cigarette.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la nature précise des mécanismes par lesquels le tabagisme conduit au développement de cancer pulmonaire était jusqu'ici assez mal comprise. S'il a pu être établi que la fumée de cigarette contient de nombreuses substances capables d'endommager l'ADN, il restait à déterminer comment les lésions ainsi produites favorisaient la transformation de cellules saines en cellules cancéreuses.

Chez des fumeurs, des ex-fumeurs, des non-fumeurs.

Landi et coll. ont décidé de s'attaquer au problème en étudiant l'activité du génome de cellules d'adénocarcinomes pulmonaires de bas grade prélevés chez des fumeurs, des anciens fumeurs et des patients n'ayant jamais fumé. L'utilisation de puces à ADN a permis aux chercheurs de mesurer le niveau d'expression d'environ 13 000 gènes dans chaque type de cellules analysées.

Lors d'une première série d'expériences, l'équipe américaine a comparé l'activité des gènes de cellules tumorales de fumeurs et de non-fumeurs. Il est alors apparu que les cellules tumorales des deux groupes de patients pouvaient facilement être différenciées par leur signature génétique : Landi et coll. ont identifié plus d'une centaine de gènes dont le niveau d'expression est spécifique aux cellules tumorales des fumeurs. Parmi ces gènes, 54 sont surexprimés et 81 sont sous-exprimés. La plupart des gènes surexprimés chez les fumeurs sont impliqués dans la régulation du cycle cellulaire, des gènes dont la dérégulation est bien connue pour induire la transformation tumorale. Ceux qui sont sous-exprimés codent quant à eux le plus souvent pour des protéines qui participent aux processus d'adhésion cellulaire et d'arrêt du cycle cellulaire.

Landi et coll. ont ensuite analysé l'expression génétique des cellules tumorales d'anciens fumeurs. La signature génétique associée à ces cellules s'est révélée bien plus proche de celles des fumeurs que de celle des patients qui n'ont jamais fumé. En d'autres termes, les modifications du programme génétique associées au tabagisme ne disparaissent pas toutes à l'arrêt du tabac. Même après vingt ans d'abstinence, on retrouve chez les anciens fumeurs une dérégulation significative de l'expression de gènes essentiels au contrôle de la division cellulaire.

Altérations du programme d'expression génétique.

Plusieurs de ces altérations du programme d'expression génétique sont en outre également présentes dans le tissu pulmonaire sain de patients fumeurs. Les données recueillies par Landi et coll. suggèrent que leur présence est associée à une augmentation d'un facteur 3 du risque de mortalité par cancer pulmonaire.

L'ensemble des résultats présentés par l'équipe américaine devra évidemment être confirmé par des études complémentaires, conduites sur d'autres cohortes de patients. Cependant, les données obtenues au cours de ce travail sont suffisamment convaincantes pour que démarrent dès à présent des recherches visant à découvrir comment rétablir un niveau d'expression physiologique des gènes dont l'activité est déréglée par le tabac.

M.T. Landi et coll., « PLoS One », février 2008, vol. 3, e1651.

> ELODIE BIET

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8319