De notre correspondante
LES RÉSULTATS à long terme des transplantations d'organes demeurent insatisfaisants du fait du rejet chronique et des complications de l'immunosuppression (infections et cancers). Une voie de recherche prometteuse pour résoudre ces problèmes consiste à induire chez le receveur une tolérance immune spécifique vis-à-vis de l'organe. Le receveur ne reconnaîtrait pas l'organe transplanté comme étranger et ne développerait pas de réaction immunitaire contre les antigènes du donneur, mais il resterait immunocompétent face à tous les autres antigènes présentés et conserverait donc ses fonctions de défense contre les infections et les tumeurs.
Une telle tolérance immune a pu être obtenue dans des modèles animaux, mais les tentatives chez l'homme ont été décevantes.
Des avancées cliniques sont rapportées dans le « New England Journal of Medicine », notamment par l'équipe du Dr David Sachs (Massachusetts General Hospital, Charlestown), renommée pour ses travaux dans ce domaine.
En 1989, Sachs et son équipe parvenaient à induire une tolérance aux allogreffes chez la souris, grâce à la transplantation dans un premier temps de cellules souches hématopoïétiques du donneur d'organe, créant ainsi chez le receveur une chimère mixte où coexistent les hématopoïèses du donneur et du receveur.
Une greffe de moelle et un rein d'une soeur.
En 1998, l'équipe employait pour la première fois cette approche chez une femme dont l'insuffisance rénale était causée par un myélome multiple, cancer susceptible d'être traité par greffe de moelle osseuse (MO). La patiente avait reçu à la fois une greffe de moelle et un rein d'une soeur HLA-compatible. L'obtention d'une tolérance immune avait permis d'arrêter le traitement immunosuppresseur au bout de 2 mois. Elle demeure en bonne santé plus de 9 ans après.
Depuis, l'équipe a renouvelé ce succès chez six autres patients atteints de myélome et receveurs d'un rein HLA compatible.
A présent, l'équipe du Dr David Sachs a étendu cette approche à 5 patients (âgés de 22 à 46 ans) qui ont reçu un rein HLA incompatible (incompatibilité pour un haplotype HLA et donné par un membre de la famille).
Alors que l'incompatibilité HLA est l'une des barrières immunologiques les plus difficiles en transplantation, 4 des 5 patients enrôlés dans l'étude conservent une bonne fonction de l'allogreffe rénale de 2 à 5 ans après l'arrêt du traitement immunosuppresseur.
«Nous sommes très encouragés par ce succès initial dans l'induction d'une tolérance à travers la barrière HLA», commente dans un communiqué le Dr Sachs, directeur du centre de recherche biologique de transplantation du MGH qui a dirigé ce travail. «C'est la première fois qu'une tolérance a été induite de façon délibérée et avec succès dans une série de transplantations incompatibles», souligne-t-il.
Il prévient toutefois qu'il sera nécessaire d'étudier cette approche dans un groupe plus important de patients avant de pouvoir l'employer couramment en clinique. L'équipe envisage de conduire une nouvelle étude portant sur 20 autres patients.
Dans un environnement relativement stérile.
Le protocole expérimental de Kawai, Sachs et coll. comprend un conditionnement non-myéloablatif (cyclophosphamide IV, anticorps monoclonal humanisé anti-CD2, cyclosporine A et irradiation thymique) destiné à détruire seulement partiellement la MO du receveur et réduire son taux de cellules T. Puis le patient reçoit la transplantation rénale et la greffe de MO du donneur (par voie intraveineuse). Il demeure dans un environnement relativement stérile pendant environ 2 semaines, le temps de régénérer sa MO et de produire de nouvelles cellules immunes qui seront tolérantes à l'organe transplanté.
Ce protocole a été révisé après qu'un patient, le troisième traité, eut rejeté la greffe (il a reçu ensuite avec succès une seconde greffe sous traitement immunosuppresseur conventionnel). Ce rejet étant de nature humorale, provoqué par ses cellules B, le protocole a été modifié pour inclure le rituximab (un anticorps ciblant les cellules B) et de la prednisone. Il a été administré aux 4e et 5e patients.
Quatre des 5 patients ont pu arrêter le traitement immunosuppresseur de 9 à 14 mois après la transplantation de rein HLA incompatible et leur fonction rénale est restée stable pendant les 2 à 5 ans de suivi.
Le macrochimérisme a été transitoire.
Le mécanisme responsable de cette tolérance n'est pas complètement compris et fait l'objet de recherches. Le macrochimérisme chez les 4 patients n'a été que transitoire, malgré la tolérance persistante vis-à-vis de l'organe transplanté. Selon les chercheurs, la tolérance pourrait initialement être induite par un mécanisme de délétion centrale (élimination dans le thymus des cellules réagissant à l'antigène du donneur), puis, dans un second temps, être maintenue par un mécanisme périphérique incluant des cellules T régulatrices.
Dans une autre étude, Scandling, Strober et coll. (université de Stanford, Californie) décrivent un patient ayant reçu un rein d'un frère HLA identique, accompagné d'une greffe des cellules souches hématopoïétiques de ce même donneur deux semaines plus tard.
Un conditionnement comprenant une irradiation lymphoïde totale et des globulines antithymocytes de lapin (injectées par voie intraveineuse), débuté le jour de la transplantation rénale, a permis la prise de greffe des cellules hématopoïétiques du donneur.
Un état de chimérisme mixte permanent s'est développé. La tolérance due à la cotransplantation des cellules souches a permis d'arrêter le traitement immunosuppresseur (cyclosporine et prednisone) après 6 mois. Une bonne fonction rénale se maintient 3 ans après la transplantation.
Le troisième rapport, dû à Alexander et coll. (Sydney, Australie), concerne une petite fille de 9 ans qui a reçu un foie totalement HLA incompatible d'un donneur décédé, mais n'a reçu aucune greffe de cellules souches du donneur.
Cette petite fille avait eu une hépatite virale fulminante (non A-G) et la transplantation hépatique avait été effectuée en urgence à partir d'un donneur de 12 ans décédé d'une lésion cérébrale.
Après la transplantation hépatique.
Une profonde lymphopénie, causée par l'infection virale et le traitement immunosuppresseur (tacrolimus, méthylprednisolone et azathioprine), a persisté pendant 6 mois après la transplantation.
Les leucocytes du greffon ont remplacé largement ceux de la fillette. En plus de la présence des chromosomes masculins dans les leucocytes sanguins de la patiente, son Rhésus négatif s'est converti en Rhésus positif du donneur.
Une anémie hémolytique sévère s'est développée 10 mois après la greffe. Elle a été attribuée aux anticorps anti-Rhésus produits par ses cellules B résiduelles contre les globules rouges Rhésus positifs du donneur. Cela a incité son médecin à interrompre progressivement le traitement immunosuppresseur, afin que les cellules hématopoïétiques du donneur éliminent toutes les cellule B résiduelles du receveur. Il en a résulté non seulement la disparition de l'anémie hémolytique, mais aussi la conservation du greffon sans traitement immunosuppresseur. Cinq ans après la transplantation, dont 4 ans sans traitement immunosuppresseur, la fillette est en bonne santé et conserve une fonction hépatique normale.
La plus faible dose possible d'immunosuppresseurs.
Dans un éditorial, le Pr Thomas Starzl (université de Pittsburgh) rappelle que deux principes d'immunosuppression ont été recommandés pour parvenir à l'indépendance du traitement immunosuppresseur : le prétraitement du receveur et l'administration de la plus faible dose possible d'agents immunosuppresseurs après la transplantation.
«Au moins l'un des deux principes a été appliqué dans le traitement des patients décrits dans les trois articles, soit de façon fortuite, soit dans le cadre d'un traitement planifié… Peut-être sera-t-il possible d'obtenir systématiquement une prise durable de greffe d'organe avec un besoin minime, voire l'absence totale, d'une immunosuppression au long cours. Pour cela, il faudra simplement une immunothérapie à la bonne dose et au bon moment, avec ou sans aide des cellules souches hématopoïétiques adjuvantes.»
« New England Journal of Medicine », 24 janvier 2008, p. 353 Kawai et coll., p. 362 Scandling et coll., p. 369 Alexander et coll. et p. 407 Thomas Starzl.
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