La fibromyalgie

Sous l'angle psychiatrique

Publié le 05/12/2007
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Par le Dr NICOLAS DANTCHEV*

CE SYNDROME douloureux n'est généralement pas isolé. S'y associent fréquemment une fatigue, des troubles du sommeil et divers autres symptômes fonctionnels, douloureux ou non. La comorbidité avec les troubles psychiatriques est importante, en particulier les troubles anxieux et la dépression (20 % de comorbidité dépressive actuelle et deux tiers de patients ayant présenté des antécédents de dépression). De plus, des facteurs de stress semblent jouer un rôle dans l'installation de la plainte douloureuse. Des antécédents de maltraitance ou d'abus sexuels ont été incriminés. Les fibromyalgiques se décrivent par ailleurs, souvent comme des individus jadis hyperactifs, profil battu en brèche par la limitation fonctionnelle consécutive au syndrome douloureux chronique.
La fibromyalgie est souvent considérée comme un diagnostic psychiatrique. A ce titre, elle renvoie essentiellement à deux entités, le trouble somatoforme et la dépression.
Le qualificatif de « somatoforme » désigne un ensemble de symptômes, syndromes ou plaintes de type physique ou qui concernent la santé physique et pour lesquels aucune anomalie organique identifiable de type lésionnel ne peut être incriminée. Une telle catégorie diagnostique implique un niveau significatif de retentissement du trouble, la non-imputabilité du trouble à un autre trouble mental caractérisé et une participation psychologique à l'étiopathogénie du trouble. Si, en psychiatrie, on parle de « troubles somatoformes », en médecine, on préfère encore recourir aux termes de « symptômes fonctionnels » ou de « symptômes médicalement inexpliqués », termes dont les définitions sont proches, sans toutefois se superposer. Ces dénominations se réfèrent en effet à des symptômes somatiques présentés par un patient, non explicables par une organicité sous-jacente, du moins dans l'état actuel des connaissances médicales.
Parmi les troubles somatoformes figure le « trouble douloureux ». Cette dénomination du DSM-IV (et la dénomination proche de la CIM-10 « syndrome douloureux somatoforme persistant ») désigne la présence de douleurs, dans le déclenchement, l'intensité, l'aggravation ou la persistance desquelles des facteurs psychologiques jouent un rôle important.
La dépression est le second cadre nosographique psychiatrique susceptible de concerner les patients fibromyalgiques. La fréquence des symptômes douloureux dans la dépression a pendant longtemps été sous-estimée, l'accent ayant été davantage porté sur les symptômes liés à l'humeur. Des études épidémiologiques récentes ont montré que les symptômes douloureux concerneraient plus de 50 % des patients déprimés. Le poids respectif des signes somatiques par rapport aux signes cognitifs et affectifs de la dépression dépendrait de différents facteurs, comme le sexe et la culture d'appartenance. Sur le plan thérapeutique, on sait également que l'importance des manifestations somatiques est un facteur prédictif du retard à la réponse au traitement antidépresseur.
Il existe des liens entre troubles dépressifs et troubles somatoformes, ce qui rend la question encore plus complexe. On retrouve ainsi une importante comorbidité entre les deux troubles et, de plus, ces derniers sont susceptibles de répondre favorablement à un traitement antidépresseur.
Quel que soit le diagnostic, le psychiatre est rarement le premier interlocuteur des patients fibromyalgiques. La plupart, sinon la totalité, des patients souffrant de symptômes somatiques fonctionnels consultent en effet en première ligne des généralistes ou des spécialistes non psychiatres, et beaucoup d'entre eux se montrent sceptiques, voire réticents, à l'idée d'une possible nature psychologique et encore plus d'une origine psychologique de leur trouble. De ce point de vue, il convient d'éviter de polémiquer entre organogenèse et psychogenèse, mais, au contraire, de légitimer la plainte, d'évaluer le retentissement des symptômes, tout en contrôlant la « médicalisation ». Il faut également repérer les comorbidités, notamment dépressives et anxieuses. L'enjeu est de mettre en place une prise en charge thérapeutique multidisciplinaire où tous les acteurs sauront rester modestes dans leurs ambitions thérapeutiques.

* Psychiatre, Hôtel-Dieu, Paris.

DANTCHEV Nicolas

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8272