De notre envoyée spéciale à la Réunion
«DU FAIT de la flambée épidémique de chikungunya depuis 2005-2006, la question des cas importés en métropole ne peut plus être éludée. Depuis 2006, cette pathologie fait l'objet d'une déclaration obligatoire et les laboratoires d'analyses médicales transmettent de façonhebdomadaire à l'InVS les cas diagnostiqués biologiquement», analyse Martine Legrans, épidémiologiste au département international et tropical. Au cours de l'année 2006, 784 cas de chikungunya ont été confirmés sur le territoire métropolitain. Entre le 1er janvier et le 30 septembre 2007, 58 nouveaux cas ont été signalés. Toutes les régions ont été concernées, mais celles qui accueillent de façon habituelle des voyageurs en provenance des Comores, de la Réunion et de Mayotte (PACA et Ile-de-France) ont connu le taux d'infection le plus significatif. Chaque année, 580 000 personnes vivant en métropole se rendent vers l'une des destinations de l'océan Indien touchées par le chikungunya. Pour Martine Legrans, «il existe un risque constant d'implantation du chikungunya en métropole, d'autant plus que la plupart des cas importés se concentrent dans la région PACA où Aedes albopictus étend régulièrement son territoire (“le Quotidien” du 16 novembre 2007) . Seul un système performant de surveillance –s'appuyant sur le signalement anticipé des cas suspects avant confirmation biologique– permettra des mesures réactives multidisplinaires (sanitaires et entomologiques) afin de limiter le risque d'épidémie autochtone».
Développer un vaccin atténué.
L'INSERM coordonne actuellement un consortium afin de reprendre le développement interrompu d'un vaccin mis au point il y a vingt ans par l'armée américaine sur une souche thaïlandaise isolée en 1962. Après une requalification des stocks de virus conservés et la préparation de doses vaccinales, des premiers essais animaux ont eu lieu. Un essai prospectif monocentrique randomisé en double aveugle ayant pour objet principal de confirmer l'immunogénicité humorale du candidat vaccin chez des volontaires sains est prévu en France métropolitaine en 2008.
Deux modèles animaux.
Pour mieux comprendre la physiopathologie du chikungunya, deux modèles animaux ont été imaginés. En premier lieu, le singe macaque chez qui les réactions immunitaires sont similaires à celles observées chez l'homme. L'autre modèle (équipe Dr C. Schilte, INSERM U818, Institut Pasteur) fait appel à des souris déficientes pour le récepteur de l'interféron alpha. En effet, l'infection par le virus induit chez les patients une forte production d'interféron alpha et de gènes induits par cette cytokine. Les souris chimères ayant un fond IFNAR –/– et une moelle osseuse IFNAR +/+ sont sensibles à l'infection, alors que celles ayant un fond INFAR + /+ et une moelle osseuse INFAR –/– sont résistantes. Ces observations indiquent que les cellules non hématopoïétiques sont les principales sources et cellules réceptrices de l'interféron alpha. Par ailleurs, les fibroblastes apparaissent comme la principale cible cellulaire du virus suggérant que ces cellules seraient les principales responsables de la production initiale de l'interféron.
Les connaissances physiopathologiques.
L'étude de la réponse inflammatoire cellulaire et moléculaire effectuée par le Dr J.-J. Hoarau (Saint-Gilles) a permis de préciser que l'immunité innée joue un rôle majeur par le biais de l'activation des cellules NK durant la phase aiguë de la maladie associée à une production de cytokines antivirales (INF alpha et IL12). La réponse immune innée s'accompagne d'une activation modérée des lymphocytes T et plus marquée des lymphocytes B, avec un profil inflammatoire (IL4 et IL10) capable de stimuler la réponse humorale.
Les formes anatomopathologiques.
L'analyse des biopsies cutanées effectuée par l'équipe du Dr M. Huerre (Paris) a permis de mieux comprendre des phénomènes physiopathologiques impliqués dans les différents tissus prélevés.
Peau : outre les dermites pseudo-bulleuses, il existe des hypodermites nécrosantes, des réactions épithéloïdo-gigantocellulaires et des nécroses borelliose-like. En période périnatale, les toxidermies bulleuses prédominent.
Rein : il existe des lésions de tubulopathie aiguë associées dans certains cas avec une atteinte immuno-allergique. Des signes de cytopathie virale ont aussi été détectés : cellules géantes tubulaires, decoy cells urinaires.
Foie : des formes d'hépatite nécrosante ont été décrites de façon parfois submassive. Des nécroses péricentrolobulaires associées à une hépatite modérée ont aussi été signalées.
Placenta et foetus : aucune villite placentaire n'a été décrite. En revanche, le foetus peut présenter des lésions inflammatoires lymphomonocytaires au niveau du cerveau, des méninges, des muscles, du coeur.
Muscle : il peut exister un syndrome myositique marqué ou, dans les cas les moins graves, de simples lésions dystrophiques.
Synoviale : la présentation la plus commune est celle d'une synovite lymphocytaire sans nécrose ni prolifération synoviocytaire.
Ganglions : il existe des lésions réactionnelles banales.
Les résultats négatifs de l'étude Curachik.
En mai 2005, un essai curatif fondé sur l'utilisation de chloroquine a été mis en place par le Pr Xavier de Lamballerie. Mais en raison de la phase décroissante de l'épidémie, seulement 54 cas avérés et 15 patients chez qui la sérologie n'a pas confirmé l'existence d'une infection ont été inclus dans l'étude, au lieu des 125 initialement prévus. A l'issue du traitement, il n'existait pas de différence significative sur la durée de l'épisode fébrile et sur l'intensité des arthralgies entre les deux groupes.
« Chikungunya et autres arboviroses en milieu tropical », un colloque organisé par l'InVS et la CRVOI.
Le rôle du fibroblaste
Les fibroblastes du tissu synovial, mais également les myoblastes, apparaissent comme les cellules cibles privilégiées du virus du chikungunya. L'infection concourt rapidement à une mort cellulaire par apoptose associée à une activation des capsases et des PARP. L'équipe du Dr Jaffar-Bandjee (Saint-Denis) a étudié le rôle de l'immunité innée et notamment de TLR7 impliqué dans la reconnaissance de l'ARNss viral qui induit une réponse inflammatoire aboutissant à la synthèse d'interféron alpha, de cytokines (IL1 et IL6), de chimiokines (IL8 et MCP-1) et de protéines du complément (C3, C4).
L'infection des fibroblastes par le virus provoque l'activation des voies mitochondriales et extrinsèques de l'apoptose. Cette seconde voie, dite des « récepteurs de la mort », suggère qu'un probable mécanisme auto- ou paracrine est induit par la présence du virus. Ce dernier peut persister dans des corps apoptotiques des fibroblastes et infecter de nouveaux fibroblastes. Ce qui pourrait expliquer les formes cliniques à rechute.
Quel sera le prochain virus ?
Le Dr Jean-François Saluzzo a travaillé avec l'institut Pasteur de Bangui, en collaboration avec l'IRD, entre 1970 et 1990 à la caractérisation des arbovirus de la région. Au total, 84 espèces d'arbovirus, dont 39 nouvelles ont été recensées. Trois d'entre elles ont été déjà importées en Europe par le biais des oiseaux migrateurs : Sindis (Scandinavie), West Nile (Etats-Unis et Europe) et Usutu (Autriche). Des données révèlent la diversité des narbovirus en Afrique et leur capacité à infecter l'homme. Pour le Dr Saluzzo, l'un des principaux risques, outre la fièvre jaune, le West Nile et la fièvre de la vallée du Rift, pourrait venir du virus Orungo à l'origine d'une fièvre importante et dont l'incidence est estimée entre 20 et 50 % dans les pays endémiques. Ce virus est transmis par voie transovarienne à sa descendance chez le vecteur ( Aedes, Culex et Anopheles) et, comme dans le cas de la grippe, son génome évolue rapidement. Mais d'autres virus pourraient aussi être impliqués : Igbo Ôra, Sindbis, Babanki, Usutu, Koutango, Zika, Ilesha, Bwanba...
> Chikungunya à la Réunion : la vigilance reste de mise (05/12/07)
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