Anatomie fonctionnelle

Apport de la neuro-imagerie à la schizophrénie

Publié le 05/12/2007
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Par le Dr RAPHAËL GAILLARD*

PLUSIEURS AUTEURS ont posé comme postulat qu'une des caractéristiques fondamentales des troubles schizophréniques serait la perturbation fonctionnelle des processus d'intégration corticaux, causée par des anomalies de la connectivité à longue distance cortico- corticale et cortico-sous-corticale. Ainsi, ces anomalies de connectivité seraient à l'origine d'une perturbation de l'intégration temporelle entre plusieurs régions cérébrales éloignées – Andreasen parle de « dysmétrie cognitive » (1). Cette dysconnectivité correspond en imagerie fonctionnelle à la mise en évidence de corrélations anormales entre les activités cérébrales de différentes régions. De nombreuses études en TEP et en IRM fonctionnelle ont ainsi montré une corrélation anormale entre les activités frontale et temporale. Parmi les brillants pionniers de ces approches, Frith a postulé qu'une dysconnection fonctionnelle fronto-temporale pouvait être à l'origine de l'attribution erronée d'une activité auditive d'origine interne à une origine externe (2). En d'autres termes, lorsque le sujet parle à voix haute ou intérieurement (pensées), il doit exister une coopération entre les régions sensorielles auditives et les régions organisant la production du langage (cortex frontal et cortex cingulaire).

Cette coopération consiste notamment en une inhibition des régions corticales sensorielles auditives par ces régions fronto-cingulaires. En quelque sorte, ces régions doivent être « averties » que les stimuli auditifs perçus ne proviennent pas d'une source extérieure, mais émanent du sujet lui-même. Frith postule qu'une action, quelle qu'elle soit, est évaluée à chaque instant de son déroulement par une comparaison des afférences sensorielles aux anticipations prédites par le « programme initial » et que cette action peut de fait être corrigée à chaque instant. Ce processus de contrôle de l'action serait perturbé dans la schizophrénie, notamment du fait d'anomalies des connexions à longue distance. En conséquence de ces anomalies, le sujet schizophrène serait gêné dans la prise de conscience de ses actions, notamment concernant leur intentionnalité : le patient attribuerait des stimuli d'origine interne (par exemple, ses pensées propres ou les afférences proprioceptives qu'il reçoit de son mouvement volontaire) à une cause extérieure (pensées ou mouvements imposés par une « force » extérieure). L'hallucination auditive correspondrait à cette erreur d'attribution. Il est intéressant de noter dans cette perspective que, chez un schizophrène, l'aire de Wernicke est d'autant moins activée par la perception d'une phrase que les hallucinations auditives sont nombreuses – cf. figure : l'activité cérébrale auditive est d'autant moins grande que les scores sont élevés sur l'échelle PSYRATS (3).

D'autres études ont également mis en évidence cette dysconnection fonctionnelle au niveau d'aires cérébrales différentes : notamment fronto-pariétale, fronto-hippocampique et fronto-cérébelleuse.

De récentes études utilisant des techniques d'enregistrements électro-encéphalographiques sont également en faveur des mêmes hypothèses : elles montrent des anomalies de synchronisation dans les aires sensorielles. Ainsi, les études de neuro-imagerie mettent en évidence une perturbation de la connectivité entre différentes régions cérébrales nécessaire à la réalisation harmonieuse de tâches cognitives impliquant la coordination temporelle fine de ces régions.

Pour certains auteurs, cette dysconnectivité aurait pour conséquence la perturbation des processus nécessitant une intégration consciente contrastant avec la préservation de certaines fonctions plus automatiques (4). Ce déficit de coordination perturberait l'intégration consciente, en entravant l'élaboration d'un percept et son partage avec l'ensemble des structures cérébrales permettant sa manipulation : transformation, mémorisation, utilisation stratégique notamment. Il a ainsi été mis en évidence un déficit de mémoire explicite dans la remémoration consciente contrastant avec la préservation de la mémoire automatique implicite (5). Les perturbations de la conscience dans ses aspects supérieurs (self, conscience de soi, intentionnalité) pourraient également être la conséquence de ce déficit d'intégration consciente. Ainsi, l'expérience hallucinatoire serait la conséquence de ce déficit d'intégration : faute de pouvoir intégrer l'activité sensorielle auditive, le patient attribuerait à autrui cette activité. Les productions délirantes permettraient quant à elles de tisser un lien entre ces différents phénomènes et d'en organiser le récit.

Cette vision théorique des neurosciences cognitives, et les résultats expérimentaux de neuro-imagerie qui la sous-tendent, constituent un écho lointain aux écrits de Bleuler concernant la dissociation : symptôme cardinal des schizophrénies, elle déterminerait les signes primaires de la maladie, les signes secondaires (hallucinations, délire) résultant de l'interaction entre le psychisme dissocié et l'expérience de la réalité. L'avenir dira si cette vision théorique est balayée par la découverte d'une anomalie cérébrale focale commune aux schizophrénies, ou si, au contraire, la multiplication et la diversité des résultats encouragent l'élaboration de modèles cognitifs complexes permettant, au moins en partie, de rendre compte des phénomènes cliniques et de la réponse thérapeutique.

* Service hospitalo-universitaire du Pr Olié, centre hospitalier Sainte-Anne, Paris V.
(1) Andreasen NC et al. Defining the phenotype of schizophrenia: cognitive dysmetria and its neural mechanisms. Biol Psychiatry, 1999. 46(7): 908-20.
(2) Frith CD, Blakemore S, Wolpert DM. Explaining the symptoms of schizophrenia: abnormalities in the awareness of action. Brain Res Brain Res Rev, 2000. 31(2-3): 357-63.
(3) Plaze M et al. Left superior temporal gyrus activation during sentence perception negatively correlates with auditory hallucination severity in schizophrenia patients. Schizophr Res, 2006. 87(1-3): 109-15.
(4) Del Cul A, Dehaene S, Leboyer M. Preserved subliminal processing and impaired conscious access in schizophrenia. Arch Gen Psychiatry, 2006. 63(12): 1313-23.
(5) Danion JM, Rizzo L, Bruant A. Functional mechanisms underlying impaired recognition memory and conscious awareness in patients with schizophrenia. Arch Gen Psychiatry, 1999. 56(7): 639-44.

GAILLARD Raphal

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8272