DES CHERCHEURS de l'Institut Pasteur et de EID Méditerranée publient dans « Acta Tropica » un travail de recherche intitulé « Chikungunya : un risque pour les pays du bassin méditerranéen ? ». Ce travail conclut que «la présence d'Aedes albopictus, dans les zones touristiques du sud de la France et de Corse, doit être considérée comme une menace potentielle pour l'émergence du virus chikungunya dans ces régions».
Voyage dans des pneus usagés.
Le nord de l'Italie a été concerné par des cas de chikungunya au cours de l'été 2007. Dans ce contexte, des chercheurs français ont voulu préciser si notre pays pouvait être concerné par une telle épidémie. Aedes albopictus a été détecté pour le première fois en France en 1999 dans un village de Basse-Normandie. Les moustiques avaient voyagé depuis le Japon dans un stock de pneus usagés. Les mesures de démoustication qui ont immédiatement été mises en place ont permis de limiter la prolifération du moustique. Mais, dès 2005, A.albopictus a fait son retour en France, dans le département des Alpes-Maritimes, en provenance de l'Italie voisine, où il sévit de façon endémique depuis les années 1990. En 2006, les premiers Aedes albopictus corses ont été détectés dans la région de Bastia.
L'équipe de Marie Vazeille (Institut Pasteur) et de Charles Jeannin (EID Méditerranée, Montpellier) a voulu préciser le degré de susceptibilité au chikungunya des différentes souches de moustiques présentes dans le sud de la France au cours de l'été 2006. Ils ont choisi de mettre en contact les différents moustiques avec la souche de chikungunya à potentiel d'infectivité élevé présente dans l'île de la Réunion depuis novembre 2005 (mutation A226V de la glycoprotéine d'enveloppe E1). Les chercheurs ont mené leur travail sur des oeufs ou des larves d' Aedes albopictus récoltés dans les Alpes-Maritimes, d 'Aedes vittatus et de Culex pipiens récoltés à Montpellier ainsi que sur trois souches existant dans la plupart des zones humides en France : Aedes caspius, Aedes detritus et Aedes vexans.
Le taux d'infectivité d' A.albopictus a été estimé à 77 %, chiffre assez proche de celui qui avait été retrouvé à la Réunion en mars 2006 (95,8 %) ainsi qu'à Mayotte à la même époque (88 %). Ce taux se rapproche aussi de l'infectivité des Aedes aegypti en Asie du Sud-Est (96,9 %). Les moustiques autochtones semblent moins contaminants puisque leur taux d'infectivité était compris entre 0 et 67 %. «Nos résultats, indiquent les auteurs, même s'ils sont fondés sur un nombre restreint de prélèvements, suggèrent que le chikungunya pourrait se transmettre dans le sud de la France à partir des espèces de moustiques présentes aujourd'hui. Néanmoins, les moustiques autochtones ne sont pas pour autant capables de transmettre dans les conditions de milieux rencontrées dans le sud de la France, car d'autres paramètres doivent être pris en compte: la densité des vecteurs, leur longévité et la durée du cycle gonotrophique.»
Un plan antidissémination.
En France, la menace du chikungunya est prise très au sérieux par les autorités sanitaires qui ont mis en place dès le mois de mars 2006 un plan antidissémination du chikungunya et de la dengue associé à une déclaration obligatoire à l'InvS des cas suspects. Pour le Pr Didier Houssin, directeur général de la Santé, «le plan qui comprend un volet entomologique et un volet sanitaire permet de suivre l'évolution de la maladie. Les nouvelles données publiées par l'Institut Pasteur et l'EID Méditerranée laissent à penser que l'on assiste actuellement à une conjonction de plusieurs phénomènes qui pourraient conduire à l'apparition de cas de chikungunya dans les régions méditerranéennes: le virus a récemment muté et cette évolution génétique en a majoré l'infectivité, les données entomologiques confirment que, en dépit des campagnes de démoustication, Aedes albopictus gagne du terrain dans le sud de la France et en Corse; enfin, la densité de population dans ces régions et leur degré d'attractivité touristique conduit à un brassage de population, et l'expérience italienne a montré qu'il suffit d'un seul cas index pour qu'une population soit concernée. Néanmoins, le plan pourrait contribuer à limiter les risques de dissémination épidémique. On sait en effet que le déclenchement d'une épidémie dans une population sans aucune immunité ne dépend pas seulement de la présence du vecteur dans un territoire, mais aussi de sa densité, des modes de vie, de la capacité des individus et des collectivités à lutter contre la prolifération des gîtes larvaires et des moyens individuels permettant de se protéger contre les piqûres de moustiques».
Charles Jeannin, chargé d'études en entomologie à EID Méditerranée, confirme que la surveillance mise en place dans les régions méditerranéennes confirme la présence d' Aedes albopictus dans les départements les plus proches de l'Italie. «D'une façon générale, les gîtes larvaires sont majoritairement intradomicilaires. Ces eaux stagnantes dans lesquelles se développent des moustiques sont à l'origine de nuisances domestiques. Les campagnes de sensibilisation “Soyez secs avec les moustiques” menées par le conseil général des Alpes-Maritimes ont abouti à la mise en place d'un Numérovert au travers duquel les particuliers peuvent obtenir des informations et des conseils pour mener une démoustication dans les domaines privés, analyse M. Jeannin. Mais, en dépit de ces campagnes, le territoire d'A. albopictus augmente régulièrement.»
L'OCDE dans son rapport sur les cas de chikungunya en Italie concluait que les pays méditerranéens ne sont plus à l'abri. De nouveaux cas pourraient réapparaître dès le printemps 2008 en Emilie-Romagne et dans les régions voisines – y compris PACA – en raison de l'existence d'une transmission verticale transovarienne de l'infection aux oeufs qui n'écloreront qu'en fin d'hiver.
Eté 2007 : 31 cas notifiés
Au cours de l'été 2007, 31 cas suspects ont été notifiés en France métropolitaine dans le cadre de procédures de déclaration obligatoire : 21 dans les Alpes-Maritimes, 9 dans le Var et 1 en Corse. Les analyses sérologiques ont confirmé l'existence de 6 cas de chikungunya importés et récents et 1 personnes a présenté six jours après un retour du Vietnam une infection qui a été confirmée par la suite.
A la Réunion, au mois d'octobre 2007, 22 cas suspects ont été notifiés et les analyses n'ont pas confirmé la véracité de ces cas. A Mayotte, au cours de la même période, aucun cas suspect n'a été signalé.
Un Italien dans le Kérala : le routard et les moustiques
Une mission OMS-OCDE a été déléguée en Italie dans le cadre de l'investigation de l'épidémie de chikungunya survenue dans le nord du pays au cours de l'été 2007. Ses conclusions permettent de mieux comprendre l'origine de la première épidémie autochtone européenne. Au total, 292 cas suspects ont été notifiés entre le 15 juin et le 21 septembre 2007. Le diagnostic a été confirmé pour cent 125 d'entre eux. L'épidémie italienne a débuté dans deux petits villages (Castiglione di Cervia et Castiglione di Ravenna) proches de Ravenne et séparés par une petite rivière. Ces deux villages, dont la population totale est estimée à 3 767 habitants, se situent à 6 km de la mer Adriatique. Le cas index a pu être identifié. Il s'agissait d'un jeune homme qui avait effectué un voyage en Inde dans la région du Kérala entre le 15 et le 23 juin 2007. A son retour en Italie, il a présenté un épisode fébrile et quelques jours plus tard, au cours d'un second pic fébrile, il a rendu visite à son cousin qui vivait à Castiglione di Cervia. Le 4 juillet, le cousin était, lui aussi, fébrile et le diagnostic d'infection à chikungunya a été évoqué. C'est à partir de cette date que l'alerte a été donnée. Le nombre de cas a augmenté progressivement dans toute la région au cours de l'été avec un pic en août.
Le moustique à l'origine de l'épidémie – Aedes albopictus– sévit en Italie depuis 1990. Des analyses entomologiques ont confirmé le rôle de ce vecteur dans la transmission du chikungunya. Le 18 août, des mesures de démoustication ont été prise dans les deux villages les plus touchés. Depuis fin octobre 2007, les derniers spécimens d' Aedes albopictus hibernent et aucun nouveau cas autochtone ne devrait être notifié avant la fin du printemps 2008.
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